Conspirateurs de fortune [Jaylen]

Un coup d’œil à droite, puis à gauche, il n’était pas question d’ébruiter ses plans. Il y avait malheureusement bien trop d’oreilles indiscrètes à Poudlard. A l’ordinaire, elles faisaient l’affaire de Gemma, qui ralliait d’ailleurs leurs rangs à l’occasion. Mais aujourd’hui, elle prenait garde à ne se faire entendre d’aucune d’elles. Julia était sa seule alliée. Jamais elle ne la trahirait en divulguant ses plans d’attaque. Cependant, si elle savait pouvoir les partager avec elle, il lui fallait faire preuve de prudence afin que cela reste strictement entre elles. Les yeux plissés, Gemma laissa son regard fureter alentour. De toute évidence, personne n’était susceptible de les entendre.

« Gem, arrête ton cinéma et dit moi ce qu’il y a! » Elle paraissait plus agacée qu’énervée, aussi Gemma ne s’en formalisa pas. Des problèmes autrement plus importants que la contrariété de la gryffondor retenaient son attention. Il s’agissait d’une affaire grave, dont les tenants et les aboutissants ne devaient pas tomber dans la moindre pair d’oreilles indiscrètes. Gemma surveilla une fois de plus les environs. Rassurée, sans pour autant baisser sa garde, elle se décida enfin à passer aux aveux.

« Je dois trouver Jaylen … Je sais qu’il peut m’aider à faire en sorte que Raven voit les choses à mon avantage.
- Tout ce secret pour ça ? C’est sensé être une révélation? Tu te ramollis, chérie. »

Une grimace passa sur les traits de la lionne, avant qu’elle ne réalise que Julia n’attendait que ça. Elle se ressaisit donc aussi sec et attrapa les épaules de son amie afin de l’obliger à rester face à elle. Leurs regards s’affrontèrent un instant, avant que Julia ne capitule en levant les yeux au ciel. Sans doute avait-elle comprit qu’elle n’avait pas la moindre chance de faire fléchir Gemma. Elle la connaissait désormais suffisamment pour savoir qu’une fois lancée, la jeune fille était aussi impossible à arrêter qu’un boulet de canon.

« C’est sûr, ça ne tient pas vraiment de la révélation pour toi, mais je préfère que cette histoire ne s’ébruite pas! Imagine la tête de Raven s’il apprenait que, loin de cesser de tenter de le faire succomber à mon charme , je vais jusqu’à demander de l’aide à l’un de ses meilleurs potes ?! Et Jaylen pourrait avoir des ennuis …
- Du remord ? » Julia eut un sourire sarcastique, puis son regard s’éclaira et Gemma sut que ce qu’elle s’apprêtait à dire ne lui plairait pas. « Gemma ne serait donc pas prête à tout démolir sur son parcours jusqu’au trophée Raven ?! En voilà une de vraie révélation ! » Quelle peste! Elle ne l’avait pas volé le coup de pied que Gemma lui asséna dans le tibia. Et malgré la grimace douloureuse qui passa un instant sur son visage, Julia ne se départit pas de son sourire outrancier. Gemma lâcha ses épaules sans la moindre douceur puis lui obliqua un regard noir. Qu’elle pouvait être désagréable lorsqu’elle touchait à l’un de ses points sensibles.

« J’ai compris, j’aurais mieux fait de me taire. Tu ne m’ais vraiment d’aucun soutien! Aller, retourne voir ton homme et laisse moi me dépatouiller toute seule!
- Si ça peut te faire plaisir! » Un grand sourire aux lèvres, Julia ne se fit pas prier pour se sauver en quatrième vitesse. Gemma n’eut pas le temps d’émettre un soupir désabusé que l’autre rouge avait déjà quitté son champs de vision. C’était dans ces moments là que Gemma réalisait à quel point elle pouvait compter sur elle et quelle amie elle faisait… Les choses ne marchaient pas ainsi avant qu’elle ne réussisse à faire tomber Tristen dans ses filets. Nul doute que depuis qu’ils étaient en couple, Gemma était bien trop souvent laissée pour compte. Quelle tristesse! Mais il n’était pas question de se laisser abattre, ça n’était tout simplement pas dans son caractère. Plutôt que de se morigéner et de pester contre le sort qui avait fait de Raven l’aîné des deux frères, Gemma préférait redoubler d’efforts. Un jour, il serait tout à elle, qu’importe son âge et qu’importe le temps que cela prendrait.

Mais pour l’heure, son objectif apparaissait clairement plus modeste. Étape par étape, elle finirait par atteindre son but. Dégager Leslie la pétasse de son chemin s’avérait plus délicat que prévu, mais elle ne jetait pas pour autant l’éponge. Parallèlement à cette entreprise de longue haleine, Gemma se devait de réunir des alliés. Jaylen était le nom de sa présente cible. A force de ténacité, elle avait réussit à entrer dans ses bonnes grâces, mais elle ne s’en contentait pas. Elle ne l’avait pas approché pour jouer à la poupée mais bel et bien pour qu’il glisse à Raven quelques mots en sa faveur et qu’il l’aide accessoirement à le séduire.

Le visage digne, elle chatouilla la poire dans le panier peint sur une grande toile accrochée au mur. L’effet ne se fit pas attendre puisque le tableau coulissa et laissa un passage étroit se découvrir sous les yeux de la gryffondor. Elle ignorait tout de ce passage avant que Jaylen ne le lui révèle. Quelle idée de se donner rendez-vous dans les cuisines! Le serpentard avait de quoi paraître étrange. Gemma mettait quoiqu’il en soit son originalité sur le compte de son âme d’artiste.
Prudemment, elle passa par l’ouverture nouvellement découverte et s’introduisit dans les cuisines. Cela n’avait rien de très règlementaire; pas que Gemma soit un modèle de responsabilité, mais elle ne se serait sans doute pas infiltrée dans les cuisines si son but ultime n’en dépendait pas.
Jaylen était déjà là, tranquillement attablé. Lorsqu’elle lui avait réclamé un rendez-vous secret, il l’avait surpris en lui proposant de se rejoindre dans les cuisines, mais Gemma ne pensait vraiment pas qu’il viendrait en réalité pour manger. Abasourdie, elle le regarda un instant, muette, avant de se reprendre.

« J’espère que ce n’est pas avec des petits gâteaux que tu comptes m’inciter à séduire Raven ?!»

« Par pitié, cesse de bouger autant, tu me donnes le tournis. »

J'émets un son que je sais indistinct, à mi chemin entre grognement agacé et contestation informulée, mais n'ose relever. Mon attention reste rivée sur la malle béante devant moi, dont la moitié du contenu s'est déversée au sol. Où ais-je encore mis ce fichu accordeur ? Je passe une main nerveuse dans ma chevelure en bataille, sans me soucier du soupir alangui qui s'élève derrière moi. Je me redresse, tourne comme un lion en cage, retourne m'asseoir pour fouiller affaires, encore et encore... sans succès.

« Hey, tu m'écoutes ? »

Merde. L'envie de gratter me démange, et ma guitare me fait de l'oeil. Mais je ne permettrais pas de jouer sans l'accorder. Il me faut cet appareil de malheur.

« Jaaaaay... »

Je me retourne enfin, agacé, dans le seul but de lui dire ma façon de penser, mais sa moue enfantine fait mourir les mots sur mes lèvres.

« Quoi ? », je répond d'un ton las, peu enclin à tenir une conversation pour l'instant.

J'ai besoin de quelque chose. Une clope peut-être, ou un fix ; de la poudre. Ou de la musique. Ça, ce serait vraiment l'extase ; et dans mon état de nervosité, ce ne serait sûrement pas du luxe. Je reporte mon regard sur elle, qui se prélasse comme une reine, sur mon lit, pensant sûrement que les quelques minutes que nous venons de passer ensemble lui donnent le droit à quelques familiarités. Elle tapote la place vacante à côté d'elle, réclamant clairement que je la rejoigne, et glisse sa deuxième main le long de son ventre plat. Son regard entendu me laisse deviner ce qu'elle attend de moi, et ses jambes légèrement écartées son une invitation plus qu'explicite. Cette fille est pire qu'une chatte en chaleur.

« Tu viens ? »

Habituellement je n'aurais pas hésité à accepter. Mais là, à choisir entre ma guitare ou elle, je dois avouer qu'elle ne m'intéresse plus tant que ça.

« Si tu comptes vraiment passer la journée à te faire baiser, en ce qui me concerne, j'ai des choses plus importantes à faire. Adresse-toi à quelqu'un d'autre. »

Un silence tendu fait suite à cette attaque. Elle est vexée mais, très franchement, je n'en ai pas grand chose à faire. Les draps se froissent, dévoilant son corps nu, mais ses boucles blondes lui retombent lourdement sur la poitrine, masquant ses seins. Ses lèvres pincées témoignent de sa révolte intérieure : elle aimerait m'envoyer chier, j'en suis certain. Mais elle n'osera pas le faire.
C'est cette pointe de timidité qui m'a attiré au départ. Effacée et distante, mais vulnérable. Et son physique aussi – surtout. Pourtant, plus je la regarde, plus je me rend compte qu'elle n'a pas grand chose de celle que cherche en elle. Celle qui me hante, de jour comme de nuit ; m'obnubile sans que je cède à l'envie de l'approcher. Tanya. Je mordille l'intérieur de mes joues, me demandant une fois de plus ce que celle-là peut bien avoir de plus que les autres... sans parvenir à une réponse suffisamment convaincante. Elle est juste... elle. Si envoutante, et délicate, que la toucher m'apparaîtrait comme un sacrilège. Cela ne me ressemble pas et, pourtant, je me refuse à la salir. Les anges se brisent au contact du diable, dit-on – je suis un monstre de débauche, et ne vis que pour le plaisir de pervertir ce qui m'entoure. Alors elle...
J'abandonne finalement mes recherches, trop agacé pour persévérer. Il me faut un remontant... et si ça ne peut être la musique, j'ai bien de quoi pallier au manque.

La porte claque derrière moi, lorsque je quitte le dortoir, peu soucieux du désordre qui y règne par ma faute. Il n'y aurait que Montgomery ou un autre des crétins pédants qui partagent la pièce avec moi pour s'en plaindre – et très franchement, qui s'intéresse à leur avis ? Rendu fébrile par l'envie qui me taraude, je dévale les escaliers sans accorder un regard à ceux que je dépasse, en direction de la salle commune.

« Oh ! Jay, tu tombes bien, je... »
« Pas maintenant. », je l'arrête, les bras levés pour l'empêcher d'approcher.

Y'a des jours comme ça, où les gens se comportent comme des cons inconscients. On n'aborde pas un camé alors qu'il n'a pas eu sa dose – encore moins un musicien camé qui n'a pas eu sa et se retrouve incapable de gratter ne serait-ce que deux notes, à cause d'une fichue (blasphème !) guitare désaccordée. Bon, certes, ils ne peuvent pas tout deviner. Mais ma mauvaise humeur est inscrite sur mon visage, plus sûrement que si je m'étais tagué un « don't disturb » en lettre capitales rouges sur le front. Ah moins qu'ils fassent exprès de l'ignorer. Je n'aime pas parler aux gens ; de manière générale, je n'aime pas les gens. Encore moins lorsqu'ils m'abordent inutilement. Je traverse la salle en coup de vent, tête basse, comme l'asocial que je suis, pour me retrouver dans les couloirs des sous-sols avec un soulagement palpable.

J'hésite un instant entre retrouver la lumière extérieure, ou trainer un peu plus longtemps dans ces lieux clos. Dehors, les rires, la bonne humeur, le soleil. Je grimace, peu emballé par l'idée de faire face à ça. Jusqu'à ce que je m'en souvienne. Gemma. Je crois que je lui ai promis de la voir cet après-midi. Loin des rayons dorés aveuglants et des regards des gens. Je fronce les sourcils, hésitant. Je crois qu'il sera bientôt l'heure, surtout. Et j'ai bizarrement envie de fuir. De les fuir, elle et sa bonne humeur, ses rêves, sa passion incongrue pour Raven en dépit des refus obstinés de ce dernier. Elle et sa persévérance... attachante. J'aurais du me la faire – ça m'aurait épargné bien des soucis.
Je m'appuie contre l'un des murs et soupire d'un air morne, indécis. Etrangement, je n'ai aucune envie de la voir. C'est toujours comme ça lorsque je... enfin. Quand les gens commencent à compter. A devenir plus que des corps potentiellement utiles à mes yeux, pour endosser une personnalité, un rôle, une importance quelconque. Merde, je déteste ça. Je suis mieux sans ça. Et pourtant, comme par automatisme, mes membres se mettent en mouvement sans se préoccuper de ma raison, qui leur hurle de prendre la tangente. Je gratte la poire du tableau sans la moindre délicatesse – je ne m'étais même pas aperçu être arrivé jusque là – à en arracher la peinture. Elle se tortille sur mon doigt, puis laisse apparaitre de mauvaise grave une poignée, que je saisis pour révéler le passage secret des cuisines.

L'odeur des mets préparés avec soin en vue du repas de ce soir me monte à la gorge, mais je m'avance pourtant d'un pas assuré, congédiant d'un geste la créature mochasse qui s'apprêtait à me proposer généreusement ses services. Je n'ai pas faim. Installé face à une paillasse haute, je sors fébrilement ce qui me fait envie : les sachets soigneusement cachés dans les poches de mon pantalon d'uniforme. Je ramène vers moi une soucoupe oubliée sur la table – ça peut toujours servir. Avec la dextérité que confère l'habitude, j'émiette les herbes sèches du premier, y mélange le tabac du second, me sers d'un but de parchemin râpé pour les rouler en un cône. Un bout de carton pour le filtre. Je suis complètement dingue de faire ça ici. Mais l'avantage, avec ces saloperies moldues, c'est que les elfes n'y connaissent rien. Je sors un briquet, et mes doigts tremblent tandis que je le porte à mes lèvres, ou traîne déjà le joint de fortune. Une bouffée. Rien. Une autre, et je laisse la fumée toxique pénétrer mes poumons pollués, se mêler au souffle que j'expire. Au bout de quelques dizaines de secondes, je sens enfin en poindre les effets - il devait y avoir un hallucinogène dans le mélange d'herbes. Je ferme les yeux, pour faire semblant de ne pas voir que le tremblement de mains s'est accentué ; je me sens mieux.

Mais la porte du passage pivote. Mes lèvres se pincent lorsque je vois apparaître la silhouette de Gemma – déjà – et je récupère ce que j'ai laissé trainer sur la table pour le fourrer au fond de mes poches.

Elle se approche, de sa démarche assurée, et je ne peux m'empêcher de lui accorder un sourire – un peu flou. Ma main se tend, les mots dévalent la barrière de mes lèvres :

« Tu en v... » ...eux ?

Je m'interromps brusquement en me rendant compte de ce que je fais. Raven me tuerait s'il savait. Je n'ose moi-même croire que je viens seulement de lui proposer de tester ça – mais c'était plus fort que moi : l'habitude de faire tourner. Je grimace, ramène le spliff à mes lèvres pincées en me traitant de tout les noms. Et tente de rattraper la situation en couvrant la fin de ma phrase d'une toux « subite ». Je crois que je n'ai pas les idées claires.

« J’espère que ce n’est pas avec des petits gâteaux que tu comptes m’inciter à séduire Raven ?! »

Je nie d'un signe de tête, mais m'empresse bien sûr de rebondir sur cette perche qu'elle me tend inconsciemment, la gratifiant d'un coup d'oeil moqueur.

« Certainement pas. J'crois pas que ce soit le moment de te faire prendre du poids... je soupçonne Raven de préférer les filles passablement informes. »

Je fronce les sourcils, comme plongé dans une intense réflexion. Mais la référence à Lexie est bien trop évidente pour qu'elle ne la remarque pas. Ah ! Elle est bien sympathique, la petite Serdaigle, mais d'un tel ennui ! Et puis.. rabat-joie comme on en fait peu. Plus j'y pense, plus j'ai de mal à comprendre le mal que se donne Raven pour la garder.

« Bien qu'on sache tous les deux que Raven ne connait justement pas les bonnes choses. »

Je hausse nonchalamment les épaules, m'attendant presque à la voir sauter sur l'occasion pour agonir sa rivale de critiques, ou au contraire, exprimer son impatience. Mais sait-on jamais, avec cette fille...
Mon regard se perd dans le vague alors que je tire une nouvelle bouffée, bloque ma respiration par question d'habitude.

« Alors, le programme pour cette fois ? »

Je la vrille de mon regard inquisiteur, faisant mine de ne rien savoir de ce qu'elle attend de moi, alors que j'en ai déjà une idée.

Il lui fallut cligner plusieurs fois des yeux; les fermer, les rouvrir, les fermer puis les rouvrir à nouveau, pour se rendre compte qu’elle ne rêvait pas. Il … fumait ?! Obnubilée par ses plans, elle ne l’avait pas réalisé immédiatement en entrant. Ce n’était qu’en posant les yeux avec attention sur le serpentard que la réalité s’était imposée à elle. Elle avala péniblement sa salive et tenta de cacher son malaise. Gemma avait beau être incorrigible, elle n’était vraiment pas à l’aise avec ce genre de choses. On pouvait lui pardonner, elle était jeune. Mais c’était précisément pour ce genre d’ignorance que Raven la rejetait. Elle le savait, il l’estimait trop jeune pour lui justement parce qu’elle pêchait dans bien trop de domaines. Elle avait beau être plus tête brûlée que la moyenne des filles de son âge, c’était encore insuffisant. Jamais ô grand jamais elle n’avait touché à la drogue. Et, quand des amies de son âge ou plus âgées faisait référence à leurs expériences sexuelles, elle ne pouvait qu’acquiescer en souriant naïvement, riant parfois, mais jamais de bon cœur.

« Certainement pas. J'crois pas que ce soit le moment de te faire prendre du poids... je soupçonne Raven de préférer les filles passablement informes. »

Essayait-il de faire de l’humour? Gemma grimaça face à sa piètre tentative. Néanmoins, elle aimait à entendre Jaylen évoquer Leslie en ces termes. Cette pauvre fille était aussi plate et fine qu’une brindille. Raven ne la gardait certainement pas pour son physique et Gemma savait de source sure que ce n’était pas plus pour son esprit. En réalité, il n’y avait aucune raison valable pour qu’il ne la laisse pas tomber et pourtant, il s’acharnait. Jamais elle n’aurait osé émettre l’hypothèse selon laquelle il n’aurait tout simplement pas le cran de la lâcher. De toute façon, de quoi aurait-il peur ? Aux yeux de Gemma, Raven était sans peur et sans reproche. Voilà pourquoi elle prenait en considération la remarque qu’il lui avait faite sur son âge. S’ils ne pouvaient pas être ensemble, c’était uniquement de sa faute.

« Bien qu'on sache tous les deux que Raven ne connait justement pas les bonnes choses. »

Comment osait-il ? Raven n’avait rien à se reprocher. Il ne voyait pas le peu d’intérêt que constituait Leslie, certes, mais de là à dire qu’il n’aimait pas les bonnes choses. Il l’aimait, elle … du moins l’espérait-elle férocement. Jaylen souhaitait seulement que Gemma se fasse une raison. Mais l’ennui c’est qu’elle ne le voulait pas; elle s’accrochait toujours désespérément à Raven. Elle n’imaginait pas de perspective qui l’exclurait. En revanche, elle concevait très bien un avenir sans Leslie.

« Leslie est un plaie, on est d’accord … Mais Raven doit avoir ses raisons. » Qu’elle devait paraître faible à le défendre ainsi alors qu’il prenait un malin plaisir à la repousser. Jaylen s’amuserait à coup sur de son innocence … Il devait comprendre le chanteur de son groupe et il entretenait sans doute la même vision que lui au sujet de Gemma. Jaylen, comme Raven, avait goûté à bien des plaisirs et des malheurs dont Gemma ne soupçonnait pas même l’existence. Elle était réellement ignorante comparée à eux et elle détestait ça. Il était plus que temps d’y remédier.

« Alors, le programme pour cette fois ? »

Il semblait lire dans ses pensées. Gemma ne se fit pas prier pour saisir la perche. Elle s’installa habilement aux côtés de Jaylen, devant sa paillasse, se tournant juste suffisamment vers lui. D’un geste vif, elle attrapa le joint entre les lèvres du serpentard. Ses yeux bénéficièrent d’un instant réduit pour l’analyser mais elle put se rendre compte de la singularité avec laquelle on l’avait roulé. Sans perdre une minute, elle porta la chique à ses lèvres entrouvertes. Il s’agissait d’agir avec désinvolture, mais Gemma restait malheureusement trop impressionnée par son propre comportement pour agir naturellement. Grossière erreur, puisqu’elle tira de ce fait bien trop fort sur le joint. L’effet fut instantané. Gemma toussota sans grâce, la gorge irritée par la fumée amère. Elle saisit maladroitement le joint entre ses doigts pour l’éloigner aussi vite que possible de sa bouche. Elle s’y brûla les doigts et un réflexe idiot lui fit lâcher la clope qui tomba sur la paillasse puis roula jusqu’au sol dallé des cuisines. Gemma se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de laisser échapper une excuse insensée. Elle ne put que sourire innocemment en croisant le regard de Jaylen. Elle n’osa pas ramasser ce qu’elle avait laissé tomber, de peur de s’y prendre à nouveau de façon malhabile et d’empirer les choses. Finalement, une seule option se présentait valablement à elle : lancer la conversation et espérer ne pas s’enfoncer en passant encore davantage pour une abrutie.

« Et si tu me donnais quelques petits trucs pour me mettre Raven dans la poche! » Elle modéra son enthousiasme, réalisant qu’il contrastait de manière bien maladroite avec la bourde qu’elle venait de commettre. Elle s’accouda à la paillasse, les bras croisés, et pivota plus surement vers Jaylen. Elle se fendit d’un sourire pulpeux et plissa les yeux de manière aguicheuse. « Toi, par exemple, qu’est-ce qu’une fille peut faire pour te rendre dingue? » N’importe qui aurait vu là une manœuvre sournoise pour séduire Jaylen, mais cela n’avait rien à voir. Si elle ne voulait pas le reconnaître, Gemma restait bien trop naïve pour penser décemment à faire d‘une pierre deux coups. D’ailleurs, elle ne soupçonnait pas plus qu’en demandant des astuces au serpentard de cette façon, elle risquerait de le troubler. Pour elle, ce n’était que Jaylen, un ami et allié, mais elle ne pouvait pas imaginer qu’il fusse susceptible d’avoir des pensées sordides à son sujet. Ce fut donc en parfaite méconnaissance de cause qu’elle vint cueillir son menton et qu’elle rapprocha son visage du sien. Elle ne comprit pas le malentendu qui pourrait naître lorsqu’elle peignit une moue espiègle sur ses traits. « Dévoile moi tout. »

Elle relâcha finalement le menton du jeune homme puis croisa les jambes et se tourna alors complètement vers lui, se détachant de la paillasse. Elle se redressa fièrement, prête à recevoir les conseils du maître. Bien sûr elle ne s’inquiéta pas que cela mette davantage sa poitrine en avant, tout comme elle ne prêta pas attention à ce que Jaylen put voir lorsqu’elle se pencha en avant et ramassa le joint qu’elle avait laissé tomber. Elle le remit tranquillement de côté sur la table sans se soucier que le serpentard puisse vouloir le reprendre. Il était tombé par terre, il serait très malvenu qu’il le remette en bouche après tout. Il ne devait pas être possible d’en être à ce point accro.

J'aimerais pouvoir ignorer son malaise, mais quelque part, je suis étrangement tout aussi gêné que Gemma. Pourtant, c'est un sourire moqueur que je lui lance, ramenant le joint à mes lèvres sans une once d’hésitation. La fumée en est âcre et désagréable, et je m'étonne qu’elle n’esquisse même pas une grimace écoeurée. Elle est… embarrassée, tout au plus. Je crois. Mais déchiffrer les sentiments des gens n’a jamais tout à fait été ma tasse de thé.

« Leslie est une plaie, on est d’accord … Mais Raven doit avoir ses raisons. »

Cette fois, je ne peux m'empêcher de soupirer d'agacement. « Il doit avoir ses raisons ». Elle a donc réussi à s'enticher suffisamment de lui pour être prête à supporter, à excuser même, le fait qu’il ne cesse de la rejeter ? J'oscille entre qualifier cette attitude de « mignonne » ou tout simplement de pathétique. Quoiqu'en fait elle n'ait pas tort... Raven a ses raisons. La première : sa stupide morale, qui le limite à ne se taper aucune fille jugée trop jeune, quitte à se frustrer à mort. Et la deuxième, nettement plus importante : l’argent du père de Leslie. Avouons le, ce serait quand même con de perdre notre moyen de financement alors qu'on n'en est encore qu'au début de notre glorieuse carrière. Mais je trouve dommage qu’il ne profite pas de ce qu'il a à portée de main. Gemma l'intéresse ? Parfait, puisqu’il l'a presque à ses pieds ! Il serait simple de profiter de sa naïveté comme de ses sentiments. Ce n’est pas comme s’il avait quoique ce soit à perdre puisque Leslie serait incapable de le jeter, même après une infidélité. En fait, elles sont bien semblables de ce point de vue là : aussi mordue l’une que l'autre à ce cher Raven.

Mais je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de culpabilité à ces pensées alors que je retrace le visage de mon interlocutrice, m’attardant sur ses traits encore jeunes. Merlin qu'elle belle, encore perdue dans sa candeur un peu enfantine. Un savoureux contraste que cette fille – incorrigible et pourtant encore si inexpérimentée. J'ai du mal à croire que Rav’ ne craque pas. Je choisis finalement de ne rien rétorquer, parce que je me doute qu'elle n'a certainement pas demandé à me voir pour rien, et qu'il serait stupide de ma part de réduire à néant ses attentes avant même qu'elle ne m'en ait fait part. Je suis curieux.

Visiblement, elle est tout aussi impatiente que moi d'en arriver au sujet de notre présence ici, puisqu’elle s’empresse de s’asseoir à mes côtés pour…

« Hey ! »

J’essaie de rattraper son poignet pour stopper son geste – mais la drogue ne fait pas encore tout à fait effet et, pour l'instant, elle ne fait que ralentir les rouages de mon cerveau fatigué ; avant que je ne parvienne à la stopper, Gemma enfourne le split qu’elle vient de chiper à même mes lèvres. Sans même avoir eu le temps de ressentir les effets du mélange, elle suffoque, prise d’une toux incontrôlable, sans doute intoxiquée par la fumée, et je ne peux retenir un éclat de rire face à sa moue. Évidemment qu'elle s'en sort mal : c'est une novice. Seulement, elle ne me laisse pas vraiment le temps de lui montrer quoi faire. Probablement pressée de se débarrasser du pétard, elle le tire en se brûlant les doigts au passage avant de lâcher sous le coup de la surprise… Oublié l'amusement de tout l'heure. Mon regard demeure fixé un instant sur le joint échoué aux sols à quelques pas de nous, puis remonte doucement jusqu'à ses yeux, assassin. Je m'oblige à rester stoïque malgré mon envie de lui faire bouffer son petit sourire niais, mais il semblerait qu'elle soit d'humeur à me taper sur les nerfs aujourd’hui.

« Et si tu me donnais quelques petits trucs pour me mettre Raven dans la poche ! »

J’arque un sourcil agacé dans sa direction pour marquer mon scepticisme. Des trucs pour avoir Raven ? Bein voyons. Et ses remords alors ? Gem' est peut-être un peu conne sur les bords, de priver un drogué – cruellement en manque – de son "carburant" avant de lui demander son aide. Là tout de suite, j'ai juste envie de lui flanquer la tête dans la part de tarte au citron qui attend sagement son heure sur un coin de table. À croire de fréquenter de trop prêt des mioches réveille les réactions puériles.

« Toi, par exemple, qu’est-ce qu’une fille peut faire pour te rendre dingue? Dévoile moi tout. »

Je lui lance un coup d’œil torve et ne prends même pas la peine d'essayer de masquer mon agacement.

« Tu te fiches de moi ? Tu jouais à quoi, là ? Si tu veux faire ce genre d’expériences je risque pas d'être celui qui t'en empêchera mais merde, essais de m’épargner tes débuts chaotiques. Surtout si c'est ma came, que tu fous en l'air, et... »

Je m'interromps brusquement alors que mon regard glisse, malgré moi, de son visage à la naissance de son cou, pour terminer sa course au niveau de cette poitrine que sa position met en valeur. Elle m'a attrapé le menton du bout des doigts avant de rapprocher nos visages, et son air espiègle me laisse croire qu'elle a probablement quelque idée peu avouable derrière la tête. Je ne suis pas comme Raven – pas du genre à me priver pour une question d'éthique. Et immédiatement, tout trace de colère fond pour laisser place à un air lubrique dont elle est la cause directe. Pire encore lorsqu'elle se penche, récupérant finalement le joint qu'elle pose un peu plus loin sur la paillasse, sans doute persuadée que le reprendre ne me viendra jamais à l'esprit.

« En fait, tu sais quoi ? J'ai une idée. »

Je me penche vers elle – non, au-dessus d'elle serait plus exact – de façon à la surplomber, autant que possible alors que nous sommes tous les deux assis.

« Et si je te montrais ce que j'aime chez les femmes, au lieu de simplement te le dire ? J't'assure que tu aurais bien moins de mal à comprendre ainsi. »

Mon sourire se fait goguenard alors que je frôle sa joue de mes lèvres pour la déstabiliser. Qu'est-ce qui m'empêche de profiter de la situation ? Ce serait bien mon genre... et Raven n'est pas obligé d'en savoir quoique ce soit. Mon rictus se fige sans que je m'en rende compte alors que je fixe sa bouche, si proche de la mienne, plissée en un sourire pulpeux. Il serait si aisé de lui voler ne serait-ce qu'un baiser.

« C'est ce que tu veux, non ? » je demande, mais il s'agit plus d'une réflexion voix haute que d'une réelle question.

Son comportement est équivoque, tentant même, mais je ne peux m'empêcher de m'interroger. Est-elle seulement consciente de ce qu'elle fait ? Je me décide à jouer le jeu, pour mon bon plaisir, mais prend tout de même garde à ne pas oublier qu'elle ne sous-entendait peut-être rien de ce que ses phrases portaient à croire. Quittant finalement le tabouret qui limite mes gestes, je me place juste devant elle, l'entourant de mes bras qui s'appuient sur la table.

« Je suis certain que tu as suffisamment de goût pour te rendre compte que les uniformes de Poudlard... n'ont rien d'alléchant. Mais... Mon index se promène sur le col de son chemisier. Rien ne t'empêche de contourner ça. Il suffit de peu pour bien diriger le regard d'un mec. »

Je tire subrepticement sur un premier bouton durant quelques secondes avant de le détacher, l'interrogeant du regard au cas où elle se récrierait. Mais cela ne la dérangera pas, n'est-ce pas ? Elle vient de m'offrir une vue plongeante sur ses seins, je ne fais que pousser ma chance un peu plus loin, en me servant de l'excuse bancale qu'elle m'a elle même servie sur un plateau. Je fais mine de la jauger deux secondes, la tête penchée de côté.

« Hum... tu peux en détacher un autre. Avant de lui murmurer à l'oreille : J'aime que les femmes sachent jouer de leurs charmes. Mais n'en fait pas trop, le tout est de laisser deviner tes superbes formes sans forcément les montrer... Quoiqu'en voir plus ne me gênerait pas plus que ça, tu t'en doutes. »

Je lui adresse un sourire amusé, puis un clin d'oeil, et lui attrape la main pour la pousser à quitter son siège.

« Tu me fais confiance ? »

Mon sérieux est trompeur. Répondre « oui » serait d'ailleurs une erreur de sa part. Une erreur que je veux qu'elle commette. Ma question n'a de toute façon aucun but précis ; il s'agit surtout de curiosité. Est-ce qu'elle pense vraiment s'adresser à la personne la mieux qualifiée pour l'aider à conquérir l'homme de ses rêves ? Elle ne se doute probablement pas qu'avec moi, elle devra donner un peu de sa personne. J'atteins sa taille sur laquelle je m'attarde volontairement, et replie le haute de sa jupe pour la raccourcir. Puis mon index remonte le long de sa cuisse, taquinant un peu plus de cette peau que le tissu devrait m'interdire.

« Conseil numéro 1 : n'essaie surtout, surtout pas, de jouer un rôle que tu ne maîtrises pas. De ce que j'ai pu voir t'es la reine des maladresses. Alors évite de te la jouer, ok ?T'as juste l'air stupide, dans ces cas là. »

Je recule d'un pas, attrape le joint abandonné derrière et le porte à mes lèvres. Je le rallume, ferme les yeux en rejetant légèrement la tête en arrière et aspire une large bouffée. Puis je le lui présente à ses lèvres à elle, provocateur.

« C'est pas gratuit, fais un peu gaffe. Son hésitation m'amuse. Tu voulais essayer, non ? Retente ta chance... Prend ton temps. Il te suffit d'nspirer lentement, profondément, puis d'attendre quelques secondes que la drogue fasse effet. »

La tête me tourne un peu mais je ne cesse à aucun moment de la vriller de mes iris délavés, curieux de savoir si elle en sera capable ou non. Une légère fossette me fend la joue alors qu'un coin de mes lèvres s'élève en un demi-sourire.

« Je ne résiste jamais aux femmes d'expérience. »

« Tu te fiches de moi ? Tu jouais à quoi, là ? Si tu veux faire ce genre d’expériences je risque pas d'être celui qui t'en empêchera mais merde, essais de m’épargner tes débuts chaotiques. Surtout si c'est ma came, que tu fous en l'air, et... »

Tout cela ne respirait pas l’expérience, il n’avait pas tort, mais de là à sabrer les efforts courageux de Gemma … Prise de cours, son ventre se crispa et elle se sentit subitement bien misérable. Pourtant, elle ne pouvait pas laisser transparaître son malaise. Jaylen appartenait à ce groupe de personnes dont les réprimandes paraissaient si pénibles à supporter que les larmes semblaient être la seule alternative envisageable face à elles. Mais Gemma devait se faire un peu violence. Ce serait la première leçon que lui enseignerait le serpentard, involontairement; ne jamais montrer son émoi et rester inébranlable, quelques soient les circonstances. Cachant son manque d’assurance criant derrière un comportement aguicheur, elle s’employant à briser les défenses de Jaylen. Elle put constater qu’il n’était pas du genre à résister outre mesure à des avances, fussent-elles aussi sur jouées et maladroites que celles de Gemma. Ce qu'elle ignorait, c'était que les défenses du jeunes hommes s'étendaient à d'autres domaines.

« En fait, tu sais quoi ? J'ai une idée. »

Il se pencha vers elle, tout en prenant soin de la surplomber, sans doute de façon à lui montrer, sans équivoque, qu’il la surpassait et tenait les rennes de ce jeu dans lequel elle se précipitait avec un enthousiasme débordant.

« Et si je te montrais ce que j'aime chez les femmes, au lieu de simplement te le dire ? J't'assure que tu aurais bien moins de mal à comprendre ainsi. »

Ses lèvres frôlèrent la joue de Gemma, qui n’eut aucun mal à imaginer ce qui pouvait se tramer dans son esprit résolument vicieux. Malheureusement pour elle, son imagination était encore bien trop lisse et proprette pour seulement concevoir le quart des intentions du serpentard. Pourtant, lorsqu’elle arrondit ses lèvres en une moue pulpeuse, elle savait pertinemment l’effet que cela pourrait avoir sur lui. Gemma ne se lassait jamais de jouer avec le feu. En général, elle s’en sortait plutôt bien, les risques étant limités et ses anges gardiens à l’affut. Mais en l’occurrence, elle avait toutes les chances du monde de se brûler et personne ne semblait disposé à venir à son secours si la situation s’envenimait.

« C'est ce que tu veux, non ? »

Devait-elle vraiment répondre à cette question? Elle lui semblait plus rhétorique que posée à titre indicatif, aussi se garda-t-elle bien d’ouvrir la bouche. Ce n’était pas le moment de se laisser déstabiliser ou manipuler. Elle était là pour apprendre, certes, mais cela ne devait pas l’inciter à commettre ses premières erreurs. Elle couva Jaylen d’un air sceptique lorsqu’il se leva, lui fit face puis vint la bloquer en s’aidant de la table.

« Je suis certain que tu as suffisamment de goût pour te rendre compte que les uniformes de Poudlard... n'ont rien d'alléchant. Mais... Rien ne t'empêche de contourner ça. Il suffit de peu pour bien diriger le regard d'un mec. »

Peu désireux d’obtenir la moindre permission de sa part, il commença par jouer avec le col de son chemisier jusqu’à venir en titiller le premier bouton. Il ne lui résista pas et laissa une parcelle de la peau de Gemma se dévoiler à ses yeux. Ce fut seulement à ce moment qu’il trouva opportun de l’interroger du regard. Pouvait-elle vraiment lui refuser quoique ce soit alors qu’il semblait si bien parti? Et pour quoi passerait-elle si elle se rétractait subitement après avoir solliciter son aide sans le moindre détour? La détermination se lisait dans le regard de la lionne, qui comptait bien ne pas faire marche arrière. Les conséquences n’avaient jamais été de l’ordre de ses préoccupations, aussi ne chercha-t-elle même pas à les anticiper. D’autant que la manière qu'avait Jaylen de l’analyser ne faisait qu’attiser sa soif de connaissance.

« Hum... tu peux en détacher un autre. J'aime que les femmes sachent jouer de leurs charmes. Mais n'en fait pas trop, le tout est de laisser deviner tes superbes formes sans forcément les montrer... Quoiqu'en voir plus ne me gênerait pas plus que ça, tu t'en doutes. »

La précision était-elle indispensable? Sans doute pas. Gemma aurait été en droit de se demander si elle avait choisi son professeur avec suffisamment de discernement. Mais le fait qu’il puisse profiter de sa franchise et de sa détermination à séduire Raven ne lui effleura pas l’esprit une seule seconde. Aussi confiante qu’une vache menée à l’abattoir, elle se laissa faire et quitta son siège en plongeant un regard résolu dans les yeux mystérieux de son bourreau.

« Tu me fais confiance ? »

La question semblait ridicule, bien sûr qu’elle lui faisait confiance. Gemma pouvait être naïve parfois, se laisser apprivoiser bien trop facilement, mais en l’occurrence elle était venue elle-même chercher Jaylen. Dès l’instant où elle avait accepté de le rejoindre dans les cuisines, elle s’était contrainte à lui faire confiance. N’importe quel apprentissage ne passait-il pas d’abord et avant tout par une confiance réciproque? Ou au moins celle, unilatérale, de l’élève envers son professeur? Aussi Gemma inclina légèrement la tête en signe d’acquiescement. S’agissait-il d’un accord tacite ratifiant un pacte ou autre chose dans ses goûts là? Au fond, la jeune fille trouvait cela bien trop solennel, mais le moment ne lui paraissait pas opportun pour dérider l’atmosphère. Faute de mieux, elle conserva son sérieux et laissa Jaylen agir en toute impunité lorsque, lassé de sa taille, il porta ses mains à sa jupe pour en écourter sensiblement la taille. Elle ne broncha pas plus lorsqu’il poussa le vice jusqu'à glisser son index prétentieux le long de sa cuisse.

« Conseil numéro 1 : n'essaie surtout, surtout pas, de jouer un rôle que tu ne maîtrises pas. De ce que j'ai pu voir t'es la reine des maladresses. Alors évite de te la jouer, ok ?T'as juste l'air stupide, dans ces cas là. »

Tout son sang froid fut mis à contribution. Serrant les dents et maintenant son visage fermé, elle tenta de tirer partie de cet enseignement. Dans une toute autre situation, elle lui aurait simplement sauté à la gorge et lui aurait aboyé de se la fermer plutôt que de prendre cet air si supérieur avec elle. Mais de la même façon qu’elle devait accepter de lui faire confiance aveuglément, elle ne pouvait pas critiquer ses remarques; cela faisait partie du deal.
Ignorant tout du supplice de sa jeune élève, Jaylen reprit son joint et s’attacha à le rallumer après l’avoir porté à ses lèvres. Gemma préféra ne pas lui rappeler qu’il était tombé par terre mais sa moue écœurée parla pour elle. Qu’importe, le serpentard était bien trop obnubilé par le soulagement que lui procurait sa drogue pour prêter attention à ce que cela pouvait inspirer à la gryffondor. Pas de quoi se plaindre, du moins jusqu’à ce qu’il ne retire le joint d’entre ses lèvres pour le lui offrir provisoirement.

« C'est pas gratuit, fais un peu gaffe. Tu voulais essayer, non ? Retente ta chance... Prend ton temps. Il te suffit d'inspirer lentement, profondément, puis d'attendre quelques secondes que la drogue fasse effet. »

Espérait-il sincèrement qu’elle puisse vouloir retenter le coup? La fumée acre lui avait suffisamment brulé la trachée pour qu’elle ne s’obstine. Ce n’était tout simplement pas fait pour elle … Mais serait-il avisé de sa part de faire ça à son professeur? Était-elle en position d’écarter sa proposition par ailleurs si bienveillante et enthousiaste? Il serait à l’évidence bien indécent de lui opposer un refus dans ces conditions.

« Je ne résiste jamais aux femmes d'expérience. »

Décidée à suivre ses directives, les nouveaux propos de Jaylen la poussèrent néanmoins à la prudence. Elle l’observa un instant, inspectant le fond de ses prunelles à la recherche d’un élément qui lui aurait jusque là échappé. Il jouait avec elle, cela ne faisait aucun doute; mais pouvait-elle le lui reprocher? Il mettait la situation à profit tout comme elle profitait de tout enseignement qu’il pourrait lui prodiguer. Et l’épreuve du joint en serait un. Raven serait à coup sûr impressionné s’il voyait qu’elle n’était pas novice en matière de drogue et se verrait obligé de réviser son jugement concernant sa jeunesse et son inexpérience. Un sourire vague aux lèvres, Gemma attrapa le joint que lui tendait Jaylen, prenant cette fois garde de ne pas se brûler. Avec la même prudence innocente, elle le porta à sa bouche, entrouvrant à peine les lèvres pour l’y insérer. Se remémorant les paroles sages de son professeur, elle inspira lentement, profondément … trop profondément peut-être. Elle se retrouva vite submergée et suffoqua à nouveau. Mais cette fois, au moins, elle n’avait pas laissé le bien précieux du serpentard lui échapper. Lui rendant sans grande conviction, elle prit ce qu’elle estima être la plus raisonnable des décisions.

« On peut en convenir que je suis loin d’être une « femme d’expérience » en la matière, et franchement j’préfère autant remettre cette leçon à plus tard. » Elle se fendit d’un sourire sceptique qui se mut bientôt en une expression plus volubile et ô combien insidieuse. « Mais je te rassure, il se peut que je sois plus convaincante dans d’autres domaines. » Elle se mordit la langue inférieure et le regard dont elle caressa Jaylen ne manqua ni de malice ni de promesse.
« Apprend moi tout ce que tu sais, donne moi tous les trucs et astuces que tu connais, mais … » Elle saisit chacune des mains du jeune homme sans lui permettre de se défiler. «… tâche de préserver tes mains des zones de mon corps desquelles elles pourraient ne plus réussir à se détacher ensuite. » Un sourire mutin arrondit ses lèvres tandis que ses yeux se plissèrent, vicieux. A charge pour Jaylen de comprendre ce qu’il voudrait. N’était-ce pas ça aussi le jeu de la séduction, que de laisser à l’autre l’occasion de puiser des sous-entendus dans chaque nouvelle phrase? Gemma venait de mettre le doigt sur un élément essentiel. Comme un enfant à qui l’on offre un nouveau jouet, elle se sentait d’humeur à en user jusqu’à ce qu’une nouvelle découverte vienne en éclipser l’intérêt.

Les mains de Jaylen la désintéressèrent, aussi les lâcha-t-elle sans autre forme de procès. Se faisant, elle eut toute la liberté de poser ses avants bras contre le torse du jeune homme, se serrant contre lui. Elle misa sur son regard pour prouver qu’elle était bien décidée à aller jusqu’au bout de la leçon. Elle approcha ses lèvres au plus près de celles de Jaylen, les frôlant presque, au risque de commettre l‘irréparable. Son ton ne manquait pas d’audace bien qu’elle murmura à peine.

« Je suis prête à devenir ton pantin s’il faut en passer par là pour apprendre. »

Elle saisissait à peine toute la portée de ses mots. Elle continuait à croire innocemment que Jaylen l’aidait sans espérer la moindre contrepartie. Par « pantin », elle entendait seulement qu’elle était prête à suivre ses conseils, pour le meilleur comme pour le pire, mais il verrait surement les choses différemment. Elle le réalisa un peu tard, mais s’en remit à la gentillesse avec laquelle il acceptait de l’assister. Un serpentard si prompt à lui donner un coup de main ne pouvait pas être un mauvais bougre pas plus qu'il ne n'était susceptible de profiter de la situation!