That awful sound [Neal]

____Adam Meyer & Neal Monroe

Les choses étaient souvent loin d’être simples. Le fait de remonter dans le temps ne simplifiait pas la vie d’un adolescent, pas plus qu’un meurtre dans lequel il était directement impliqué. Alors pour me faciliter la vie, je faisais ce que je voyais comme mon seul échappatoire ces derniers temps: je fuyais le monde des hommes sous ma forme animale. Lorsque j’étais un chat, mon esprit n’était pas obnubilé par tous les problèmes qui semblaient me poursuivre comme mon ombre. Félin, je pouvais facilement me trouver un coin tranquille et m’y faire oublier, ou passer le temps à toutes sortes d’activités qui m’empêchaient de me triturer sans arrêt les méninges. De la lâcheté? Oui, et pas qu’un peu. Mais il me fallait pouvoir souffler si je ne voulais pas devenir complètement dingue et faire encore empirer la situation.

Ainsi perché sur le rebord de la tour d’astronomie, j’oscillais entre un comportement et des préoccupations animales et des pensées bien plus humaines. Mon regard errait, et se portait tour à tour sur l’horizon et sur le vide monstrueux qui s’ouvrait en dessous. Je me demandais même s’il n’aurait pas été judicieux de sauter. Plus de problème. Mais je n’étais pas lâche à ce point. J’avais beau les fuir, ces problèmes, je n’en arrivais pas au point de non retour. Je me sentais capable de lutter, même si je n’avais pas encore trouver comment. La solution ne tomberait pas du ciel, elle ne m’apparaitrait pas non plus du vide qui m’entourait. Et pourtant je restais résolument planté là, comme si j’attendais quelque chose. Une chose qui ne venait pas et ne viendrait jamais. C’était à moi de me bouger, coûte que coûte. Alors je sautai agilement de la rambarde pour retrouver le sol stable de la tour. Il ne me fallut pas longtemps pour en descendre les escaliers; mais arrivé au bout, j’eus la conviction que le moment était venu d’abandonner mon état félin pour affronter les remous de mon esprit en homme.

Je ne savais pas réellement où aller, mais j’y allais. Je descendais en effet les étages d’un pas soutenu, même si je n’avais aucune idée de l’endroit où je me rendais. Autant d’ordinaire je trouvais facilement un but, autant aujourd’hui tout était très vague dans mon esprit. Je ne savais même pas si je voulais croiser quelqu’un ou non. Pourtant, c’était le genre de chose dont j’étais sur en temps normal. Soit j’avais dans l’idée de trouver une personne précise, soit je priais pour ne pas être dérangé. Mais j’étais rarement, sinon jamais, dans l’état de flou artistique dans lequel je me trouvais actuellement.

Ce qui expliqua sans doute ma rencontre un peu brutale en plein milieu d’un couloir. J’avançais sans réellement prendre garde aux gens qui m’entouraient, et je fis à peine attention à celui qui arrivait face à moi. Pourtant, je ne le bousculai qu’à peine, d’un coup d’épaule seulement, qui le heurta pourtant de plein fouet, crispant mon visage sous le choc. Ce ne fut que deux pas plus loin que je me retournai en lançant sèchement:

« Fais un peu attention. »

Je portai instinctivement ma main à mon épaule. Je n’allais pas me tordre de douleur, mais ça me lançait suffisamment pour mériter une petite mise au point et un regard assassin:

« Regardes où tu vas, ça t‘évitera les ennuis. »

Ce n’était pourtant pas mon genre, les menaces. C’était simplement sorti comme ça, et je goûtais la nouveauté avec délice. Cette petite pique acerbe, lancée totalement en l’air, avait eu le mérite de sortir un instant les soucis de ma tête, et de me procurer un menu plaisir réellement bienvenu.

Etat d’esprit général : Déplorable. Envie de dormir : Nulle. Fatigue : Totale. Caractère : Totalement invivable. Neal leva sa plume, fronçant le nez face à ce constant affligeant de sa propre personne. Complètement hermétique à la fatigue qui menaçait de le faire succomber, il refusait de dormir depuis deux jours. Conséquences normales, il commençait à devenir réellement invivable pour n’importe laquelle des personnes qu’il pouvait croiser. Il avait besoin de quelque chose, d’une échappatoire pour stopper tout ça. La meilleure des choses à faire était bien entendu de prendre du repos, cependant il ne voulait pas dormir, au risque de réveiller ses cauchemars qui était devenu journalier depuis l’effondrement de sa tour. Bien entendu, il aurait pu chercher à consommer de l’alcool ou de la drogue, qui pourrait lui garantir un sommeil lourd sans ce type de désagréments, cependant il ignorait tout de ces deux usages. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Neal n’était pas le genre de garçon avec ces penchants, alors qu’ils étaient en accord total avec son caractère autodestructeur. Ignorant donc cette solution, le jeune serdaigle était donc condamné à être désagréable, jusqu’au moment où il ne pourrait que tomber de fatigue. Il espérait que lorsque ce moment viendrait, elle serait tellement intense qu’il ne pourrait que dormir, sans se faire déranger par de vieilles réminiscences auxquelles il ne comprenait rien.

Finalement, il poussa un soupir audible avant de se redresser totalement dans son lit. Il s’était couché, simplement pour reposer son corps fatigué, seulement il sentait ses yeux le picoter dangereusement, aussi semblait il totalement inconcevable qu’il continue ainsi. Il ne comptait pas dormir avant encore quelques jours pour que sa fatigue soit encore plus intense, encore plus lourde à porter et encore plus dure à percer ensuite. Il se leva donc, non sans oublier d’attraper sa cape qu’il avait négligemment jetée au bout de son lit quelques minutes plus tôt à peine, avant de quitter son dortoir d’un pas vif, qu’il s’imposait surtout afin de ne pas montrer qu’il était fatigué. Une fois en dehors de sa salle commune, il ne sut que faire. Il voulait de l’air frais, pour que son visage exténué soit balayé par le vent et revigoré, cependant il hésitait. Irait-il dans le parc, pour flâner parmi les arbres et se sentir incroyablement vivant malgré tout. Ou bien alors à la tour d’Astronomie, afin d’avoir un air plus frais et plus fort ? Il ne mit que quelques secondes avant de choisir la seconde option, les deux semblaient aussi bien, cependant il avait un attrait pour cette tour et l’appréciait pour sa hauteur.

En désaccord avec son esprit, il avait commencé à descendre les escaliers, jusqu’à même arriver au troisième étage. Il ne s’en était rendu compte qu’en passant devant une statue qu’il aimait beaucoup puis devant un tableau qui lui demanda ce qu’il venait faire au troisième étage. Confus, il s’éloigna rapidement de l’œuvre vivante pour remonter les escaliers. Autant en colère que désorienté, Neal fût de soudaine mauvaise humeur, autre conséquence de son manque de sommeil, il en devenait lunatique. Il marcha furieusement dans les escaliers puis dans les couloirs du cinquième étage, lorsque se produit l’accident. Il ne regardait pas, toute son attention étant concentré à alimenter sa colère envers lui-même et sa faiblesse d’être trop peureux pour affronter ses cauchemars. La collision fût violente et sous le choc, Neal recula même d’un pas, le coup d’épaule l’ayant cueillie en plein mouvement. Il faillit même tomber, cependant il du son salut à un équilibre plus que précaire procuré par ses mains sur le mur.

« Fais un peu attention. Regardes où tu vas, ça t‘évitera les ennuis. »

Un peu désorienté, Neal mit quelques secondes avant de se rendre totalement compte du ton et des paroles employés par celui qui venait de lui rentrer dedans. Il en mit quelques autres pour se souvenir de son nom, Meyer, un des nouveaux un peu bizarre mais inintéressant. Cette constatation faite, il éclata de rire. Ce petit rien le menaçait de quoi en fait ? Bien sûr, il ignorait tout du passé du jeune homme en face de lui, mais cela ne l’empêchait pas de rire face à sa phrase. La fatigue sûrement !

« Les ennuis ? Et c’est toi qui va m’apporter des ennuis ? J’aurais presque peur euh… c’est quoi ton nom déjà ? »

La voix de Neal était désinvolte et il se moquait ouvertement de son interlocuteur, même s’il ne faisait que dire la vérité, son nom lui échappant totalement. Bien vite, il se désintéressa de lui, il commença d’ailleurs à faire quelques pas vers la tour, jusqu’au moment où il se retourna d’un coup vers lui, reprenant la parole d’un ton interrogateur.

« Et au fait, c’est toi qui m’est rentré dedans, j’aurais pas pu t’éviter même si j’en avais envie ! »

Le rire de l’imbécile qui ne regardait pas où il allait me piqua au vif. Je ne voyais pas ce qu’il pouvait bien trouver de drôle à la situation, et en vérité, je savais qu’il s’apprêtait à verser dans la moquerie. Serdaigle était-elle définitivement devenue la maison des prétentieux et des arriérés mentaux? Était-ce le lot de l’intelligence que de finir par être utilisée à mauvais escient? Car l’abruti qui me faisait face portait bel et bien les couleurs de ma maison, et à moins qu’il ait piqué ses vêtements à un serdaigle après lui avoir jeté un sort de stupéfaction, je devais me résigner à l’évidence.

« Les ennuis ? Et c’est toi qui va m’apporter des ennuis ? J’aurais presque peur euh… c’est quoi ton nom déjà ? »

Je levai les yeux au ciel. Les petits méchants de cette époque avaient des progrès à faire. N’importe qui savait qu’on ne menaçait pas quelqu’un ni ne lui riait au nez sans savoir à qui l’on s’adressait, parce qu’alors toute la force de la réplique tombait à l’eau. Mais je pouvais comprendre ce que ce garçon stupide avait tenté de faire. Il pensait sans doute que le fait qu’il ne connaisse pas mon nom me vexerait et que je plongerais dans une colère noire. Seulement, il lui faudrait monter le niveau d’un cran, car j’avais appris beaucoup de choses en quelques mois. Et bien que sur les nerfs, j’étais encore tout à fait capable de me contenir devant une si faible pique qui se défendait lamentablement d’en être une. D’autant que c’était plutôt mon but, à moi, de ne pas me faire remarquer. Il m’importait seulement que les gens influents dans le futur connaissent mon nom, pour me rapprocher d’eux et les dévier de leur voie. Cette petite lopette, en revanche, n’avait pas le moindre intérêt à mes yeux.

« Et au fait, c’est toi qui m’est rentré dedans, j’aurais pas pu t’éviter même si j’en avais envie ! »

Mais peut-être que j’allais réussir à lui trouver une utilité. Car une sorte de fourmillement commençait à se faire ressentir dans mes poings. Ce serdaigle - qui par ailleurs n’avait aucune excuse pour se trouver dans cette maison, commençait honnêtement à me taper sur le système. Qui se défendait en geignant de cette manière?

« Ah non, c‘est sûr; pour ça il t‘aurait fallu un peu d‘ingéniosité. »

Un sourire sans joie étira mes lèvres. Je ne cherchais rien de plus qu’à le remettre à sa place. Je ne voulais pas qu’un abruti fini comme lui se pense en droit de chier dans la colle comme il le faisait. Quelque part, je ne faisais qu’aller dans le sens de ma mission; je faisais ça dans l’intérêt général. Si quelqu’un lui apprenait les bonnes manières, ça lui éviterait de tenir une fois de plus des propos incohérents comme il venait de le faire. Et puis, il y avait quelque chose dans son regard et sur ses traits qui me donnait envie de lui faire ravaler son arrogance.

« Et pour info, je m‘appelle Adam Meyer. C‘est à cause de gens comme toi qu‘à Serdaigle on passe pour des sociopathes, tu en as conscience au moins? »

Je n’étais peut-être pas mieux placé que lui. Avant mon saut dans le temps, j’étais franchement solitaire, et extrêmement taciturne. J’étais la grosse tête, un peu en retrait. Je connaissais tout, surtout en ce qui concernait les membres les plus influents des deux camps en présence; ce qui se révélait très utile aujourd’hui. Mais à part ça, les gens qui m’entouraient n’avaient aucune valeur à mes yeux. Ils n’en avaient pas tellement plus désormais, mais j’avais mis de l’eau dans mon vin. Après tout, n’importe qui à cette époque pourrait être la clé pour changer l’avenir, et le rendre meilleur. Si l’on exceptait l’abruti face à moi. D’ailleurs, il y avait une chose que je devais éclaircir:

« Ça me perturbe depuis que tu as ouvert la bouche. T‘es vraiment à Serdaigle ou tu as piqué cet uniforme à quelqu‘un? »

Peut-être ne comprendrait-il pas le sous-entendu, ce qui ne m’étonnerait pas vraiment. En fait, je le voyais définitivement comme un abruti, alors il ne m’apparaissait pas bien dangereux. Je ne déviais pas pour autant de mon idée de lui apprendre les bonnes manières, simplement je m’échauffais pour l‘instant. En fonction de ses réponses, je verrais s’il était utile d’aller plus loin, ou non. Même si je penchais lourdement pour la seconde solution.

« Ah non, c‘est sûr; pour ça il t‘aurait fallu un peu d‘ingéniosité. » Neal coula vers lui un regard à mi chemin entre la surprise et la bouderie. Faire insulte à son intelligence n’était pas une chose qui pouvait le vexer, mais il se plaisait à enfoncer l’autre dans son point de vue. Il pouvait bien le prendre pour un débile, cela ne changerait en rien son état d’esprit. Il avait une envie folle de se prendre un poing dans la figure et pour ça, il n’hésiterait pas à se faire idiot.

« Et pour info, je m‘appelle Adam Meyer. C‘est à cause de gens comme toi qu‘à Serdaigle on passe pour des sociopathes, tu en as conscience au moins? » Le jeune serdaigle haussa les épaules face à sa pique, comme s’il n’était pas vraiment concerné par sa remarque. Néanmoins, c’est avec un petit sourire en coin qu’il lui répondit. « Peut être est-ce simplement parce que la plupart d’entre nous le sommes, moi le premier et toi pas loin derrière.

Sa remarque ne manquait pas de vérité à vrai dire. Il n’avait jamais fait le rapprochement entre ce terme et lui, mais plus il y réfléchissait et plus cela lui semblait évident. Il était un sociopathe et n’en avait d’ailleurs aucune honte. La vérité était souvent bien plus blessante que le mensonge pour la plupart des gens, mais pas pour Neal. Il se moquait complètement de ce que l’on pouvait de lui. Voilà pourquoi il était si facile pour lui de jouer les idiots et pourquoi il était si facile pour lui d’avouer ses travers. Son sourire ne l’avait pas quitté alors qu’il avait finalement décidé de rester près de ce jeune serdaigle. Ses piques cachaient certainement un malaise qu’il se ferait un plaisir de mettre à jour, pour la simple envie qu’il avait d’être tapé.

« Ça me perturbe depuis que tu as ouvert la bouche. T‘es vraiment à Serdaigle ou tu as piqué cet uniforme à quelqu‘un? » Il retint un rire face à sa question. Se rendait il compte de la débilité qu’elle sous entendait. Il se targuait d’être plus intelligent que lui, mais ses remarques n’étaient pas plus spirituelles, simplement plus mesquines. « Oh non, comment as-tu deviné ? Je me croyais tellement doué ! » Neal poussa un soupir bien audible, avant de reprendre, tout ton de moquerie abandonné. « Sérieusement Meyer, tu crois toutes les conneries que tu racontes ? Je suis peut être pas assez intelligent pour comprendre mais… à quoi un uniforme qui n’est pas le mien pourrait me servir ?

Le serdaigle se passa une main dans les cheveux alors qu’il se rendait finalement compte qu’il s’ennuyait. Finalement, ce type n’avait peut être pas ce qu’il fallait pour être un adversaire convaincant. Il ne faisait que blablater, sans même esquisser le moindre geste de colère à son encontre. Peut être était il finalement temps d’attaquer les choses sérieuses, de devenir vraiment insupportable. Son objectif n’avait pas changé, sa fatigue accumulée le poussait aux pires vices et l’envie de se faire frapper en était assurément un. Comme s’il réfléchissait, Neal eut les yeux dans le vague pendant quelques secondes, avant de reprendre la parole, d’une voix douce.

« Je ne suis pas du genre à me cacher pour avoir ce que je veux ou pour embêter le monde. Mais excuse ma simplicité d’esprit, je ne suis pas assez intelligent pour avoir dans l’idée de dissimuler mes états de fait.»

Tout dans son discours respirait la bêtise. Il était très inspiré par le discours très pompeux de son interlocuteur. Il se plaisait à être exactement ce que l’autre décrivait et être sa totale inversion était une chose nouvelle et vraiment amusante. En attendant le moment où il en viendrait enfin aux mains, il s’amusait comme il le pouvait et cette stupidité feinte lui plaisait vraiment. Il s’attendait à moitié à ce que monsieur le plus intelligent du monde découvre la supercherie, mais en attendant, il s’amusait. De rien certes, mais il fallait parfois redevenir idiot pour démontrer toute son intelligence.

« Dis moi, pour être aussi désagréable, il s’est passé quelque chose dans ta vie ? Non que ça m’intéresse, mais vois-tu je m’interroge… Es tu cocu ? Ou peut être l’inverse ? Ou alors quelqu’un d’autre que moi te tape sur le système ? »

Tout au long de son discours peu inventif et surtout incroyablement mal placé, Neal avait fixé son interlocuteur. Il attendait de voir ce qui le faisait le plus réagir, pour enchaîner de suite sur ce qui le dérangeait vraiment. Son calvaire commencerait peut être plus rapidement qu’il ne l’avait escompté et il attendait ça avec une impatience qu’il peinait à dissimuler.