Croquemitaine [PV]

¬ Thick avait eu des nouvelles de Sôter. Apparemment, il l’attendait au troisième étage, dans le couloir interdit. Or, si Thick n’avait pas connu l’amitié, s’il n’avait pas connu les privilèges que cela apportait et s’il n’avait pas peur de décevoir, alors il ne serait jamais allé là bas. Il aurait fuit comme la grippe magique le couloir, aurait fait des détours immense pour ne jamais avoir à flirter avec les environs de cet endroit malsain. Pourtant, des élèves murmuraient que rien n’hantait les lieux, ils disaient que c’étaient des fables, des légendes pour faire peur. Et ça marchait : Thick était terrorisé. Mais, au nom de son amitié avec Sôter, et pour ne pas faire tâche, il pris sur lui et entreprit d’engloutir ses œufs pochés.

¬ Tout avait une texture et un goût amer, maintenant. C’était comme s’il avalait son dernier repas, le repas du condamné. Il mâchait machinalement. Son œuf devenait pâteux. Ses cheveux commençait à être collé par des goutes de sueur qui perlaient. Son estomac était devenu un bloc de calcaire qui moussait. La nausée lui vint, il eut envie de vomir et recracha alors son œuf.

« Huit statues, trois gargouilles, cent vingt six chandelles, vitesse de condensation de trois centimètre par heure, aucun vent, cinquante élèves, huit couples,… »… Et toute sa table qui le fuit. Car, on le sait, lorsqu’il vient à énumérer les dimensions et autres caractéristiques de ce qui l’entoure, alors Thick déraille. Or, ici, c’est la peur qui le fait dérailler. S’il avait encore des nerfs, il aurait pu sentir que sa vessie c’était vidée. S’il avait encore une conscience, il aurait hurlait en agitant les bras, aurait fuit dans son dortoir. Mais il ne fit rien de ça. En fait, Thick se leva mécaniquement et marcha d’un pas lent, comme s’il allait à la potence. Livide, il franchissait les doubles portes. Terrifié, il gravit les marches de marbre blanc.

¬ Puis arriva l’heure où le rendez-vous fut pris. Alors Thick pressa malgré lui le pas. Il ne voulait pas faire attendre Sôter, sinon Sôter le lui ferait payer. C’était bizarre cette relation ambigüe qu’ils avaient. C’était presque du sadomasochisme. Thick vouait un culte au garçon, lui le martyrisait. Sôter se comportait en tyran, le blaireau en esclave, en elfe de maison. S’il venait à le lui demander, Thick serait peut-être capable de tuer. Il était prêt à tout pour plaire à son ami, prêt à tout pour être digne de son amitié.

¬ Et aujourd’hui, il venait ici, dans le couloir interdit, pour ses simples beaux yeux. Il n’y avait aucune raison de venir ici, encore moins pour Thick. Il était terrifié, il n’y avait personnes, pas un fantôme, ni une armure grinçante. Seul le vent qui filtrait entre les larges vitres du château. C’était comme si le couloir chuchotait, avertissait Thick qui rien ici ne lui apporterait quoi que ce soit de bon. Mais n’ayant d’oreilles que pour Sôter, le garçon posa une main tremblotante sur la poignée du couloir interdit, la tourna et pénétra dans les lieux maudits. Alors, transperçant les ténèbres, Sôter vint lui tendre une main amicale, éclairée par sa baguette.

« Ah, c'est toi. Tu m'as fait peur. Tu attends là depuis longtemps ? J'espère que je ne t'ai pas fait attendre...»

Une camarade lui proposa de venir manger avec elle. Il n'aurait certainement pas refusé, cependant, il avait quelque chose de mieux à faire que de sustenter son estomac endolori par la faim. Il resta donc là, tranquillement avachi dans son siège près de l'âtre de la cheminée, à imaginer bien des choses déjà. Un léger sourire fit son apparition sur son visage angélique. Il jubilait par la pensée. Il jeta un rapide coup d'œil à la pendule fixée au mur avant de se relever prestement. S'il ne partait pas maintenant, il serait en retard au rendez-vous fixé. Et Dieu seul sait, qui n'aime pas être en retard. Il aime la ponctualité.

Il sortit de la salle commune des vipère, longea les cachots, grimpa au niveau du hall d'entrée. Ici, il vit tout le monde se rameter vers la Grande Salle, afin de se nourrir, reprendre des forces après une matinée de cours harassante. Il était heureux de ne pas manger aujourd'hui. D'une part, le monde impressionnant se trémoussant vers leurs assiettes le repousser, d'autres part, il ne voulait pas le voir avant l'heure fatidique. S'il le voit maintenant – encore faut-il qu'il y soit – il perdrait matière à sa jouissance.

Sans aucun regret, il bifurqua et grimpa les marches de l'escalier de marbre. Il devait être bien le seul à monter. Comme toujours, il allait à contre courant. Il n'allait pas changer. Tranquillement, il traversa les couloirs parsemés de quelques retardataires au repas de midi, ou, des élèves qui comme lui sautait délibérément le dîner. Sûrement pas pour les mêmes motifs. Il zyeuta sa montre à gousset vérifiant l'horaire qu'il était. Il souffla un instant, il était large. Il ralentit la cadence. Comme le résume si bien la morale du lièvre et de la tortue de Jean de la Fontaine: Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Sôter n'était pas sur la corde raide. Il allait arriver en temps voulu. Il bifurqua à droite. Le couloir interdit lui faisait face. D'un geste précis, il ouvrit la porte, et pénétra dans le fameux couloir. Il était désertique. Le lieu idéal. Comme il le souhaitait, il était seul. Adossé au mur, il attendit. Regardant de temps en temps sa montre à gousset, il patienta. Soudain, il entendit du mouvement derrière la porte. Il la vit s'entrouvrir. Instinctivement, il tendit une main amical au nouveau venu. Thick fut d'ailleurs surpris de cet accueil.

Sôter - « Attendais-tu quelqu'un autre que moi ici? »

Dit-il froidement. Il est vrai que toutes les personnes saines d'esprit vont dans un tel couloir à cette heure précise. Machinalement, comme s'il avait à faire à un chien, il lui ébouriffa le cuir chevelu. Dans son for intérieur, il avait décidé, pour l'instant d'y aller solf. Puis la conversation dériva sur le temps. Le temps! Le temps! Toujours le temps!

Sôter - « Quelques minutes. J'aime attendre ton arrivée! »

Dit-il avec un regard carnassier. Il l'observa sous toute les coutures, avant d'ajouter.

Sôter - « Non, tu n'es pas en retard Thick, tu sais être ponctuel quand il le faut, j'aime ça. »

Puis, sans même le prévenir, il l'attira à lui. Leurs deux corps s'entrechoquèrent. Il lui montra du doigt un endroit bien précis de fameux couloir. A pas de loup, il se dirigea vers un des tableaux parsemant ce couloir, et, d'une voix claire, sûre, il ajouta à l'intention de son jeune ami:

Sôter - « J'espère que tu les as pris! »

Il observa Thick, attendit qu'il le rejoigne.