Sadie ; the dope show

« Sadie, ne fais pas ci. Sadie, ne fais pas ça. Sadie, tais-toi ! Pourquoi es-tu si inutile ? Tu ne sers vraiment à rien, ma pauvre fille ! » Tels étaient les propos que la petite Sadie, dernière-née de la grande et belle lignée des Williams, entendait chaque jour depuis sa naissance dans la bouche de sa chère maman. Elle avait entendu dire que pour certains parents, la naissance d’un enfant était un bonheur, une heureuse surprise ; dans le monde où elle avait grandi, de tels préceptes n’existaient pas. On les considérait même avec le mépris et l’amusement les plus grands. Les Williams étaient en effet connus pour avoir des idées bien arrêtées sur un certain nombre de choses : la venue d’un bébé dans la famille et la manière dont il convenait de l’éduquer en faisaient partie. Dans la famille de Sadie, il ne serait par exemple venu à l’idée de personne de faire un enfant par amour ; si un sang-pur digne de ce nom choisissait de procréer, il ne pouvait y avoir que deux raisons à cela : la nécessité de perpétuer le nom, la fortune, la tradition et la lignée, ou bien que l’on attendait quelque chose de l’enfant à naître. Malheureusement pour elle, dès son premier souffle de vie, Sadie avait eu tout faux aux yeux de ses géniteurs.

Tout d’abord, on avait escompté qu’elle fût un garçon : à cette époque où la consanguinité entre les familles de Purs – qui durait depuis des générations – avait considérablement réduit l’espérance de vie des nouveaux-nés, on avait vite établi comme une nécessité la perspective d’avoir un deuxième héritier mâle potentiel sous la main ; juste au cas où.
Puis lorsqu’il s’était avéré qu’elle était une fille – aucune échographie, bien entendu, dans une famille de sorciers qui se respectait ; pas de ces gadgets moldus ridicules chez les Williams – on s’était tout simplement attendu à ce qu’elle se montre une petite fille parfaite : sage, polie, réservée. Et par-dessus tout, invisible. Car c’était bien tout ce à quoi elle pouvait être utile, n’est-ce pas ? Se faire discrète, docile et inexistante, mais suffisamment jolie toutefois pour attirer l’œil d’un fils de purs fortuné. Elle serait une bonne épouse, donnerait à son mari de beaux enfants – au moins un fils – et à sa famille suffisamment d’argent pour alimenter leurs vieux jours (en ce qui concernait ses parents) ainsi que la bonne réputation de son frère aîné.

Mais Sadie Callista Williams, de son nom complet, n’avait fait dès son premier souffle que décevoir sa famille. Elle était une fille et, pire encore, une fillette agitée et curieuse que rien n’arrêtait. On l’envoyait au coin dans sa chambre ? Il ne lui fallait guère plus de deux minutes pour en sortir, et recommencer à poser des questions. On lui interdisait quelque chose ? Elle trouvait aussitôt un moyen détourné de le faire tout de même. En bref elle n’avait rien, absolument rien de ce que l’on attendait d’elle. Rien, sauf peut-être cette incommensurable fierté qui la possédait à l’évocation de ses origines sanguines. Être une sorcière de sang-pur était pour elle une qualité, un motif d’admiration ; la pensée qu’elle était la dépositaire du savoir magique de dizaines de générations qui l’avaient précédées, sans que jamais une goutte de sang moldu ne vint gâter cette parfaite harmonie, l’emplissait d’une intense satisfaction. Appartenir à la noble caste des sorciers lui semblait un privilège dont elle avait hérité par la grâce des choses et qu’elle devait honorer en fréquentant ses semblables, pour étoffer sa magie à leur contact : depuis toute petite, on lui avait répété que les sorciers étaient pareils à des diamants ; plus leur sang était pur, plus leur valeur était grande. Aussi en grandissant avait-elle veillé à ne pas s’entourer de cette sorte de gens, ces nés-moldus au sang souillé : répugnant à en faire des personnes proches, il lui arrivait même d’en persécuter quelques-uns. Néanmoins, n’aimant pas faire des généralités, elle avait toujours attendu la confirmation de la médiocrité d’un sang impur pour le considérer plus bas qu’elle dans la hiérarchie magique. C’est pour cela qu’un jour, peut-être, un sang impur pourra lui prouver qu’il possède autant de valeur qu’elle. Mais avouons-le : en dix-neuf années, jamais ce jour n’est encore arrivé…

La démarche lascive et hypnotique, ses courbes ensorcelantes oscillant lentement sous sa démarche chaloupée, ses doigts tapotant malgré eux le rythme électrique d’une chanson des Blackbirds, Sadie Williams est dans la place. On se presse à son passage, on chuchote et on murmure, on s’écarte de son chemin. Sadie Williams ? La petite reine de Serpentard à c’qu’on dit. Pas une pute, pas une Marie-couche-toi-là… pas non plus une débauchée sur laquelle tout Poudlard est passé, mais un drôle d’oiseau quand même. Sadie, c’est cette fille excessive, colérique, jalouse et possessive ; un penchant bien marqué pour la drogue, la clope et l’alcool, une fêtarde invétérée, oui. Sadie c’est le bruit, l’énergie, la flamme qui consume tout pour ne laisser que chaleur et cendres, et pourtant. Pourtant, c’est aussi cette brunette adorable qui étreint sans réfléchir ses amis dans ses bras, rit aux éclats pour un rien, ou se love sans prévenir contre leur torse comme une petite fille en détresse. Cet ange… et ce petit démon. Câline et mutine à la fois. Sadie et sa dope, Sadie et ses grands yeux – au regard parfois implorant, à la détresse poignante. Cette existence qui crie silencieusement pour qu’on la remarque.

Lentement elle se dirige vers le fond de la salle, vers un canapé noir où deux jeunes hommes sont assis. Danes et Whitley, ses deux meilleurs amis – ses vassaux, ses faire-valoir disent certains. Ses princes, ses trésors, ses âmes-sœurs, ses éternels amoureux disent d’autres un peu plus clairvoyants. Les yeux verts de Sadie scintillent un instant, le bout de sa clope rougeoie dans l’obscurité tandis qu’un sourire de chat se fait jour sur ses lèvres. À leur tour les garçons lui rendent un sourire sournois. D’un bond souple elle se laisse tomber sur les genoux de Carter, petite brindille aux allures de rock-star vacillante, à l’esprit embrumé par les substances hallucinogènes, perdue dans les vapeurs et les parfums de la fête. Son buste s’incline contre le torse du Serpentard tel un arbre qui ploie, sa tête se pose sur son épaule comme un oiseau exténué ; sa joue vient frôler son cou que ses lèvres mordillent, mutines. Son petit nez retroussé inspire profondément son odeur de fête, de sueur et d’alcool : un mélange qui l’attire et la rebute à la fois. Repoussant Carter, elle se penche par-dessus la table ; sa main s’envolant à la recherche du whisky pur feu s’en empare d’une prise vive, dérobant à Connor la bouteille qui, ce soir, a bien plus d’attrait que tous les hommes de la salle réunis.

Son présent, Sadie l’a construit elle-même. Son quotidien se joue entre cours dans lesquels elle s’ennuie mortellement mais se montre raisonnablement bonne élève, coucheries sans lendemain – ou au contraire, avec récidives – fêtes trop arrosées et drogues trop fortes. Sa vie s’effeuille entre ses doigts comme la dernière feuille d’un arbre mourant, comme le papier de ces clopes qu’elle roule, presse et tripote bien trop souvent entre ses doigts dans un geste instinctif, témoin de sa longue habitude mais aussi de son anxiété perpétuelle. Sadie… la princesse déchue, la fée brisée des Serpentards. Une roulure, pour certains ; une petite reine morte à l’intérieur pour d’autres, qui aimeraient bien d’un baiser réveiller la demoiselle, comme dans les contes d’autrefois. On la voit forte et solide, étincelle vivace virevoltant entre les gens, les défaites ou les succès ; mais au fond elle pleure trop souvent, lorsque les ténèbres de la nuit s’abattent sur Poudlard et que nul ne peut surprendre ses larmes couler, son cœur saigner. Il y en a que sa frénésie, ses éclats, ses excès effraient, voire horrifient : c’est qu’ils ne comprennent pas, tous autant qu’ils sont, qu’elle ne se sent mieux que quand elle boit. Quand l’étreinte chaude d’un amant d’une nuit la rassure et la protège. Quand elle se love contre Danes ou Whitley, sans souci de la « concurrence » ou des rivales que sa familiarité rend furieuses. Quand son rire résonne, frais comme une pluie de cristal, après absorption d’une quelconque drogue forte. Quand elle déchire sa vie aux quatre vents et son cœur entre toutes les mains. Pas qu’elle aime vraiment vivre ainsi, mais cela l’aide depuis qu’il n’y a plus grand-chose de trippant dans sa vie. Elle ne voit d’ailleurs nulle échappatoire, et entend bien continuer d’oublier sa réalité, hormis pour les quelques personnes qu’elle porte dans son cœur comme des trésors. Sentant intuitivement qu’au fond elle ne va pas bien, vous l’entendrez toutefois le nier férocement, préférant en crever lentement plutôt que de l’admettre. Par ailleurs, si même ses meilleurs amis ne s’en rendent pas compte, ne comptez pas sur elle pour se confesser.

Pour avouer qu’au fond tout ça lui a glissé des mains, se dérobant à son contrôle ; qu’elle ne comprend plus rien, se sent perdue auprès de ces gens qui se disent ses amis, de ceux qui la haïssent. Elle n’est que le portrait de son époque, le produit de son éducation, ce que la philosophie froide et dépourvue d’amour des sang-purs a fait d’elle : une jolie gosse brisée, en manque terrible d’affection, dépendante des prods mais surtout tellement des autres. L’amour… ce sentiment auquel elle est, malgré elle, si détestablement soumise. Cette émotion qui rend faible, mais qu’elle ne parvient pas à fuir aussi éperdument qu’elle le voudrait parce qu’il fait partie d’elle. Parce que son cœur en est rempli, gorgé d’amour bafoué, étouffé pour que jamais il ne transparaisse. Gorgé de souffrance. Parce qu’elle a beau les haïr par-dessus tout, leur faire éclater au visage chaque jour que Merlin fait à quel point ils ont échoué avec elle, Sadie les aime, ses parents. Bien qu’ils soient des idiots, de sombres imbéciles qui ont détruit leur fille par leur indifférence.

Son frère ? Sadie le déteste, lui qui a toujours eu tout ce dont elle avait rêvé : l’affection et l’amour de leurs parents, les privilèges de la famille, un titre et une considération. Il est l’avatar de ses parents, leur deuxième voix, celui qu’ils ont façonné à leur manière. Alors elle s’est construite à l’opposé de ce frère honni : tapageuse, séduisante, attachante, perdue, impossible à fixer. Son frère a beau essayer de la protéger comme il le peut, n’hésitant pas à cogner sur tous ceux qui osent toucher sa petite sœur adorée, il ne peut s’en prendre aux trois quarts des garçons de Serpentard et encore moins, la défendre d’elle-même.