Troisième sexe. [Sadie]

J’ai à discuter de choses sérieuses avec l’une de mes sœurs, seulement voilà, Sadie, alias le courant d’air est introuvable ce soir. Je soupire en arpentant notre dortoir… Je ne m’attends pas à ce qu’elle rentre à l’heure du couvre-feu mais j’avais tout de même un peu d’espoir. Résignée, j’enfile donc ma cape où mon insigne de préfète me permettra de me balader dans Poudlard sans être emmerder, puis, en soupirant toujours, je me résous à sortir de la quiétude -et surtout du silence- de notre chambre pour m’en aller trouver l’autre enquiquineuse. D’ordinaire, je snob tous mes condisciples, aussi je vois à leur tête qu’ils s’inquiètent un peu de me voir ouvrir la bouche en leur présence… J’ai horreur d’avoir à leur demander quelque chose, j’aime être une tombe, l’une de ces personnes revêches à qui on ne casse jamais les pieds… Sadie, lorsque je t’aurais trouvé, tu auras droit à ma mauvaise humeur, je te le promets ! Et voilà, j’en étais sûre, je leur demande s’ils n’ont pas vu Williams dans les parages et ils se pensent autorisés à me faire la conversation comme si nous étions potes ou je ne sais pas quoi !

Je tente de me montrer patiente, avenante et polie mais cela m’est impossible en vue des sourires goguenards de certains jeunes hommes qui pensent qu’un simple sourire crispé de ma part leur ouvrira l’accès à mes cuisses dument closes pour de tels losers ! Ils ne pensent donc qu’au sexe dans cette fichue école ? Ah oui, c’est certain, je suis la première à le reconnaître surtout que je débusque en moyenne une dizaine de couples par soirée… Ma charge de préfet fait de moi un tue l’amour ambulant… D’ailleurs, je prends un malin plaisir à donner de la voix lorsqu’au beau milieu de leurs avancées frénétiques, ils gueulent leur jouissance pour remonter très vite leur pantalon lorsqu’ils me remarquent derrière eux… Oui, rester pucelle ou puceau à Poudlard relève du véritable miracle ! Bien, après avoir envoyé promener deux Serpentards aux dents gâtées par les sucreries que môman leur envoi par hibou chaque matin, je finis par fuir la salle commune. Inutile de souligner ma fureur, non ? Si ? Très bien, soulignons-la…

Je ne me leurre pas, je n’ai rien d’une oie blanche… Sadie doit certainement s’envoyer une cravate quelque part… Ou peut-être deux, allez savoir avec elle… J’espère en tout les cas qu’elle se protège car bonjour les effets indésirables ! En bref, ceci ne me regarde pas et je me garderai bien de la sermonner. Je déambule dans les sous sols, grimaçant de dégout lorsque quelques couples se décollent les uns des autres en me voyant approcher… Oui, j’ai la réputation d’être une conservatrice coincée et frigide et c’est tant mieux, je choisis donc à merveille mon ou mes partenaires sans être agressée continuellement par les boulets du quartier… Digne, le pas assuré et le regard assassin, je dérange sans façon la multitude de pervers planqués dans les cachots… C’est sûr que s’envoyer en l’air au milieu des rats et des odeurs putrides doit en exciter plus d’un, pas moi ! Le glauque est une affaire de goût, le sexe un simple passe-temps, personnellement, je préfère le sang et les hurlements mais chacun ses passions !

Après une bonne heure de recherches, je dois m’avouer vaincue : Aucune trace de cette catin de Williams, certainement occupée à se ravager la tronche à coups d’alcool et autre dérivatif à sa piteuse existence ! Je la déteste ! Je me calme en réfléchissant posément au problème qui m’occupe. Le rendez-vous est fixé à 23 heures, soit dans vingt minutes… C’est justement Sadie qui le fixa, j’aurais aimé que nous parlions de ce ’client’ avant de le rencontrer mais visiblement l’anticipation n’est pas le principal trait de caractère de ma Sœur… Ouais, elle est du genre à s’extasier devant les ’surprises’… Elle m’énerve ! Je ma hâte donc en direction des salles de classe désaffectées, insultant copieusement au passage Williams que je vais découper puis bouffer si elle ose, en plus, être en retard ! Au sixième étage, tout est tranquille, du moins en apparence, voilà pourquoi nous nous y réunissons souvent. Cet entretien n’est que le premier, c’est pour cela que nous ne serons que deux à écouter l’offre d’emploi de l’élève… N’espérez tout de même pas avoir le Cercle au grand complet pour un cas d’école pathétique, et puis la discrétion étant mon crédo, je protège du mieux possible l’anonymat de mes Sœurs -Le mien en tête, cela va sans dire-

Je rabats ma capuche sur ma tête avant de pénétrer dans la salle au bout de l’interminable couloir. Ouvrir la porte fermée à clé est l’enfance de l’art, aussi elle me cède en à peine quelques secondes. Il y fait très sombre, pas une bougie, pas un lumos pour éclairer l’étroite pièce… Serais-je la première ? Non, une forte respiration me fait me retourner et c’est là que je vois… Petit, plus que moi, la silhouette est tassée derrière la porte que je viens de refermer… Je ne dis rien, sur le qui-vive. Voilà le lumos qu’il geint presque en brandissant sa baguette droit sur mon visage… Ca commence mal, je déteste que l’on cherche à me percer ainsi sans se présenter… Heureusement, il l’abaisse bien vite, allumant un candélabre disposé sur l’un des bureaux aux pieds branlants. A la lueur des bougies, je reconnais enfin le ’client’. C’est un serpentard de mon année, son nom m’échappe mais qu’importe, qu’il ne soit pas l’un de ces sang de bourbe me fait respirer un peu mieux… Notons que l’argent n’a pas d’odeur mais aider un Impur me colle de sacrées migraines, c’est très gênant. L’élève ne me laisse pas entrer dans le vif du sujet qu’il s’écrie soudain,

▬ Si t’as l’intention de me prendre la tête parce que je ne suis pas dans notre salle commune à cette heure-ci, tu perds ton temps, je ne bougerai pas d’ici !

Dit-il alors qu’il tremble d’appréhension à la simple idée que je puisse le signaler… Hypocrite va… Je me contente donc de lui sourire, pointant du bout du doigt, mon insigne… Insigne que je détache de ma cape en le fourrant dans ma poche… Cela a le mérite d’être clair car je le vois se détendre aussitôt… Et ouais, gentil mouton que voici, ôtez l’insigne de leur vue et il se pense en sécurité… Risible ! J’attaque donc à mon tour car tourner autour du pot n’est pas mon genre,

▬ Tu as loué les services de Sadie Williams… Je suis ici pour l’aider le cas échéant… Je t’écoute, mais je te préviens, je coute cher, très cher ! Ah, encore une chose… Sois bref et concis, j’ai horreur des discours qui s’éternisent… Mon temps est précieux !

Voilà, ça c’est dit ! Il me regarde fixement, ouvrant la bouche pour la refermer aussitôt… Ben quoi ? L’ais-je trop brusqué ? Il arpente la salle, me lançant des regards hésitants… S’il ne se décide pas, je me tire, ais-je la tronche d’une fille patiente ? Non. Ca y est, il se décide,

▬ Je suis entré en contact avec Sadie Williams par le biais de Connor, nous sommes dans le même dortoir… Il m’a dit que Williams était du genre compatissante à condition d’y mettre le prix… Alors voilà, je désire… Je veux… En fait… Je suis une fille… Enfin… Je veux en être une physiquement j’entends…

Gné ? Je réprime le fou rire qui me monte aux lèvres… C’est bien la première fois que j’entends une bêtise pareille ! Déjà dans mon crâne, je passe en revue quelques potions et sortilèges qui pourraient faire de ce rêve une réalité, mais je ne trouve rien… Aucune importance, chaque problème a sa solution ! Passé le premier instant de stupeur, je demande donc,

▬ Bon… Ne te crois pas obligé de m’expliquer pourquoi… Entre nous, je m’en fous… L’unique question est donc celle-ci : De combien d’argent disposes-tu ?

Oui, le reste n’est que pacotille. Nous sommes cependant interrompus par la porte qui grince dans notre dos… Serait-ce Sadie ? J’espère pour elle et surtout pour moi car je sens encore mon rire enfler... Il n'est pas bon de se moquer ouvertement d'un client, c'est mauvais pour le commerce voyez-vous.

Eh bien non. Pour une fois, Sadie Williams n'était ni en train de charmer Damon Bradford, ce Poufsouffle dérangeant, dérangé et dangereux qui avait - à sa grande honte - tout pouvoir sur elle de par son charisme écrasant, ni en train de s'envoyer son meilleur ami Carter. Celui-ci étant pour son plus grand malheur absent, elle aurait eu de toute façon bien du mal à le croiser dans le château. Chose étonnante, la verte et argent n'était pas non plus en train d'harceler Connor par dépit. Pour une fois, elle avait enfin réussi à échapper à Maaira Van Tassel - qui, par la magie des révélations de ces soi-disants élèves du futur, avait soudain perdu toute envie de lui soutirer des confidences sur son profond mal-être ; rien d'étonnant à cela, puisqu'on lui avait très clairement dit que Williams chercherait à l'assassiner. Elle n'était pas non plus en train de haranguer Nora Dolohov, cette jaune et noir qui lui tenait lieu de souffre-douleur favori ; pas non plus allongée, défoncée à toutes sortes de prods, sur le tapis de feuilles mortes de la forêt interdite avec Jaylen Killam.

Mais alors où était-elle ? En vérité Sadie errait, étrangement calme contrairement à son habitude, dans les sombres couloirs des cachots, jetant autour d'elle quelques coups d'oeil circonspects. Elle était à sa place en ce lieu, elle le savait, et n'aurait donc aucunement à justifier sa présence dans les obscurs et tortueux corridors menant aux salles communes des jaunes & noirs et des serpents. Mieux valait cependant, pour le secret de sa petite entreprise, que nul ne la surprenne ici. Sinuant délicatement dans les ténèbres des murs humides, la jeune Williams se glissa dans un passage étroit puis s'arrêta net. Posant l'extrémité de ses doigts insensiblement glacés sur la surface suitante et mal isolée, elle pressa la pierre sous ses phalanges : les briques une à une se descellèrent, libérant une ouverture dans la façade. Confiante, Sadie s'avança, marchant directement vers le grand chaudron bouillonnant doucement au centre de la pièce sur un feu aux flammes rougeâtres. Elle avait un rendez-vous important avec Coralie et un quelconque Veracrasse de chez les argentés, elle le savait pertinemment : mais l'épaisse décoction noirâtre qui mijotait sous ses yeux était plus importante encore. Un sourire satisfait étira les lèvres de la reine des serpents, tandis que son souffle se condensait en légers nuages de vapeur devant elle, montant paresseusement vers le plafond de pierre. Elle n'avait pas froid, non : le plein et entier contentement qui l'habitait la réchauffait de part en part.

Elle avait beau ne pas être passionnée par ses cours, Sadie n'était pas, malgré tout, une mauvaise élève. Son manque d'entrain à rendre à temps ses devoirs et à respecter ses professeurs, à se montrer aimable avec la majorité de ses camarades avaient fait glisser de ses mains le titre de préfète pour le placer dans celles de Coralie Dennell. Mais elle ne regrettait rien - se sachant suffisamment puissante et influente pour se passer de ce maigre titre. La matière dans laquelle elle se surpassait étant sans le moindre doute les potions, la préparation du philtre de haine n'avait posé aucun problème majeur qu'elle n'avait pu résoudre. Habituée à s'entraîner avec Demetri - assurément le meilleur professeur qui fût - elle n'en avait acquis que plus de maîtrise. Huit jours maintenant qu'elle bichonnait la lotion avec amour et dévotion, attentive à la moindre étape, la moindre erreur qui pouvait la conduire à l'échec. Se penchant vers le récipient comme une mère vers son fils nouveau-né, une moue attendrie transformant son visage, attentive à ne pas briser de son souffle glacé la surface du précieux liquide, Sadie vérifia d'un coup d'oeil que tout se passait bien. Promenant sa main au-dessus de la potion où de grosses bulles éclataient à présent, la jeune femme chuchota tendrement, comme s'il s'agissait d'un être doué de vie : « Bonjour, douce Eris ... Je viens te chercher, enfin. Tu as bien dormi, mon coeur ? »

Plongeant une louche dans le chaudron, Sadie adressa au récipient un sourire complice, avant de remplir une fiole du liquide brillant. Promenant ses doigts dans sa longue chevelure chocolat, la petite reine des Serpentards en retira un unique cheveu, qu'elle laissa négligemment tomber dans le flacon. Le philtre de haine à l'intérieur prit aussitôt une teinte brune digne du plus succulent des chocolats au lait. La potion dégageait néanmoins une forte odeur de réglisse à l'arôme suspect - trop suspect pour que quiconque ne se doute pas de quelque chose. Tirant une pipette de son nécessaire à potions ainsi que quelques Chocoballes de sa besace, Sadie entreprit de plonger l'instrument dans la fiole, puis en retira quelques gouttes qu'elle appliqua enfin sur les confiseries. Avec ça, aucun risque que ce goinfre de Salinger ne devine quelque chose : comme beaucoup de Poufsouffle il était certainement un ventre, et Sadie le soupçonnait fortement de ne pas être capable de résister à quelques douceurs sucrées. Aucune chance qu'il échappe à son philtre de haine.
Car oui, c'était bien à Johnny Salinger que la potion était destinée. Sadie en effet n'avait guère été enchantée d'apprendre qu'elle aurait dans le futur une liaison avec le jaune et noir. Peu importe que cela fût vrai ou non, mieux valait prévenir que guérir - or, elle avait toujours eu une façon bien à elle de régler ce genre de choses. Certains cherchaient à se faire aimer : la Serpentard elle, voulait être haïe, abhorrée, détestée par Johnny. Son moralisateur et ennuyant chevalier servant cesserait ainsi, croyait-elle, de l'importuner, puisqu'il ne pourrait plus la voir en peinture.

Rangeant son matériel, l'esprit désormais occupé par toute autre chose, Sadie quitta la salle secrète et monta avec sérénité les escaliers conduisant au sixième étage. Dennell et elle avaient à faire en ce lieu ce soir, avec qui déjà ? Ah oui, un petit étudiant insignifiant qui désirait changer de sexe. Le visage de la petite reine se tordit en une grimace de dégoût : elle ne voulait même pas savoir quelles déviances habitaient son condisciple : elle n'avait que mépris envers lui. Parvenue à la salle de classe désaffectée, elle se figea : de toute évidence, Coralie était déjà présente - et, à en juger par l'intonation de sa voix, d'une humeur de chien. « Tu as loué les services de Sadie Williams. Je suis ici pour l’aider le cas échéant … Je t’écoute mais je te préviens, je coûte cher, très cher ! Ah, encore une chose … Sois bref et concis, j’ai horreur des discours qui s’éternisent. Mon temps est précieux ! » Sadie grimaça : certes, elles n'avaient pas de temps à perdre avec les petites exigences de celui-là, mais il n'était jamais bon de brusquer le client. « Je suis entré en contact avec Sadie Williams par le biais de Connor, nous sommes dans le même dortoir. Il m’a dit que Williams était du genre compatissante à condition d’y mettre le prix … Alors voilà, je désire … Je veux … En fait … Je suis une fille… Enfin … Je veux en être une physiquement j’entends … » L'hilarité à peine contenue de Coralie était compréhensible, et Sadie sourit derrière la porte : si elle-même n'avait pas déjà été au courant de l'affaire, sans doute se serait-elle esclaffée bruyamment.

Pénétrant sans plus attendre dans la salle de classe, Sadie marcha en direction de Coralie et se posta près d'elle sans dire un mot, droite comme la justice, le menton fièrement relevé, dévisageant le client. « Ne mens pas, c'est inutile. Je connais tous les camarades de dortoir de Connor, et tu n'en fais pas partie. » Observant calmement celui qui avait appelé ses services et ceux du Cercle, Sadie se tourna finalement vers sa condisciple, posant sur elle un regard entendu et pénétrant. « Ca ne fait rien. Coralie, sois donc plus gentille avec notre 'acheteur' ; tu ne voudrais pas que la transaction se passe mal, n'est-ce pas ? Et puis, tant que monsieur a de quoi payer ... ? » conclut-elle, arquant un sourcil interrogateur vers leur client.