Black Black Heart. [Jonathan]

Cette chanson moldue ne la lâchait plus. Non pas qu’elle ait été habituée à écouter ce genre de musique : son mentor haïssait les moldus. Elle l’avait déjà vu torturer ces gens-là devant elle. Pour s’amuser. En guise de trompe l’ennui. Il avait même déjà essayé de l’initier à ces rites de barbares, mais elle refusait, ignorant la punition qui lui tomberait dessus. Le sortilège de Doloris, en outre. Elle avait l’impression de connaitre ses effets par cœur. L’éclair sortant de la baguette, la douleur qui s’empare de tout le corps d’un coup, l’envie de mourir pour échapper à la souffrance, puis la chute, lorsqu’il s’estompe ; d’abord dans les bras et les jambes, puis dans le buste et le visage. Enfin, l’horrible tiraillement qui tourmente chaque muscle pendant plus de vingt heures. A force, une sorte de cynisme devrait s’immiscer en elle. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Mais non. A chaque fois, elle trouvait qu’elle souffrait plus que la dernière fois. Ce rituel était une mélopée infernale, qui s’intensifiait à chaque vacance, à chaque fois qu’elle revoyait son mentor – pour ne pas dire son « père ». Jamais elle ne l’avait considéré comme tel, et jamais sa considération changerait. Il était son géniteur, l’homme qui avait prétendu faire son éducation ; l’homme qui l’affubla d’un caractère d’acier et d’une résistance assez impressionnante. Mais c’était tout. Il n’était rien de plus, rien de moins. Un salopard, surtout. Un respectable salopard.

Helena arpentait un couloir du cinquième étage. Pour le moment, elle était seule. Hélas, un grouillement estudiantin s’approchait. Elle allait bientôt devoir traverser la foule. A vrai dire, elle errait sans but. On lui avait dit qu’il y aurait une sorte de réunion dans la salle commune des Or et Rouge, mais ce n’était pas bien important. Qu’allait-il s’y dire ? Rien. D’ailleurs, elle s’était toujours demandé ce qu’elle foutait à Gryffondor. Elle ne se sentait ni courageuse, ni brave, ni rien qui soit digne de Godric Gryffondor. Elle pensait plutôt avoir la fourberie d’un Serpentard… Un jour, elle avait fait part de ses doutes à une de ses amies les plus proches. Celle-ci lui avait souri. Etant dans la confidence de la lycanthropie de la jeune rousse, elle lui avait dit, mot pour mot : « Penses-tu que n’importe qui serait capable de supporter pareilles transformations à chaque pleine lune ? Crois-tu que n’importe quel Serdaigle, n’importe quel Serpentard ou n’importe quel Poufsouffle tiendrait le coup ? Et ce que ton père – ton mentor, pardon, te fait endurer… je n’en serais moi-même pas capable. Je pense que c’est ce courage-là qu’a vu le Choixpeau magique. Et ça lui a amplement suffi pour le mettre à Gryffondor ». Ces paroles, truffées de sagesse, arrachèrent une moue dubitative à Helena, au début. Mais, petit à petit, elle s’habitua à cette idée, et parvint même à admettre cet hypothétique courage. Mais elle étayait tout de même que sa duplicité était plus saillante que le reste.

Au bout du couloir, un groupement d’élève fit son appariation. De loin, elle essaya d’identifier quelques visages – et quelques blasons. Peu de Gryffondor. Surtout des Serdaigle et des Serpentard. Elle ne connaissait personne personnellement, dans le ramassis d’élèves. Etant la seule à être à contre-courant, elle se fit remarquer de tous. Elle garda la tête haute, orgueilleuse, et mit fin à ses observations. Elle ne regardait plus personne, la petite arrogante, elle restait hautaine, droite. Elle se paya néanmoins le luxe d’écouter les conversations. Les dires des autres l’amusaient, étrangement. Enfin arrivée à la hauteur de l’essaim, elle fendit la foule.

C’était tellement prévisible. Ce qu’elle entendait des conversations des Bleu et Argent était des noms de livres, des commentaires sur les cours, des réponses d’examen… Les Serdaigle devaient être les élèves les plus prévisibles du château. Du côté des Serpentard, ça parlait presque mafia : moyen de faire céder des personnes, histoires de chantage et de corruption… Bien plus intéressant. Elle savait que les Poufsouffle parlaient surtout de la pluie et du beau temps et ses crétins de comparses Gryffondor de la façon de devenir Chevalier de Poudlard. Stupide, vraiment. Alors qu’elle atteignait bientôt la fin du groupe d’élèves, un gamin accoutré du blason de Gryffondor manqua de la bousculer : on l’avait envoyé valsé contre le mur. Elle entendit un type hargneux lui parler, tandis que le gosse chialait à moitié. Bon, elle n’aimait pas les premières années, elle les trouvait agaçants, mais l’occasion était trop belle. D’un geste du menton, elle s’enquit de l’état du gamin qui hocha rapidement la tête, puis s’enfuit en courant, blessé et endolori. Elle se retourna vers la foule qui partait. Heureusement, elle avait repéré celui qui avait bousculé le petit Gryffondor. Elle n’était pas en train de jouer la pro-Gryffondor, soyons clairs. Elle avait juste une sainte envie de se défouler contre un orgueilleux. Ne connaissant ni son nom, ni sa maison, elle ne trouva qu’un moyen pour le héler.

- Eh, toi, le blond gominé ! Oui oui, toi, ajouta-t-elle lorsqu’il se retourna.

Au moins, il s’était arrêté. Il aurait pu continuer son chemin, tout fier de sa bonne action du jour. Le regard de la jeune femme se dirigea vers le blason du type. Serdaigle. Etonnant, pour un rat de bibliothèque. Après tout, il était plausible que les rats baraqués aient envie de se défouler. Être enfermé avec ses bouquins devait être une drôle de vie. Elle braqua ensuite son regard vert d’eau vers celui du type, une lueur de défi brillant dans ses iris. Elle n’allait pas le louper. Tout en avançant, elle déclara :

- Alors, tu te sens mieux ? T’as utilisé tes petits muscles contre un gamin, ça doit faire du bien à ta virilité, non ? Tu aurais dû attirer l’attention de plus de monde, pour que l’intégralité du château puisse voir tes exploits herculéens. Sincèrement, bravo ! Attention aux chevilles, hein ! C’est comme la connerie : ça enfle.

A présent, elle était plantée devant lui, menaçante et belliqueuse. Il n’avait pas vraiment une tête d’intellectuel, mais bon, l’habit ne faisait pas le Mangemort. Elle se demandait comment il allait réagir. S’en irait-il pour sauver son maigre honneur ? Ou bien engagerait-il la joute verbale, tout en sachant qu’il se ferait vite castrer verbalement ? Autre option : et s’il sortait sa baguette, à défaut de savoir s’exprimer comme un être civilisé ? Après tout, ce n’était pas impossible. En tout cas, ça amuserait fortement Helena. S’il réagissait ainsi, elle se ferait un plaisir d’aiguiser sa baguette sur son dos. Le sang qui coule dans ses veines est un sang chaud, de toute façon.