The Time-Turner
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Here with me. ♦ ft. Tradd ; (terminé)

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Message par Montana D. Jones Dim 21 Fév - 20:16

« ‘Tana ? Tout va bien ? »
Je me tournais vers Tab' en hochant la tête, les yeux toujours baissés cependant. J’osais à peine la regarder dans les yeux depuis quelques temps, mes pensées en permanence tournées vers l’attaque. J’avais pourtant essayé dès que la prédiction s’était dévoilée de prévenir les autres étudiants et même les professeurs, mais naturellement, seul mon enseignant de divination m’avait crue. Et vu le crédit porté par les sorciers à cette science nébuleuse, je n’avais pu escompter que l’adulte parvint à convaincre le directeur ou que quiconque d’autre me croie. De nombreux élèves seraient pourtant blessés et agressés si je n’intervenais pas plus que ça… mais qui aurait donc bien pu me venir en aide ? J’avais déjà été traitée d’affabulatrice, voire de folle par cette furie d’Elhemina Hidelsheim : je m’étais bien doutée que personne d’autre ne serait disposé à m’écouter. J’avais averti Tradd qu’il courait un grave danger en se rendant à ce bal, mais pas plus que les autres il ne m’avait crue. Je lui avais pourtant dit que des individus malintentionnés s’y rendraient également, dans l’intention de se faire connaître au peuple de Poudlard et d’empêcher le bon déroulement de la soirée : peine perdue. Non seulement le préfet de Poufsouffle n’avait pas cru un mot de ce que je lui avais dit, mais encore m’avait-il clairement fait comprendre qu’il n’accordait aucune confiance à mes balivernes. Il était comme les autres au fond … un sceptique, un ignorant qui ne laissait ses yeux voir que ce qu’il voulait bien voir. De toute façon, comme je m’en étais doutée, Tradd ne s’était pas enfui au moment critique : il avait combattu aux côtés des autres étudiants et aux miens, avant d’être poussé vers la sortie par la foule apeurée. Je lui avais alors faussé compagnie pour m’assurer de la sécurité de Tabatah : j’ignorais si le garçon m’avait cherchée, s’il s’était inquiété pour moi ou au contraire, bien moqué de ce qui pourrait m’arriver. Je n’avais pu, de mon côté, qu’être mortifiée lorsque j’avais découvert - quelques minutes plus tard - que j’avais laissée Tabatah directement dans l’antre du dragon.

J’évitais depuis avec constance et acharnement la clique de Clyde : Keaton, la petite star du Quidditch Emalee Gilliam et Andrews lui-même ne me posaient aucun problème. Tous, ils ignoraient mon existence – ou peu s’en fallait. Personne ne s’intéressait à la barge des bleus et argent. Pourtant Harper me donnait déjà un peu plus de mal, et j’avais ces derniers temps un mal de chien à lui fausser compagnie. Nom d’une gargouille, que pouvait bien me vouloir cette petite gorgone teigneuse ? M’avait-elle percée à jour ? Avait-elle pressenti mes soupçons ? Je tentais chaque jour de me rassurer, me répétant que cela était peu probable, mais je n’aimais pas que Tradd l’approche. Elle avait été présente lorsque Clyde avait ordonné sa mort devant ses sbires, et je ne souhaitais pas lui donner la moindre chance d’accomplir cet ordre. Mes pensées s’égarèrent vers ce fameux soir, cette fameuse discussion : je revoyais Clyde, presque comme si j’y étais encore, lever les bras pour ordonner la mise à mort du Poufsouffle… expliquant, sourcils froncés, qu’il en savait désormais trop pour qu’on le laisse en vie. Je savais désormais à peu près quelles étaient les personnes qui risquaient d’assassiner Tradd mais le fait qu’elles fussent, pour la plupart, de ma maison me mortifiait. Dire que je déjeunais, étudiais et dormais avec certaines de ces personnes…

Je soupirai, rouvris les paupières. Tradd me dévisageait curieusement : déconcertée, je soutins son regard, m’attendant à ce qu’il fuie aussitôt. Au lieu de quoi, il continua à me scruter de façon pénétrante. Il était exclu que je cède la première, cependant mes mains s’étaient mises à trembler. Les images de ma vision le concernant commencèrent doucement, subrepticement à envahir mon esprit. Nous étions avec les jaunes et noir aujourd’hui – cours commun de potions. « Mister Cooper ? », appela le prof, attendant une réponse à une question que je n’avais pas entendue. « Un bézoard, » lança Tradd sans le regarder. Immédiatement, je plongeai dans mon livre de potions. Plus pleutre que jamais, je ramenai mes cheveux par-dessus mon épaule droite afin de dissimuler mon visage. J’étais incrédule devant la bouffée d’émotions qui m’avait saisie, juste parce qu’il avait daigné me regarder : visions, frissons, et retour des maux de crâne – en plus de cet éternel attrait qu’il exerçait sur moi, à la différence de tous les autres garçons que je connaissais – et ils étaient un certain nombre. Je ne lui permettrai pas d’avoir une telle influence sur moi : c’était minable. Plus, c’était malsain. Digne d’une petite ado prépubère de douze ans et rien d’autre.

Je fis mon maximum pour l’oublier durant le reste de l’heure et, comme c’était impossible, pour qu’au moins il ne devine pas que j’étais consciente de sa présence. Quand la cloche sonna enfin, je rassemblai mes affaires en priant pour qu’il file tout de suite rejoindre ses amis, comme de coutume.
« ‘Tana ? » Sa voix n’aurait pas dû m’être aussi familière. De mauvaise grâce, je me retournai. Je ne voulais pas éprouver ce que je savais que je ressentirais devant son visage trop beau, trop chaleureux. J’arborai une expression prudente, voire perplexe ; la sienne était indéchiffrable. Il n’ajouta rien. « Quoi ? Tu m’adresses de nouveau la parole ?! » finis-je par demander, une involontaire note irascible dans la voix. Trop irascible, d’ailleurs, pour un garçon qu’au fond je connaissais à peine et qui n’était même pas dans ma maison. Je me repris en me mordant la langue. « Non, pas vraiment », admit-il, tandis que ses lèvres frémissaient pour étouffer un sourire. « Alors qu’est-ce que tu me veux, Tradd ? » J’étais agacée – non, énervée – qu’il s’adressa ainsi à moi à l’improviste, comme si j’étais l’une des petites Poufsouffle de sa cour qu’il pouvait moquer ou rejeter à son aise, pour ensuite les reprendre suivant sa bonne volonté. Mais non, je disais des âneries : Tradd n’était pas comme ça et je le savais parfaitement. Il m’avait pourtant raillée, envoyée balader lorsque je lui avais fait part de ma vision concernant les Cagoulés : monsieur venait-il donc faire son mea culpa ? J’avais peine à y croire, furieuse qu’il revînt à la charge. Mais pouvais-je vraiment lui reprocher sa réaction ? Aux yeux de tous – même de certains de mes plus proches amis – je n’étais que l’étrange Montana Jones, une Serdaigle un peu timbrée qui prétendait avoir des visions. Tradd était préfet, et populaire de surcroît : pourquoi aurait-il du afficher une opinion différente des autres ? On se serait moqué de lui à son tour, et sans doute était-il de son devoir de conserver un minimum de crédibilité auprès des étudiants. « Je te prie de m'excuser ». Il paraissait sincère. « J'ai manqué de courtoisie à ton égard... » Tu peux le dire, Samir ! Non mais pour qui me prenait-il ? Croyait-il qu’il suffisait de venir m’adresser de vagues excuses avec un faux air contrit pour que j’oublie soudainement tout ? Ses coups d’œil écœurés, sa façon de m’éviter pour trottiner après Fear comme un bon chienchien…

Le pire, c’est qu’il avait raison. J’étais tellement charmée en sa présence que j’en oubliais jusqu’à mon amour-propre. « Stupide petit Poufsouffle », marmonnais-je entre mes dents. « Pardon ? » Je relevais les yeux vers lui : son visage, tourné vers moi, arborait une expression mi-furieuse, mi-blessée. Réalisant que j’avais été indélicate, je secouais la tête de mauvaise grâce en signe de dénégation. « Non, rien. Tu désirais autre chose ? » Plus les minutes s’écoulaient, plus cet entretien m’indisposait ; j’éprouvais pour lui une inclination dangereuse et surtout, illusoire : pourtant à cette minute, je n’étais que colère envers lui – et cela ne me plaisait pas. Je n’avais pas le temps, pas l’énergie d’être en colère en ce moment : et s’il persistait à défier sottement Andrews ou à faire du gringue à Harper comme le dernier des idiots, je n’allais pas tarder à abandonner. J’avais beau avoir l’âme d’une bonne samaritaine, je ne pouvais sauver personne contre son gré et n’appréciais guère, de surcroît, que l’on se moqua de moi de la sorte. J’en avais assez en ce moment de le voir partout, tout le temps et où que j’aille, assez de ne plus savoir s’il était possible qu’il chercha lui-même à me croiser, ou si le suivre m’était devenu tellement inconscient que ç’en était presque devenu une habitude.

Etant donné les probabilités passablement faibles pour qu’il me prêta, pour une raison ou une autre, un quelconque intérêt, j’avais tendance à pencher pour cette seconde option – qui au fond ne me plaisait guère plus. Dans tous les cas j’étais perdante, même si ces derniers jours – depuis l’attaque, clairement - un nombre étonnamment élevé de personnes à Poudlard commençaient à reconsidérer leurs opinions vis-à-vis de mes prédictions. Sans doute était-ce son cas. Etais-je pour autant disposée à leur pardonner leur incrédulité ? Cela restait à voir. Ces derniers temps je me sentais maussade, triste et inefficace : cette attaque avait déteint sur mon humeur – comme sur celle de bien d’autres – et même les effets de ma petite victoire sur moi-même au terrain de Quidditch s’étaient estompés. Il n’en restait d’ailleurs nulle trace, étant donné que mon poignet était à présent guéri. Etrangement, j’avais conservé par une étrange habitude mon bandage autour de ma main : cela me réconfortait… maigre réconfort. « Je dois te parler – en privé. Ce soir, à sept heures près du Lac, cela t’irait ? » Ebahie, je me contentais de le contempler sans trop savoir quoi dire, avant d’hocher lentement la tête. Etais-je en train d’halluciner, ou Tradd venait-il de me proposer un rendez-vous ? Bon, évidemment, rien dans son regard, son allure ou ses propos ne me portait à croire à un rendez-vous galant ; mais de quoi pouvait-il bien vouloir me parler ?

Intriguée, je fonçais dès la fin du dernier cours vers mon dortoir sans prendre la peine d’attendre l’une ou l’autre de mes amies, et entrepris de me préparer. Je n’avais pas vraiment besoin de quoi que ce soit, mais ne souhaitais pas non plus me présenter au lac dépenaillée, hirsute et mal coiffée après une journée de cours harassante. Le temps pour moi de me débarrasser sous la douche de la sueur du jour, et je quittais la salle de bain dans un nuage de vapeur parfumée, brossant doucement mes cheveux. M’octroyant une dernière retouche, je clipsais l’épingle fermant mon manteau puis fis brièvement un tour sur moi-même, m’accordant un coup d’œil dans le miroir. Tabatah m’avait décrétée tout à fait jolie, voire selon elle, absolument ravissante avec ma cape de sorcière en velours voltigeant doucement derrière moi, dissimulant un uniforme strict mais sobre et bien coupé, et mes longues boucles brunes ondulant délicatement sur le tissu noir. L’uniforme de l’école – aux couleurs de ma maison – n’était certes pas le style le plus techniquement adapté à l’effet que j’espérais produire, mais il était hors de question pour moi de passer pour une gourgandine en affichant des vêtements trop courts et d’un goût douteux… et de toute façon, c’était ainsi que je m’étais promenée toute la journée : pourquoi changer ? Pour donner à Tradd l’impression que son opinion sur mon physique était plus importante qu’elle ne l’était en réalité ? Que je souhaitais le rendre sensible à mon apparence ou à mes attraits ? Ridicule ! J’avais cette chance que l’uniforme scolaire m’allait plutôt bien, mettant en valeur mon teint pâle et mes grands yeux bistre, ainsi que mes membres fins. La chemise blanche de l’école dessinait de façon plutôt satisfaisante mes formes, quant à la jupe grise plissée que nous les filles devions porter, elle ne manquait généralement pas de produire son petit effet. En l’occurrence pour cette rencontre, je préférais donc favoriser le naturel, me donnant simplement la peine d’enfiler une pièce d’uniforme fraîchement lavée. Tradd serait bien observateur – ou bien futile, au choix – s’il remarquait qu’elle était neuve.

À sept heures moins le quart je descendis les escaliers de la tour Nord, non sans triturer nerveusement mes mains. Ne pas savoir ce que Tradd pouvait bien me vouloir était agaçant, inquiétant même et je n’osais me risquer à l’imaginer moi-même. Sept heures moins cinq : je poussais la massive porte d’entrée et entrepris de dévaler les degrés. Si je ne me pressais pas un peu plus que ça, j’allais être en retard – chose que je détestais. Mais savoir que je m’apprêtais à parler à Tradd était une chose, m’y préparer dans mon for intérieur était une autre : aussi mon cœur loupa-t-il quelques battements lorsque je l’aperçus au loin, à quelques mètres à peine de l’endroit où je me trouvais. Lentement, j’entrepris de m’avancer progressivement vers là où il se tenait. Parvenue face à lui, je me contentais de le scruter quelques secondes avant d’hocher la tête, n’osant m’avancer plus. Une bonne distance nous séparait, posée là comme une limite naturelle et sécurisante entre nous : je ne fis toutefois aucun geste pour la franchir, bien que j’en eus l’idée un instant. Me rapprocher ? Pour quoi faire ? Cette barrière me sécurisait, me protégeant de sa personne et de l’influence dangereuse qu’il exerçait sur moi sans le savoir. Ainsi, j’aurais tout loisir de conserver à la fois la tête froide et les idées claires.

« Bonsoir… tu voulais me parler ? »

Je m’étais efforcée de rendre mon ton aimable et ouvert, mais ma voix quelque peu tremblante me trahissait, j’en avais conscience – tout autant que je détestais cela, d’ailleurs.


Dernière édition par Montana D. Jones le Sam 11 Déc - 20:03, édité 3 fois
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Message par Tradd Cooper Dim 7 Mar - 19:08

Toutes mes certitudes étaient devenues des doutes, comme si tout ce que j’avais toujours considéré comme m’étant acquis m’avait été soudainement dérobé. Ma vie excepté, et c’était une chance. Cette constatation avait alors muté en véritable obsession, et je ramenais tout au soir de l’attaque des cagoulés. Quel que soit le mot qui parvenait à mes oreilles, quelle que soit la pensée qui s’attardait dans mon esprit, les images défilaient sous mes yeux avec la même fièvre, la même puissance que le soir du bal. Un tragique spectacle. Obsédant, incessant, opprimant. Je ne pouvais me soustraire à ce souvenir qui me déstabilisait toujours plus ; les élèves paniqués, l’incompréhension que je devinais sur leurs visages – et que je ressentais également. Pourtant, j’avais bel et bien été prévenu. Montana D. Jones m’avait prévenu, mais comment aurais-je pu alors la croire ? Depuis notre entrée à Poudlard, les rumeurs les plus folles couraient à son sujet, et je n’y avais jamais accordé une réelle importance, considérant ces racontars comme une espèce de curiosité mal placée à l’égard des élucubrations qu’elle inventait. J’étais pourtant conscient que, dans l’école, certains se moquaient d’elle sans même chercher à dissimuler leurs rires, tandis que d’autres l’ignoraient simplement. J’appartenais donc à ce second groupe – tout simplement. Nous avions des cours en commun, mais nous ne nous adressions la parole que très rarement. Jusqu’à ce qu’elle me mêlât à ses histoires invraisemblables. Je n’avais évidemment guère pris ces avertissements au sérieux ; et j’avais goûté à la vérité quelques soirs plus tard, lors du bal. Je m’en apercevais désormais, j’avais été des plus grossiers avec elle, rejetant ses confessions avec un simple mouvement d’épaules. Je lui avais évidemment réclamé des preuves, ce qu’elle avait été dans l’incapacité de me fournir, et je lui avais simplement rétorqué de me laisser en paix, car je n’avais jamais cru en ses « balivernes » alors qu’elle n’avait cherché qu’à me protéger. En conséquence, j’étais perdu, je risquais ma vie, et j’étais rongé d’affreux remords.

Il n’était alors étonnant d’apprendre que le cours de potion du jour – en commun avec les étudiants de la maison Serdaigle - ne m’intéressait nullement. Je le passais plutôt à la vriller de mes prunelles curieuses, avides des éléments que je pourrais encore apprendre. Montana se trouvait à un rang devant moi, quelque peu à ma gauche. La vue était dégagée, et cela faisait bien de longues minutes que je me concentrais sur elle et sur les différentes émotions qui émanaient de son visage. « Qu’est-ce que tu regardes comme ça, Coop’ ? » Je plissai les yeux, fronçai les sourcils en haussant simplement les épaules. Le coude que je sentis s’abattre dans mes côtes me fit à peine grogner, mes pupilles éternellement tournées en direction de la jeune Serdaigle. J’étais tout simplement fasciné, et c’en devenait malsain. Je ne pouvais dire s’il s’agissait d’une simple curiosité à en savoir davantage sur ses visions afin de protéger ma vie, ou s’il ne s’agissait que d’elle, et de l’étrange emprise qu’elle semblait avoir sur moi. « Rien qui ne soit susceptible de t’intéresser. » murmurai-je platement. La réponse ne lui suffisait nullement, je le devinais au rire étouffé qui s’échappa de ses lèvres. « Mais quelqu’un qui est très susceptible de t’intéresser, on dirait. » Le sous-entendu était à peine contenu, et je ne pouvais l’ignorer : je lâchai la brunette du regard et portai toute mon attention sur mon voisin de paillasse. Merlin, j’avais brusquement envie de le frapper au beau milieu du visage, histoire d’exploser cet air moqueur ! Je n’avais pourtant jamais été violent – du moins, jamais sans une raison valable – mais mes nerfs étaient mis à rude épreuve ces derniers temps, et tout cela se ressentait dans mon humeur, plus irritable et plus désagréable que jamais. « Lâche-moi. Tu ne peux pas comprendre. » fis-je, amer, en me retournant vers la jeune bleu et argent. Ma vérité était là. Ils ne pouvaient pas comprendre. J’étais perdu, désespéré, et personne n’y pouvait rien, personne ne pouvait en saisir les subtilités. Montana excepté.

À mes côtés, mon camarade s’était tu, probablement absorbé par la vaine tentative de deviner ce que je dissimulais sous ma mauvaise humeur. Je souris faiblement à cette pensée : il pouvait s’y perdre, il ne devinerait jamais ce qui me rendait si sauvagement maussade, car tout ce qui m’arrivait depuis plusieurs mois étaient tout bonnement inimaginables. Premièrement, j’interceptais une conversation des plus privées entre Clyde et ses sbires. Puis, on venait me confier que ma vie était en danger à cause de ce même Clyde et, finalement, j’en avais la preuve avec l’attaque des cagoulés. On ne pouvait décemment pas dire que j’étais épargné. Ni que j’avais épargné, cependant. Montana avait changé d’expression. Plus inquiète, plus tendue, je venais de l’apercevoir fermer ses paupières, respirer lentement, certainement afin de se calmer. Je l’observais plus attentivement, laissant mes yeux papillonner sur le moindre recoin de son visage. Que n’aurais-je pas donné pour avoir la capacité de lire dans son esprit et m’abreuver de toutes ses pensées ! Étrangement, je ne souhaitais pas simplement avoir accès à ses visions me concernant, à ce qui pourrait m’aider, mais plutôt à tout ce qu’elle pensait – le plus intimement parlant. Une telle insistance ne resta pas longtemps inaperçue : elle ouvrit soudainement les paupières. Je ne bronchai pas, ne cherchai pas même à dissimuler mon engouement. Je n’éprouvais d’ailleurs aucune honte à la dévisager ainsi, et je ne détournai pas mes iris inquisiteurs lorsqu’elle y planta les siens, surprise. Elle me surprit en soutenant mon regard, et j’en fis un jeu, une espèce de manège, sans craindre l’arrivée d’un éventuel spectateur. Et pourtant... « Mister Cooper. » m’interpela-t-on au devant de la classe. Bon sang, j’en avais oublié ma présence en cours ! Rapidement, je me rejouai les dernières secondes de la leçon, me souvins – fort heureusement – de la question posée et eus un bref mouvement d’épaule. « Un bézoard. » répondis-je sans me détourner. Concis, bref. J’étais si sûr de moi que mes yeux n’avaient pas bougé. Ce ne fut pas les cas de Montana, qui piqua un fard et vrilla le vert de ses pupilles sur le livre déposé sur son pupitre. J’inspirai profondément, m’écartai de sa vision à regret. « À quoi vous jouez, Jones et toi ? » souffla une voix, avide d’un éventuel racontar à lâcher dans les détours d’un couloir. Un énième. Je l’ignorai – purement – attrapai mon stylo-plume et feignis, durant le restant du cours, une attention toute particulière.

Je n’avais jamais rien subi de plus abrutissant. Toutes mes pensées allaient dans sa direction et, depuis que j’avais croisé le vert surpris de ses yeux, j’étais dans l’impossibilité de recouvrer mon entière concentration. Il fallait que je trouve un moyen de m’entretenir avec elle. Comme si une force supérieure avait saisi ma requête, la sonnerie retentit, annonçant la fin de mon enfer personnel. Du moins, une partie de cet enfer. Je me redressai avec fièvre, regroupai mes affaires avec une rapidité effarante. « Je vous rejoins à la salle commune. Ne m’attendez pas. » fis-je aux amis avec lesquels je quittais la classe, d’ordinaire. Ils acquiescèrent, et je les saluai brièvement, avant de m’avancer en direction de l’autre partie de mon enfer personnel. Montana. « Tana ? » Le surnom m’avait été bien trop agréable à prononcer. Un souffle tiède qui avait glissé sur ma langue, s’était envolé dans l’air confiné de la classe. Comment ne pas en devenir dépendant ? La prudence incarnée, elle se retourna. J’aurais bien ajouté quelque chose, n’importe quoi, mais je préférais lui donner l’occasion de tourner les talons et de m’ignorer royalement. Après tout, elle en avait le droit, après le traitement que je lui avais administré. « Quoi ? Tu m’adresses de nouveau la parole ? » Farouche. Si farouche que je faillis reculer, par crainte qu’elle ne me saute au visage. Cette pensée me fit sourire, et je tentai vainement de retenir le coin de mes lèvres qui s’étiraient. « Non, pas vraiment. » Je ne voulais surtout pas qu’elle pense que je puisse me moquer d’elle, essayait violemment de rester sérieux, mais le souvenir du ton sauvage avec lequel elle s’était adressé à moi m’amusait. À tous les coups, Montana D. Jones était bien plus indomptable que ce que l’on voulait bien imaginer. J’étouffai un rire. Cette pensée était totalement déplacée. « Alors qu’est-ce que tu me veux, Tradd ? » Je recouvris immédiatement tout mon sérieux, légèrement embarrassé. Il n’y avait aucun moyen d’introduire ce que je souhaitais lui dire et, pourtant, j’aurais souhaité qu’il en existât un. Je m’étais montré des plus indélicats envers elle, alors qu’elle n’avait souhaité que me mettre en garde. Évidemment, je n’aurais pu me douter qu’elle pût dire vrai en m’annonçant une attaque, et ma mort imminente, mais elle méritait mes plus plates excuses.

Je passai doucement une main sur ma nuque, m’y attardai plus que nécessaire, comme si ce geste avait le pouvoir de défaire le nœud qui s’était formé dans ma gorge, m’empêchai d’inspirer correctement, et lui adressai un sourire contrit. « Je te prie de m’excuser. » commençai-je en pinçant les lèvres. « J’ai manqué de courtoisie à ton égard. » Je le pensais, et espérais vivement qu’elle le remarquait. Je devinais que ces quelques mots étaient purement insuffisants, et j’allais reprendre la parole lorsqu’elle m’interrompit. « Stupide petit Poufsouffle. » Un marmonnement, qui était néanmoins parvenu à mes oreilles. Je me raclai la gorge, haussai un sourcil. Le pire n’était pas l’insulte, ni le ton de reproche caché en dessous, mais plutôt le fait qu’elle me fasse tant d’effet. « Pardon ? » J’espérais avoir mal compris ? J’espérais surtout qu’elle n’abrège pas la discussion. « Non, rien. Tu désirais autre chose ? » Elle avait deviné. La salle de classe n’était pourtant pas le lieu idéal pour ce que je désirais d’elle. D’ailleurs, que désirais-je encore d’elle ? Ne m’avait-elle pas aidé ? N’avais-je pas rejeté cet aide ? Tout ce que je voulais, c’était une chance de rattraper mon indélicatesse. Pour l’instant, du moins. « Je dois te parler – en privé. » pressai-je, accompagnant ma requête d’un regard un peu trop insistant. « Ce soir, à sept heures près du lac, cela t’irait ? » Je lui donnais à peine le temps d’acquiescer que je quittais déjà la salle, la plantant là avec ses interrogations.

J’arrivai au lac avec plus d’une demi-heure d’avance. J’avais fait un bref détour par la salle commune, afin de me débarrasser de mes affaires de cours, de m’enfoncer sous l’eau brûlante de la douche, et de troquer mon éternel uniforme contre une tenue plus décontractée. De surcroit, je n’avais jamais montré une telle impatience à me rendre dans le parc, et cela avait éveillé les soupçons des plus curieux. Résultat, j’avais essuyé quelques moqueries, mais rien de bien méchant. Chacun s’en était sorti sans le moindre bleu ; à croire que la violence qui semblait m’habiter depuis quelques temps perdait du terrain. Depuis que j’évoluais sur le petit sentier qui menait au lac – je faisais les cent pas, plutôt -, j’avais estimé à six mes coups d’œil en direction des portes en bois, ainsi qu’à neuf ceux jetés à ma montre. Au dixième, finalement, je perçus des pas qui s’avançaient dans ma direction, relevai la tête et adressai un sourire à la brunette qui s’arrêta à quelques mètres. « Bonsoir… tu voulais me parler ? » Certes, mes yeux s’attardaient un peu trop longuement sur sa silhouette, mais j’avais au moins l’excuse de la surprise. Après tout, il n’était guère habituel que nous nous retrouvions seuls. Je pinçai discrètement les lèvres ; était-ce une excuse suffisante face à tant d’insistance ? Je ne pouvais pourtant pas me détourner de sa vision. Je l’avais souvent croisée, mais c’était comme si je la voyais pour la première fois.

« Bonsoir. » répondis-je lentement, pensant longuement la moindre syllabe qui franchirait la barrière de mes lèvres. Je soufflai, enfonçai mes mains dans les poches de mon blouson. J’essayais de retrouver une certaine crédibilité. « Je ne l’avais jamais remarqué, mais tu portes magnifiquement bien les couleurs de ta maison. » Stupide. Moi qui cherchais à recouvrer contenance. Ma seule consolation était le fait que mon compliment pût être interprété plus innocemment qu’il n’avait été énoncé. Peut-être penserait-elle que je flattais son intelligence ? Abandonnant l’analyse de ma niaiserie naissante, je m’approchai d’une démarche plus assurée, effleurai son coude de ma main droite afin de l’inviter à me suivre. « Marchons un peu, tu veux bien ? » m’assurai-je avec un coup d’œil. Le but était surtout que nous nous élognions des regards curieux. « Il est vrai que je souhaiterais te parler. » Le contact physique n’était pas la solution à mon trouble, et j’en avais conscience. Je lâchai son bas à regret, et ma main réintégrait sa place dans la poche de mon blouson. « Une fois de plus, j’aimerais que tu pardonnes mon manque de tact. » ajoutai-je plus lentement. « Lorsque j’ai dit m’être montré discourtois, j’étais très loin de la vérité. J’ai été absolument injuste, et je le regrette. » C’était le moins que l’on puisse dire : j’étais assailli de remords. Ainsi que d’autres sentiments que j’omettais sciemment.

« Cela fait longtemps que tu as... disons, ce don ? » m’intéressai-je en lançant le sujet que je souhaitais aborder - précisément.

Comment ma démarche pouvait-elle ne pas paraître intéressée ? Évidemment, j’aspirais à tout connaître de ses visions. Après tout, il en allait de ma vie, et je n’étais pas du genre à plaisanter avec ce genre de priorité, mais je ne voulais surtout pas qu’elle pense que je ne m’intéressais qu’à son don. Pour autant, je ne souhaitais pas non plus qu’elle devine que je m’intéressais à plus. Eh bien, ma démarche s’annonçait des plus délicates.


Dernière édition par Tradd Cooper le Dim 10 Oct - 7:34, édité 1 fois
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Message par Montana D. Jones Mar 9 Mar - 1:46


J’observais Tradd un moment, figée, craignant le moindre pas de travers : j’étais si maladroite ! Il ne manquerait plus que ça : que je trébuche dans l’herbe et m’étale à ses pieds comme la reine des gaffes que je savais être. Si je commettais maintenant une bourde, à présent qu’enfin j’avais l’occasion de lui parler – puisqu’il semblait disposé à m’écouter – je m’en voudrais éternellement : aussi pris-je bien soin de conserver les yeux posés sur le bout de mes pieds, de crainte que les quitter un instant du regard ne réactive aussitôt la douloureuse gravité qui semblait m’entraîner comme un poids vers le sol. Bien sûr, mes souliers de cuir vernis étaient nettement moins fascinants que la silhouette de Tradd - que je sentais devant moi plus que je ne la devinais - et la tentation de lever les yeux, tel Orphée devant Eurydice, était terrible. Mais à l'image de ce personnage mythique, j'étais si incrédule, si démunie face à la scène qui se déroulait sous mes yeux - et à laquelle je participais malgré moi - que je n'osais redresser mon regard et dévisager le préfet. Qu'arriverait-il si d'aventure je croisai ses iris ? La terre s'ouvrirait-elle sous lui telle une sinistre bouche vorace pour le happer dans les ténèbres et le faire disparaître à jamais ? ...

Merlin, je dramatisais trop ; c'en devenait ridicule. Que m'arrivait-il ? Pourquoi ne parvenais-je décidément pas à contrôler la course erratique de mes pensées en sa présence ? Intérieurement, mon esprit repassait en boucle la scène de l'après-midi, dans un vain effort pour se convaincre de sa réalité. N'avais-je pas rêvé tout cela ? Il semblait que non, et pourtant : tout ça était par trop improbable. Pourquoi Tradd se serait-il amusé à passer toute une heure de cours entière - où il avait nettement mieux à faire, comme par exemple apprendre ses potions - à me dévisager sans interruption ? Car il avait beau m'inspirer certaines émotions confuses et mal définies, quelques songeries que je n'osais formuler clairement, je ne disposais pas d'une confiance en moi suffisante pour ne serait-ce que fantasmer ou imaginer la scène qui s'était déroulée il y avait de cela quelques heures. Et toujours tournait en boucle dans ma tête cette même question, tel un leitmotiv obsédant : que me voulait-il ? Se renseigner sur cette fameuse vision de l'attaque, qui s'était tragiquement réalisée de A à Z ? Me reprocher de l'avoir lâchement abandonné face au danger pour courir vers Tabatah ? Avoir à m'échapper de la sorte m'avait blessée, certes, et je ne pouvais nier que j'avais été morte d'inquiétude en redescendant vers le couloir des Poufsouffle, où j'espérais que quelqu'un - n'importe qui, un camarade de classe sans doute - l'aurait aperçu vivant.

Pourtant je ne ressentais aucune culpabilité pour mes actes. Qui aurait protégé Tabatah si j'étais restée, courant le risque de mourir ? Qui aurait veillé sur Adam si toutes deux avions été frappées d'un Avada ? Il n'y aurait d'ailleurs peut-être même plus eu d'Adam pour jouer un grand rôle dans l'histoire à venir. Aussi, malgré l'intensité du soulagement qui m'avait traversée lorsque j'avais aperçu le Poufsouffle bien vivant dans les couloirs, ne ressentais-je aucune honte. Il n'était pas mon seul souci, pas ma seule préoccupation : j'en avais d'autres comme lui à sauver, et bien que mon instinct premier avait été de le mettre lui en sécurité - ou à défaut de le défendre au péril de ma vie - ma raison avait immédiatement repris le contrôle de mon corps dès que le Poufsouffle s'était trouvé éloigné de tout danger.
Je repassais à présent chaque minute de ce court entretien qui m'avait pourtant paru durer des heures : il me semblait à présent qu'il s'était déroulé il y a des siècles, tant j'étais rongée d'appréhension. J'entendais à nouveau ces quelques mots qui m'avaient glacée sur place, tandis que je tournais le dos à Tradd, occupée à ranger mes affaires : « Je vous rejoins à la salle commune. Ne m’attendez pas. » J'avais deviné plus qu'entendu ses pas derrière moi, sa présence muette dans mon dos jusqu'à ce qu'il prit la parole. Mon diminutif sonnait dans sa bouche comme un gâteau, une sucrerie fondante que l'on savoure jusqu'au dernier morceau. Comme le parfum d'une rose un matin de printemps. Comme une main dans la vôtre un jour de grand soleil. Ce faisant son souffle tiède avait buté contre ma nuque, me signalant au passage à quel point il était près ; bien trop près. Mon apparente férocité avait été ma seule parade ; de fait, il avait reculé, rétablissant ainsi entre nous une distance plus tenable pour mes nerfs. Je ne savais, s'il se rapprochait plus, quel serait mon geste le plus naturel ; de lui asséner une gifle ou de le serrer dans mes bras de soulagement, ni l'un ni l'autre ne me semblait une solution saine ou constructive.

Une fragrance indéfinissable atteignit mes narines tandis que je quittais mes songeries pour revenir à l'instant présent ; une odeur de propre, jointe à une senteur parfumée qui n'était pas sans rappeler celle que j'imaginais être celle de la salle de bain des préfets, ou en tous cas de ses bains moussants aux innombrables bulles. Un endroit aussi somptueux qu'agréable, à ce que voulaient bien en dire ses heureux utilisateurs, et que j'aurais rêvé de visiter si seulement j'en avais eu le droit. Bien des fois, Emerson m'en avait conté les merveilles ; mais en ce qui me concernait, je n'avais hélas guère de Dayton à ma disposition pour me révéler ce lieu magique. Il me fallait donc me contenter des douches communes, affreusement laides et qui présentaient malheureusement l'agrément d'être aussi peu confortables et intimes que les toilettes de Mimi Geignarde. Fixant toujours obstinément mes chaussettes avec un air malheureux, ne sachant trop où me mettre, j'entrepris de tordre nerveusement entre mes doigts le bas de mon chemisier - ce qui n'était assurément pas une bonne idée, puisque non seulement j'avais à présent une allure plus ou moins relâchée des plus suspectes, mais le bas de ma chemise blanche baillait désormais par-dessus ma jupe grise, révélant une partie de mon ventre que je m'empressais de dissimuler. Peine perdue : lorsque je relevais enfin les yeux, j'aperçus Tradd qui me dévisageait de bas en haut avec une expression des plus inconvenantes - quoi que flatteuse - comme s'il m'observait pour la première fois. Un bref sourire satisfait glissa sur mes lèvres avant de se cacher timidement, faisant écho à la horde déchaînée de Doxys qui semblaient danser le swing dans mon ventre.

Les insectes magiques cessèrent instantanément leur débandade lorsque le jeune homme pinça les lèvres ; dépréciait-il la vue à laquelle il était confronté ? Quelque chose m'avait-il échappé dans ma tenue, qui pouvait le contrarier ? Après ce moment d'embarras, il enchaîna : « Je ne l’avais jamais remarqué, mais tu portes magnifiquement bien les couleurs de ta maison. » J'en restais tout bonnement coite, ne sachant comment aborder cette remarque. Il m'arrivait souvent ces derniers temps de ne pas savoir comment réagir ou sous quel angle relancer une discussion, et je n'aimais pas cela ; outre mon manque flagrant de confiance en moi, cela ne faisait que révéler à quel point j'étais bien trop souvent prise au dépourvu. Par Cliodna, comment devais-je prendre cela ? Jamais je n'avais été très à l'aise avec les compliments ; ne sachant finalement s'il se moquait ou non, hésitant à tourner dès maintenant les talons, je me contentais finalement d'un haussement de sourcil perplexe accompagné d'un bref mais hésitant « Eh bien, heu... merci... » exprimant clairement mon scepticisme. Qu'avait-il voulu dire ? Qu'il me trouvait séduisante en bleu et argent ? Je dus me faire violence pour ne pas éclater d'un rire peu flatteur ; je ne souhaitais pourtant pas que le Poufsouffle croie que je me moquais de lui et me contins donc à grand peine. Devais-je simplement comprendre qu'il me jugeait intelligente et une digne représentante de la maison Serdaigle ? Là encore j'en doutais fort. Eussé-je disposé d'un peu plus de confiance en moi, cette remarque couplée à son regard clairement appréciateur m'aurait renseignée sur ce qu'il avait voulu dire exactement ; mais je manquais d'assurance à un point dramatique. Et puis à ce qu'on disait, les couleurs favorites de Tradd ces derniers temps étaient plutôt le jaune et noir... le blond plus précisément, comme les cheveux d'une certaine Garden.

Il fallut un moment avant que je ne desserre les dents. Dans ma vision du préfet, Garden Fear se tenait aux côtés de son cadavre, des larmes dévalant ses joues. Que devais-je en conclure ? Quel était donc le lien qui les unissait, pour que le décès de Tradd revête à ses yeux autant d'importance ? Bien sûr ils étaient amis, mais quelque chose - je ne savais pas vraiment quoi, ou refusais si c'était le cas de mettre des mots dessus - me dictait que je faisais fausse route ; que je devais approfondir, chercher plus loin.
Tradd s'approcha soudain de moi : je réprimais avec peine un mouvement de recul. Il avait traversé la distance, brisé la barrière invisible : un léger choc électrique me traversa le bras lorsque le jeune homme le saisit d'une poigne délicate mais ferme, visiblement pour m'entraîner un peu plus loin. Je jetais un bref coup d'oeil autour de moi et rougis : je ne l'avais pas remarqué dans un premier temps, mais plusieurs petits groupes d'adolescents nous observaient chacun dans son coin. Tous avaient pourtant en commun une expression d'avidité sur leurs visages juvéniles, prêts à propager la prochaine rumeur. Moi si peu habituée à être au centre de l'attention générale, il me semblait étrange que je n'eus pas repérés ces voyeurs auparavant ; mais mon esprit lui, était à l'évidence focalisé sur toute autre chose ... personne. « Hey regardez, c'est Jones et Cooper ! » « Il paraît qu'il n'a pas arrêté de la regarder pendant tout le cours de potions cet après-midi ... » « Qu'est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer ensemble ? » « Hey Cooper, tu t'es trouvé une petite amie ? Je ne savais pas que tu appréciais les barges ! » C'était le problème lorsqu'une fille de mon espèce fréquentait un tant soit peu un garçon comme Tradd, je m'en rendais bien compte : j'étais impopulaire, critiquée, moquée, tandis que lui était tout mon inverse. Il devait donc ainsi disposer de pas mal de groupies et d'admiratrices, chacune prête à me faire payer le privilège indescriptible de passer un moment en sa compagnie : lui et moi n'étions, tout simplement, pas faits aux yeux des élèves pour passer du temps l'un avec l'autre. Fusillant du regard la dernière personne qui avait prononcé ces mots - un Poufsouffle stupide dont j'ignorais le nom - j'accélérai le pas pour me rapprocher au maximum de la zone la plus éloignée des flâneurs, située sous un vieil orme. L'épaisseur de son feuillage et l'implantation basse de ses branches nous protègeraient des curieux - je l'espérais du moins vivement, priant pour que Tradd n'ait pas entendu les dernières paroles du blaireau et ne décide d'intervenir. J'avais aperçu du coin de l'oeil Tristan - assis parmi le groupe de jaunes et noir - se lever avec calme, prêt à rectifier le portrait de l'importun. Et si une partie de moi - celle qui avait été blessée sans doute - souhaitait qu'il lui fasse cracher ses dents, j'étais également très inquiète pour mon ami. Pourvu qu'il ne s'attire aucun ennui ...

Poursuivant mon chemin près de Tradd, je marchais désormais plus lentement. À présent que nous nous trouvions à bonne distance des gorilles qui nous avaient interpellés, je me sentais mieux ; plus relaxée. Qu'avait dit l'une des filles déjà ? Qu'il n'avait pas cessé de me contempler durant tout le cours de potions ... Le bras de Tradd lâcha mon coude pour réintégrer sa poche, attirant immédiatement un regard désappointé ... peiné. Pourquoi jugeait-il nécessaire de retirer sa main ? Cela ne me dérangeait aucunement !

« Une fois de plus, j’aimerais que tu pardonnes mon manque de tact. » Courte pause, avant qu'il ne reprenne : « Lorsque j’ai dit m’être montré discourtois, j’étais très loin de la vérité. J’ai été absolument injuste, et je le regrette. Cela fait longtemps que tu as... disons, ce don ? »

J'étais pendue à ses lèvres, et pourtant je constatais avec tristesse que la colère ne m'avait pas quittée. C'était un sentiment si douloureux, si désagréable et peu familier que je ne pus m'en empêcher :

« Tiens donc ... tu me crois maintenant ? Ce ne sont plus des "balivernes" ou des "élucubrations, non, à présent c'est un don ! Quel revirement ... »

lâchai-je avec aigreur. Je n'avais pas souhaité me montrer désagréable envers lui, cela m'avait simplement échappé tant j'avais longtemps ruminé ces amères paroles. Mais bien que j'eus conscience de me montrer dure envers lui, j'étais incapable de contenir mes sarcasmes. Il avait beau s'être excusé, j'éprouvais des difficultés à lui pardonner : tout ça était trop facile. Il m'avait ignorée, traitant mes propos de balivernes et autres compliments ; des gens étaient morts parce qu'il n'avait pas voulu me croire. Nom de Merlin, il était préfet ! Ce qui signifiait pour moi de l'attention, de la considération ... une oreille auprès des professeurs. Il aurait pu sauver des vies, s'il avait simplement daigné envisager dans mes propos un peu plus que les élucubrations d'une Serdaigle mégalomane. « Le laisser en paix », c'était ce qu'il m'avait alors demandé ; des larmes de rage me vinrent aux yeux tandis que je serrais convulsivement les poings, hantée par ce souvenir, totalement inconsciente de l'effet que cette simple pensée qui lui échappait pourrait produire sur Tradd. J'inspirais un grand coup, puis ...

« Depuis l'âge de cinq ans. »

soufflais-je péniblement, tâchant d'évacuer la colère qui m'habitait.


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Message par Tradd Cooper Jeu 8 Avr - 16:24

Ce goût âpre, dur, rugueux, s’attardait bien trop longuement sur ma langue. L’amertume d’un souvenir intolérable qui emplissait ma bouche, se déposait sur mes lèvres, dès que je m’autorisais à ressasser les évènements troublants survenant le soir du bal. Certes, je m’étais montré terriblement imprudent en m’y rendant, surtout après les avertissements de Montana, qui coïncidaient, par ailleurs, bizarrement avec la conversation que j’avais interceptée au détour d’un couloir. Pour autant, jamais je n’aurais pu imaginer qu’Andrews fût capable d’une telle attaque. Comment l’aurais-je pu ? Depuis que nous nous connaissions, nous ne nous supportions certes guère, mais il n’avait été question que d’invectives inoffensives, de simples attaques orales. Pour moi, Clyde n’avait toujours été qu’un jeune un peu maladroit, si réservé qu’il n’avait jamais pu se fondre dans la masse, et en rejetait alors la faute sur ses camarades, sur ceux qui, comme moi, avaient su trouver leur place dès leurs premiers jours à Poudlard. La réalité était légèrement plus brutale, et je m’en étais aperçu avec l’attaque des cagoulés. Désormais, il m’était devenu impossible de détourner mes sombres pensées des avertissements de la jeune Serdaigle, ainsi que des évènements s’étant déroulés le soir du bal.

Des semaines durant – ayant précédées le bal, évidemment – j’avais vainement tenté d’aborder le sujet des invitations avec Garden mais, pour une raison qui m’échappait encore, elle s’était appliquée à éviter toutes mes précieuses allusions et, lorsque j’avais finalement osé lui demander tout de go de m’accompagner, elle avait poliment – trop poliment à mon goût – décliné ma proposition, arguant qu’elle avait déjà accepté une invitation. Si une camarade de notre maison ne m’avait pas offert de lui servir de cavalier, je me serais retrouvé seul, observant la jolie blonde et son foutu chevalier servant évoluer sur la piste à m’en donner des nausées, et j’avais donc évidemment sauté sur l’occasion. Ainsi, nous nous étions rendus au bal en bande, un petit groupe d’amis or et noir. Cette solution avait d’ailleurs fini par me plaire, du moins plus que la perspective de m’y rendre seul. Je m’étais même amusé, pour être tout à fait franc. Jusqu’à l’arrivée des cagoulés. Jusqu’à ce que je prenne finalement conscience que tout ce que Montana Jones m’avait confié se réalisait, et donc que je devais craindre pour ma vie, puisqu’elle m’avait avoué que j’étais en danger. Pourtant, j’avais été dans l’incapacité de m’enfuir. Pour qui aurais-je donc passé ? Une décision risquée, téméraire, qui n’avait pas plus à la jolie bleue et argent, puisqu’elle s’était approchée, une lueur hautement désapprobatrice dans le regard. Certes, je me savais déraisonnable, mais je ne voyais pas quel autre choix s’offrait à moi. S’il était arrivé quelque chose à mes camarades pendant que j’avais tenté de m’enfuir pour rester en vie, je ne me le serais jamais pardonné. Il était bien une raison pour laquelle j’avais été envoyé à Poufsouffle, non ? Quoi qu’il en soit, poussé par la foule, j’avais perdu la trace de Montana, et le reste de ma soirée était étrangement flou. Un amas d’images informes dans lequel je me noyais dès que j’y replongeais. Un tableau vulgaire dont je ne discernais plus les teintes. Pourtant, les souvenirs étaient vifs, colorés, presque douloureux tant ils m’inondaient de doutes.

Certes, il avait été compréhensible que j’ignore les mises en garde de Montana. Elles paraissaient si folles que personne n’aurait pu y croire sans une réelle preuve. Du moins était-ce ce que je pensais afin de faire taire la culpabilité qui grandissait au fond de mon être. Toutefois, à présent qu’elle se dressait là devant moi, si particulièrement prudente, mal à l’aise pour ainsi dire, je ne comprenais pas comment j’avais pu douter de sa bonne foi. Il émanait d’elle une telle sincérité, un tel naturel, une candeur enfantine, que je me demandais s’il était décemment raisonnable de lui faire prendre les traits d’une affabulatrice. Elle n’en avait pas l’air. Il me semblait même qu’elle était de celles qui ne savaient pas mentir, de celles dont la vérité se peignait immédiatement dans leurs prunelles claires. Evidemment, je préférais ne pas trop m’avancer, par crainte d’être totalement déstabilisé par de nouvelles révélations. C’était certes ce que j’étais venu chercher en lui demandant un entretien en privé, mais je n’étais pas tout à fait certain d’être prêt à tout entendre. Après tout, c’était de mon existence dont il était question.

Je continuais d’avancer aux côtés de la jolie brune, m’éloignant ainsi des mauvaises langues. Je n’étais guère étonné de leur présence, j’avais senti leur regard insistant picoter ma nuque, comme s’ils avaient été désireux de se joindre à notre conversation afin d’assouvir une curiosité malsaine. J’avais bien essayé d’occulter leur proximité, mais j’en avais été incapable, trop absorbé dans la tentative de deviner ce qu’ils pouvaient bien imaginer. Je ne pouvais me concentrer sur ma discussion avec Montana, alors que je savais parfaitement que ces fouineurs en profiteraient pour colporter des histoires complètement absurdes, des rumeurs à peine croyables, mais qui se rependraient plus rapidement encore que si elles avaient été vraies. Pourtant, nous avions beau nous éloigner, ces quelques paroles ne cessaient de tourner en rond dans mon esprit. « Hey regardez, c'est Jones et Cooper ! » « Il paraît qu'il n'a pas arrêté de la regarder pendant tout le cours de potions cet après-midi ... » J’avais roulé des yeux éberlués, soupiré longuement, et ma seule pensée s’était dirigée en direction de Montana. J’avais simplement espéré qu’elle n’eût pas entendu, même si j’étais parfaitement conscient qu’elle avait dû sentir mon regard concentré vrillé sur sa nuque, tout le cours de potions durant. « Qu'est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer ensemble ? » « Hey Cooper, tu t'es trouvé une petite amie ? Je ne savais pas que tu appréciais les barges ! » J’avais aperçu le regard assassin que Montana avait adressé à cette dernière personne – un Poufsouffle à qui je ne tarderais pas à régler son compte, une fois de retour dans la salle commune – et c’était d’ailleurs ce qui m’avait empêché de rebrousser chemin, de l’empoigner par le col de son stupide uniforme et de lui demander si cela lui posait le moindre problème. Ceci dit, et je m’en étonnais encore, j’étais parvenu à calmer ma pulsion meurtrière et m’étais retenu. Du moins, pour un instant, cas au seul souvenir de ces mots, je sentais la colère m’envahir à nouveau.

« Tiens donc ... tu me crois maintenant ? Ce ne sont plus des "balivernes" ou des "élucubrations, non, à présent c'est un don ! Quel revirement ... » La pointe – plus qu’une pointe, d’ailleurs – d’aigreur dans sa voix me heurta de plein fouet, et je sortis de mes pensées.

Je plissai les yeux, serrai les lèvres, m’immobilisai finalement, jugeant la distance entre les petits curieux et le couple improbable que nous formions suffisante. Pourtant, je gardai le silence. Après tout, j’avais amplement mérité ses sarcasmes, j’avais mérité ses regards bien peu amènes. Pire, j’avais mérité toute son indifférence, mais elle se trouvait là, à mes côtés, prête à répondre à mes interrogations. Avait-elle conscience de ce que cela représentait pour moi ? Bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer, en tout cas. D’ailleurs, je n’étais pas certain de comprendre moi-même. Pourquoi accordais-je soudainement tant d’importance à cette fille que j’avais, quelques semaines encore auparavant, traité avec si peu d’égard ? Elle ne me laissa pas le temps de m’attarder sur la question, et je ne pus contenir ce petit sourire qui tordait déjà mes lèvres lorsque je la vis inspirer comme s’il avait été question de sa dernière bouffée d’oxygène.

« Depuis l’âge de cinq ans… » me confia-t-elle finalement. J’acquiesçai simplement, doucement, méditant quelques secondes sur la vulnérabilité apparente qui semblait s’être abattue sur elle. « Désolé. » Je ne trouvai rien d’autre. Je n’avais jamais remarqué à quel point elle semblait en souffrir, bien que cela me paraisse à présent évident, puisque personne n’était prêt à la croire sur parole lorsqu’elle affirmait avoir des visions. Me revint soudainement en mémoire la façon dont elle avait accueilli mon compliment, plusieurs secondes auparavant. Elle m’avait semblée si troublée, peu à son aise. Je m’étais aperçu qu’elle avait eu du mal à l’accepter, croyant certainement à une mauvaise plaisanterie de ma part. Par ailleurs, je m’étais attendu à une rebuffade des plus sanglantes, alors qu’elle s’était contentée de me remercier, plus déstabilisée encore. Brusquement, un autre sentiment étrange s’empara de tous mes membres. J’éprouvais le besoin de… la protéger ? Je ne cherchai même pas à dissimuler la grimace surprise qui vint déformer mes traits. Après tout, c’était bien ma faute si d’autres rumeurs allaient courir à son sujet. C’était ma faute, encore, si ses mises en garde n’avaient pas été prises au sérieux, et si l’attaque n’avait pas pu être maîtrisée. Je détournai les yeux quelques secondes, les laissai papillonner autour de nous, tandis que je méditai sur les mots à prononcer. Puis, je me détournai de la vue du lac, si sombre en cette période de la journée, et posai mes iris sur elle.

« Navré pour les ragots. » commençai-je, conscient de ma maladresse. « Tu sais ce que c’est… » Je soufflai doucement, un soupir à peine audible, passant une main dans ma tignasse désordonnée. « Si tu n’avais pas été là, je crois que j’aurais sauté sur l’occasion pour refaire leur portrait. Mais de quelle espèce de préfet aurais-je donc eu l’air ? » tentai-je avec un sourire plus franc, presque amusé.

La voir si tendue m’était devenu insupportable, autant la dérider un peu avant que je n’aborde le sujet de notre entrevue, bien que je ne fus plus certain de le connaître moi-même. Étais-je donc le même ? Celui qui l’avait insultée, alors qu’elle n’avait souhaité que m’apporter son aide ? Je l’avais presque traitée de folle, qualifiant ses visons de parfaites élucubrations. J’en étais désormais bien plus que navré, m’apercevant que la jeune fille était des plus intéressantes, même si je ne parvenais sincèrement pas à la cerner complètement. D’ailleurs, c’était certainement ce détail qui était à l’origine de la fascination qu’elle éveillait depuis peu en moi. C’en était paradoxal ; je la craignais pour le pouvoir humble qui émanait d’elle, ce même pouvoir qui avait la capacité de me dire si j’allais mourir ou vivre, et je la rêvais à mes côtés pour l’intensité des sentiments qu’elle provoquait par sa simple présence. Une palette d’émotions des plus surprenantes, que je mettais du temps à décrypter, et qui m’effrayait plus encore que la perspective de ma mort – si l’on pouvait envisager de craindre quelque chose plus que sa propre mort. Conscient que mes iris s’attardaient encore un peu trop sur sa silhouette, tandis que mes pensées m’éloignaient du moment présent, je reportai toute mon attention sur notre conversation.

« Je promets d'en toucher quelques mots à mes camarades dès que je rejoindrai la salle commune. Ils ne t’embêteront plus avec cela. » conclus-je en haussant les épaules. « Mais, pour le moment, peut-être préfèrerais-tu qu’on ne s’isole pas autant ? Ils pourraient trouver matière à plus de rumeurs encore. Non pas qu’on ait quoi que ce soit à cacher. Enfin, je veux dire… » Oui ? Que voulais-je donc dire ? Je soupirai, exaspéré par mon hébétude. « Bon, il semblerait que ton don me mette mal à l’aise. » m’expliquai-je avec un regard complice.

Son don, vraiment ? Je souris à la réponse ; non, définitivement pas son don.


Dernière édition par Tradd Cooper le Dim 10 Oct - 20:34, édité 1 fois
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Message par Montana D. Jones Lun 12 Avr - 16:33


Que faisais-je là, moi, l’étrange et impopulaire Montana Jones – qu’on disait aussi mythomane et folle que Pearl Smythe ou Chrysalde Mikhalkov – en compagnie de l’un des garçons les plus populaires de Poudlard ? Hormis Dayton et peut-être Tanner McCormick, je connaissais fort peu d’individus aussi appréciés des filles de ce château que l’était Tradd – et comment leur en vouloir ? Il était préfet, gentil, cordial … poli et bien élevé la majorité du temps. Il avait de l’allure et une prestance indéniable, un charme certain qui le différenciait de la plupart des autres hommes ; un prince charmant, aux yeux de beaucoup. Mais j’étais loin d’être une princesse. Que faisais-je auprès de lui, à tenter d’établir ce contact instable et maladroit ? Je commençais à me le demander. J’avais eu tant de choses à lui dire, tellement de révélations à lui faire, et voilà que les mots se bousculaient dans ma tête, s’embrouillant les uns les autres – mêlés, pour ne rien arranger, à une colère dévorante à l’égard du Poufsouffle. Il venait s’excuser, oui – malheureusement, trop tard. Avait-il seulement conscience d’à quel point cette confiance toute neuve qu’il semblait me vouer depuis l’attaque, survenue à peine quelques jours avant, m’aurait profondément soulagée ? Je l’aurais su prévenu, averti des dangers qu’il encourait, et jamais je n’aurais eu à m’inquiéter aussi terriblement pour lui durant le bal.

En fait de quoi, j’avais du me battre pour la survie de cet imbécile qui – alors même qu’il était sans le savoir l’une des cibles prioritaires du cher Clyde – s’était placé en première ligne des combats. Comment voulait-on dans ce cas-là que je protège qui que ce soit, si les personnes dont j’étais sensée empêcher la mort faisaient tout pour se placer judicieusement sur son chemin avec un panneau lumineux au-dessus de la tête, indiquant clairement en lettres de néon « Je suis ici, abattez-moi » ?! Certes, personne parmi les femmes de ma famille – qui presque toutes possédaient le don puisque celui-ci, en plus d’être héréditaire, se transmettait de génération en génération – ne m’avait jamais affirmé qu’être médium était chose facile … mais Merlin, qu’on était loin du temps glorieux, de l’âge d’or où les voyants étaient vénérés, révérés et respectés ! On écoutait leurs prédictions avec attention, les traitait avec égard et fascination. Comme exister à cette époque aurait été plus simple ! Certes, j’aurais manqué de tout le confort moderne : mais on m’aurait crue, on ne m’aurait pas rejetée ou traitée de menteuse.

Mais non, j’étais ici : dans ce siècle de sceptiques où l’on ne croyait plus au divin, au don de voyance et à l’inexpliqué – même chez les sorciers, où la magie et l’irrationnel étaient pourtant tout ce qu’il y avait de plus commun. La réaction de Tradd, sa façon de me dévisager l’avaient clairement montré : pas plus que les moldus au temps de la chasse aux sorcières, le monde magique n’était préparé aux révélations que pouvaient leur offrir les devins sur l’avenir.
Le coup d’œil meurtrier que Tradd jeta à son condisciple ne m’échappa pas ; ainsi donc, il était tout autant indisposé que moi par ces ragots – sinon plus. Ces quelques bruits de couloir ne risquaient-ils pas, après tout, de le placer dans une position délicate vis-à-vis de Garden si cela venait à se savoir ? Et cela se saurait, je n’avais aucun doute là-dessus. Haussant les épaules avec la plus grande indifférence, je poursuivis mon chemin : aussi déplaisant que cela puisse paraître, j’étais habituée pour ma part à ce genre de petits désagréments – que Tradd put y goûter à son tour n’était pas mon problème et ne me semblait, d’ailleurs, pas nécessairement une mauvaise chose. Quant à Garden … eh bien là encore, si elle ne le croyait pas, ce serait qu’elle n’accordait finalement pas autant de foi que cela aux paroles du Poufsouffle.

« Tiens donc ... tu me crois maintenant ? Ce ne sont plus des "balivernes" ou des "élucubrations", non, à présent c'est un don ! Quel revirement ... » Je l’observais un moment, guettant une réaction d’un œil dangereusement étincelant. Qu’il s’avise seulement de protester, il rencontrerait alors toute l’ampleur de ma colère. Mais il ne broncha pas, se contentant de garder le silence et de serrer les lèvres : attitude juste qui, à défaut de m’apaiser totalement, eut au moins le don de le désarçonner. Je l’attaquais franchement, mais – au contraire de la plupart de ceux avec qui je m’étais ainsi confrontée – il ne répondait pas : voilà qui était en soi suffisamment surprenant pour désamorcer tout net la bombe qui s’apprêtait à exploser sur lui. Renonçant à mes regards assassins, j’attendis la suite des opérations avec une curiosité difficilement répressible. Il avait beau m’agacer, j’étais toujours là : c’était donc que j’étais disposée au fond de moi à lui apporter des réponses – n’était-ce pas la meilleure preuve de ma bonne volonté ? Répondant finalement à sa question suivante, je soufflais doucement :

« Depuis l’âge de cinq ans. » Oui, ce devait être à peu près à cette période que s’étaient manifestés mes visions et mes maux de tête récurrents ; un âge bien jeune, même pour un médium : autant ne pas envisager ce que cela augurait quant à la puissance future de mes pouvoirs. « Désolé. » Une brève exclamation sarcastique m’échappa malgré moi. « Ben voyons », soufflais-je doucement, levant brièvement les yeux au ciel. Bien sûr qu’il n’était pas désolé ; personne ne pouvait réellement l’être sans savoir précisément ce que cela signifiait de pouvoir prédire avec quasi-exactitude un évènement tragique ou le décès d’une personne – et lorsqu’il s’agissait d’un être cher ou d’un ami, c’était bien pire encore. « Personne ne peut imaginer. Et puis … c’est une malédiction, mais aussi un don. Ne serais-tu pas heureux de pouvoir prévenir dans une certaine mesure des choses aussi abominables que l’horreur du bal de Noël, ou l’assassinat d’une personne qui t’est chère ? » Posant sur Tradd un regard pénétrant et scrutateur, mais également emprunt d’une certaine hésitation, je me contentais de l’observer un moment sans attendre visiblement de réponse : il savait, mieux que quiconque, de quoi je voulais parler – je l’espérais tout du moins.

Mais il détourna les yeux ; émettant un profond soupir de lassitude, je laissais mes doigts jouer machinalement avec les feuilles du vieil orme, mes cheveux bruns se perdre dans son terne feuillage hivernal. Le regard du Poufsouffle revint se poser sur moi : absorbée par l’arbuste, je n’y prêtais aucune attention. Je n’avais nul besoin de le voir et de le contempler pour entendre ses paroles – tout au contraire, il me semblait avoir l’esprit plus lucide lorsque je m’en détournais et ne croisais pas ses iris à mi-chemin entre le gris anthracite et le bleu sombre d’une mer déchaînée. Une couleur trouble et changeante dont j’avais du mal à m’arracher, au cœur de laquelle j’avais du mal à ne pas me perdre pour ne plus en revenir, je le savais.

« Navré pour les ragots, commença-t-il, visiblement mal à l’aise, tu sais ce que c’est … ajouta-t-il à mi-voix. Oui, justement : je savais mieux que personne à quel point de telles assertions mensongères pouvaient être déplaisantes et détruire une existence à petit feu. Alors, pourquoi jugeait-il bon de s’excuser une fois encore ? À ma connaissance, il n’était ni responsable ni celui qui faisait courir ces rumeurs absurdes. Absurdes, vraiment ? Pour ma part, je n’étais pas véritablement convaincue que tout ce qu’elles racontaient fût absolument faux ; malheureusement, il y avait rarement de la fumée sans feu. Si tu n’avais pas été là, je crois que j’aurais sauté sur l’occasion pour refaire leur portrait. Mais de quelle espèce de préfet aurais-je donc eu l’air ? » Là était donc le vrai problème : son souci n’était aucunement de ne pas heurter ma sensibilité, mais bel et bien de … préserver sa réputation – et son grade de préfet dans la foulée. Un rictus douloureusement moqueur auquel je n’étais pas habituée étira mes lèvres : je devais être affreuse, mais me trouvais à cet instant parfaitement incapable de toute autre réaction. Quelque chose au fond de moi – ma mauvaise conscience, sans doute – me disait que j’aurais été capable, en temps normal, de comprendre une telle chose ; l’aurais-je pris d’ailleurs pour autre chose qu’une brute idiote, si d’aventure il avait réclamé justice par les poings ? Sans aucun doute.

Mais ici - alors même qu’il essayait de se faire pardonner - le manque de combativité de Tradd, sa passivité me semblaient simplement des preuves de lâcheté. Dépitée, je lui adressais néanmoins par courtoisie un faible sourire désabusé. Remarquant son regard posé sur moi avec, encore une fois, un peu trop d’insistance, je détournais vivement la tête et me laissais tomber dans l’herbe en tailleur, m’adossant au tronc du vieil orme dans l’espoir – un peu vain peut-être – d’y puiser un peu d’énergie. « Je promets d’en toucher quelques mots à mes camarades dès que je rejoindrai la salle commune. Ils ne t’embêteront plus avec cela. » Comme si ce qu’ils pouvaient bien penser de moi avait le pouvoir de m’importer. J’hésitais à lui faire part de cette opinion lorsqu’il poursuivit : « Mais, pour le moment, peut-être préfèrerais-tu qu’on ne s’isole pas autant ? Ils pourraient trouver matière à plus de rumeurs encore. Non pas qu’on ait quoi que ce soit à cacher. Enfin, je veux dire … » Comme moi devant Curtis quelques jours plus tôt, le Poufsouffle perdait ses mots, rattrapant ses phrases avec une maladresse touchante bien qu’inquiétante : avais-je moi-même eu l’air si gauche devant Cullen ? Probablement – à ceci près que c’était la colère et non la gêne qui m’avait animée, me donnant ainsi une contenance beaucoup plus tenable que celle de Tradd. Mais en effet, la question se posait : que voulait-il dire exactement ? « Bon, il semblerait que ton don me mette mal à l’aise. » conclut-il en souriant, se voulant complice. Levant une main pour l’interrompre, lui faisant ainsi comprendre de ne pas plus s’embarrasser, j’arquais un sourcil perplexe à demi-moqueur et répliquais : « Je ne suis pas Shaelyn : mon don n’est pas de ressentir ou d’interférer avec les émotions des gens – uniquement d’anticiper l’avenir d’une poignée d’entre eux. Il se trouve également que je ne perçois rien présentement. Or donc, j’imagine mal comment me don pourrait agir sur toi ou te perturber de quelque façon que ce soit. » Déblatérant mes platitudes avec la froide et implacable logique propre aux Serdaigle, je ne prêtais plus aucune attention à mon interlocuteur, entièrement absorbée par mon but : l’écarter de ses quelques … soucis d’éthique vis-à-vis des rumeurs circulant à notre sujet.

« Du reste … Ne t’ennuies pas pour moi, c’est inutile, soufflais-je, résignée. C’est ma faute si ces ahuris continuent à ragoter. Je n’aurais jamais du te harceler de la sorte : sois sans crainte, je ne le ferais plus – de toute façon, je suis lasse de te courir après. Et honnêtement, je me moque de leurs sarcasmes et de leurs petits ragots – si cela peut les amuser … Après cinq ans dans cette école, on finit par s’y habituer – un peu plus un peu moins, quelle différence ça fait ? » demandais-je, visiblement indifférente. Me redressant à demi pour mieux le dévisager, j’ajoutais, cette fois plus sérieuse : « Toi en revanche, il semble que cela t’importe nettement plus. Mais pour être sincère … ce que j’ai à te dire ne concerne aucune autre oreille que les nôtres. Je dirais même plus : il vaut mieux que personne d’autre n’entende notre conversation, si tu vois ce que je veux dire. »



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Message par Tradd Cooper Jeu 15 Avr - 16:13

J’avais toujours compris qu’au sein du château, plusieurs espèces d’élèves évoluaient, se mêlaient les uns aux autres, ne faisant que renforcer leurs trop grandes dissemblances, creuser le fossé qui déjà les séparait. Certes, les quatre maisons, connues pour accueillir les étudiants aux mêmes caractéristiques, raffermissaient l’idée des groupes, des espèces de clans qui se formaient dès les premiers jours à Poudlard ; mais la plus grande différence résidait dans la capacité à s’intégrer. Certains, dès les premiers jours, s’étaient entourés de plus d’amis qu’ils n’auraient osé imaginer, parmi eux, une poignée s’étaient même élevés au sein de petite célébrité locale en formant un groupe de musique, ou en cessant de compter leurs conquêtes, tant le chiffre devenait infini. Ces personnes-là accaparaient toute l’attention, faisaient naître des ragots qui se frayaient diligemment un passage dans les couloirs, dans les salles communes, dans les esprits des autres étudiants. J’étais de ceux qui ne se mettaient pas trop en avant, tout en ayant parfaitement conscience de ma réputation, érigée au fil des années que j’avais passées dans l’école. Pourtant, depuis quelques semaines, il me semblait que je quittais peu à peu cette partie des élèves pour me rapprocher de ceux de l’ombre. Ceux qui, à cause d’une trop grande timidité, d’une trop grande différence, ou par simple choix, préféraient demeurer seul, en petit comité parfois. Certes, je ne repoussais pas mes amis, mon entourage étant certainement ce que je considérais comme ma priorité ; ils m’accompagnaient, comme si rien n’avait changé. Du moins, en apparence. Car, à la différence de ce que je semblais montrer, tout avait changé. Je n’étais plus Tradd Cooper, le parfait petit Pouffsouffle, poli, cordial, amical. J’étais… le condamné à mort.

Personne n’était pourtant dans la capacité de comprendre. Ainsi, j’avais beau m’entourer, rire avec ceux qui avaient toujours été là pour moi, passer du temps dans la salle commune avec les miens, je me retrouvais constamment seul. Seul avec mes pensées lugubres, mon destin tragique, la mort qui se dessinait toujours plus précisément sous mes yeux, car personne ne comprendrait. Montana excepté. C’était, par ailleurs, cette évidence qui m’avait frappée durant le cours de potions. Elle était la seule. Si elle ne pouvait saisir tout ce que je craignais depuis sa prédiction – puisqu’elle n’était guère en danger de mort, elle avait simplement assisté à ce qui serait la mienne si je ne parvenais pas à m’extraire de cette voie qui semblait toute tracée - elle pouvait au moins les imaginer, et cette pensée me réconfortait. Je n’étais pas tout à fait seul en fin de compte. Elle était là, la seule. Tandis que le professeur de potions avait continué à énumérer les ingrédients dont nous aurions besoin pour le prochain cours, je m’étais d’ailleurs surpris à apprécier le fait que ce soit elle, et non quelqu’un d’autre, sans parvenir à décrypter complètement ce que tout cela réveillait en moi. Du soulagement, sans doute aucun. Mais quoi d’autre ? Je sentais soudainement plus proche, comme si j’avais la capacité de saisir – du moins une bien infime partie de la souffrance - tout ce qu’elle avait pu vivre durant ses années où, peu amènes, les élèves l’avait raillée, moquée, bafouée, à cause de son don. C’était certainement très hypocrite de ma part, alors que je l’avais moi-même repoussée lorsqu’elle avait été désireuse de m’apporter son aide – que je savais désormais si précieuse – mais je ne pouvais m’empêcher de voir cette nouvelle union avec un œil nouveau, plus optimiste, presque charmé.

Pourtant, j’avais bien conscience de ne pas être en mesure de comprendre ce qu’elle avait subi. Je lui jetai un coup d’œil, tandis qu’elle se laissait tomber aux pieds de l’arbre, tandis que ses paroles me revenaient en mémoire. « Personne ne peut imaginer. Et puis … c’est une malédiction, mais aussi un don. Ne serais-tu pas heureux de pouvoir prévenir dans une certaine mesure des choses aussi abominables que l’horreur du bal de Noël, ou l’assassinat d’une personne qui t’est chère ? » Je n’avais pas répondu à sa question que j’avais deviné rhétorique, bien que je ne pus m’empêcher de m’interroger quant à l’identité de cette « personne qui lui était chère. » Je m’étais pourtant évertué à garder le silence ; je savais qu’elle avait raison, qu’il m’était entièrement impossible de comprendre. Était-ce cependant une raison suffisance pour me juger incapable de compassion ?

Je quittai mes pensées, toute mon attention brusquement portée sur la grimace avec laquelle elle avait accueilli mes propos. J’avais simplement promis de faire cesser les ragots, n’était-ce pas ce qu’elle désirait ? Je plissai les yeux, surpris qu’elle le prenne ainsi. J’avais simplement pensé qu’elle était fatiguée des rumeurs qui couraient quotidiennement sur elle, l’insultant, la moquant, et qu’elle n’avait donc nullement besoin de folles histoires sur le couple imaginaire que nous formions. Etrangement, la pensée que cette perspective ne lui fut pas si repoussante me plut, même si je devinais parfaitement que cela n’avait rien à voir avec d’éventuels sentiments qu’elle pouvait me porter – d’ailleurs, elle avait toujours l’air de m’en vouloir – mais plutôt que ces messes basses étaient certainement bien moins méchantes que celles qu’elle avait pu entendre auparavant la concernant. Je ne bougeai pas, ne pris même pas la peine de m’installer à ses côtés, aux pieds du vieil orme. J’étais bien mieux debout, plus concentré sur les paroles que je désirais prononcer, et mes pensées semblaient moins entremêlées ainsi. Montana reprit finalement la parole, brandissant une main, coupant court au fleuve de mots qui s’était échappé grotesquement de mes lèvres. « Je ne suis pas Shaelyn : mon don n’est pas de ressentir ou d’interférer avec les émotions des gens – uniquement d’anticiper l’avenir d’une poignée d’entre eux. Il se trouve également que je ne perçois rien présentement. Or donc, j’imagine mal comment mon don pourrait agir sur toi ou te perturber de quelque façon que ce soit. » Je la laissai à peine terminer qu’un rire froid claqua dans l’air. Mon rire ; sarcastique, glacial. Elle n’imaginait pas comment son don pouvait agir sur moi ? Ou même me perturber ? Je levai les yeux au ciel, épaté de l’aplomb avec lequel les mots s’étaient échappés de sa bouche.

« Quand je disais que tu portais bien les couleurs de ta maison... » marmonnai-je si bas que je doutais qu’elle pût entendre. Esprit purement logique. Elle n’avait aucune idée des sentiments terribles qui m’envahissaient dès que je pensais à ma mort. Mort que, précisément, son don avait prédit. Diable, comment cette jeune femme pouvait-elle m’insuffler des sentiments aussi paradoxaux ? Le besoin irrépressible de la protéger, le désir violent de la voir mienne, et la colère enivrante qui s’infiltrait, perturbatrice, sous ma peau. J’en perdais la tête. Je ne disais rien, toutefois, sachant trop bien qu’elle souhaitait continuer dans son élan. « Du reste… Ne t’ennuies pas pour moi, c’est inutile. C’est ma faute si ces ahuris continuent à ragoter. Je n’aurais jamais du te harceler de la sorte : sois sans crainte, je ne le ferais plus – de toute façon, je suis lasse de te courir après. Et honnêtement, je me moque de leurs sarcasmes et de leurs petits ragots – si cela peut les amuser… Après cinq ans dans cette école, on finit par s’y habituer – un peu plus un peu moins, quelle différence ça fait ? » Certes, j’avais bien compris. Je n’en ferais donc rien. J’haussai les épaules, m’approchai d’elle, déposai la paume de ma main sur l’écorce de l’arbre, baissant la tête pour la regarder. J’ouvris la bouche, la refermai immédiatement, elle ne me donna pas le temps de placer le moindre mot. « Toi en revanche, il semble que cela t’importe nettement plus. Mais pour être sincère… ce que j’ai à te dire ne concerne aucune autre oreille que les nôtres. Je dirais même plus : il vaut mieux que personne d’autre n’entende notre conversation, si tu vois ce que je veux dire. » A vrai dire, je me fichais des rumeurs qui pouvaient bien courir sur moi et, à l’instant, celle qui supposait que je puisse m’intéresser à Montana ne me paraissait pas totalement infondée. Après tout, n’avais-je pas été pris en flagrant délit, en cours de potions ?

« Tu te méprends sur mon compte, Montana. » Encore une fois, je me surpris à vouloir recommencer. L’appeler par son prénom à nouveau. Je chassai bien vite cette folle pensée. « Je me fiche de ce qui peut bien être dit sur moi. » fis-je avec un nouvel haussement d’épaules. « Par ailleurs, si l’on en croit tes visions, cela n’a que très peu d’importance. Bientôt, il n’y aura plus de quoi répandre des rumeurs me concernant. » J’étais surpris de la désinvolture avec laquelle je parlais de ma propre mort. Quand avais-je donc appris à me montrer si blasé ? Peut-être étais-je simplement fatigué de la craindre ? L’attendre, tout simplement, me paraissait une éventualité beaucoup plus douce, à présent. Je grimaçai, me maudis intérieurement. Non, impossible. Je refusai d’abandonner. Il n’avait jamais été dans mon genre de baisser les bras, et ce n’était pas à la veille de ma mort que j’allais me comporter comme un lâche. D’ailleurs... Je m’écartai du tronc du vieil orme, me laissai tomber à aux côtés de la jolie Serdaigle, cherchai son regard pour y planter le mien.

« Si tu me le permets, j’aimerais revenir sur tes propos... » commençai-je en caressant les brins d’herbe de ma paume droite. Comme elle ne bronchait pas, je continuai. « Je ne suis pas d’accord avec toi sur un point. » J’étais tout à fait sérieux, ne la lâchais d’ailleurs pas du regard. « Tu ne vois vraiment pas en quoi ton don peut interférer avec mes émotions ? C’est bien simple, pourtant. Tes visions ont prédit ma mort, Montana. » lâchai-je avec aigreur. « Sais-tu ce que c’est ? Je lutte contre ma propre mort. » Le regard perdu dans le vide, je continuais. Pour la première fois, je vidais mon sac, le chaos émotionnel qu’était devenue ma vie. « J’ai beau courir, tenter violemment d’échapper à ce que sera mon destin, j’ai l’impression que tous mes efforts sont vains. Je vais mourir. » Finalement, je la regardai à nouveau, passai une main dans ma crinière. « Alors oui, ton don interfère avec mes émotions. Bien plus que celui de Shaelyn. Toi seule détiens ce pouvoir sur moi. »

Un pouvoir qui prenait des dimensions que je ne contrôlais même plus.


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Message par Montana D. Jones Jeu 22 Avr - 0:28


Parfaitement droite contre le tronc de l'arbre auquel j'étais adossée, je laissais mon regard errer sur le feuillage tristement clairsemé qu'un mince rai de soleil hivernal éclairait, tentant péniblement de puiser dans cette vision un peu de paix et de réconfort - en vain. Fuyant le regard de Tradd, j'entrepris de dessiner du bout du doigt dans la terre humide quelques dessins et motifs sans le moindre sens. Je n'aimais pas la tournure que prenait la conversation : j'étais venue pour lui communiquer des informations et parce que j'avais cru qu'il avait plus important à me dire que des excuses - or, quel que fût le sujet dont il avait initialement prévu de m'entretenir, j'attendais toujours qu'il prît les devants. Je n'étais pas venue pour discuter des rumeurs que, en tant que têtes bien connues de l'école, nous subissions tous deux de façon journalière et de plus, je commençais à me sentir ... piégée. Plus les minutes passaient, et plus ce que pouvait bien me vouloir Tradd commençait à m'apparaître clairement : j'avais été idiote de ne pas le deviner dès le moment où il m'avait avoué vouloir me rencontrer ce soir. Malheureusement et en dépit de l'attraction certaine qu'il exerçait sur moi, je n'étais pas prête à oublier nos différences ainsi que le Tradd d'avant l'attaque ; pas prête non plus à lui donner accès à l'univers des dénigrés et à mon existence. Que savait-il de ces choses-là ? Rien, et le fait qu'il fût susceptible de mourir de la main de Clyde ou d'un autre ne changeait à mes yeux rien à cet état de faits. J'avais un penchant pour lui, certes : mais également une fierté bien trop grande pour lui céder tout le terrain à bras ouverts.

Pourtant, une partie de moi désirait ardemment savoir ce qu'il pensait de tout ça. Il s'était aperçu que l'une de mes prédictions au moins s'était réalisée, et souhaitait donc en savoir plus : combien de fois avais-je été confrontée à semblable réaction ? Combien de curiosités glauques et maladives avais-je ainsi douchées, parce que les informations - les secrets, quelques fois - que je détenais ne concernaient en aucun cas ces sinistres commères ? La majorité du temps, je n'utilisais les fruits de mes visions que pour les personnes qu'elles concernaient et nul autre - même s'il m'arrivait, c'est vrai, de m'en servir à mon avantage, comme c'était le cas ici présent. Car pouvais-je nier au fond de moi que j'avais vivement souhaité que Tradd me remarque enfin, autrement que comme 'cette folle qui prétend avoir des visions' ? Ne fût-ce que pour enfin lui faire part de mes prémonitions le concernant ?
Mais ce n'était pas la seule raison, et je le savais pertinemment : simplement, il me semblait plus facile pour l'heure de ne pas m'avouer à moi-même certains faits le concernant. Compliquer encore davantage ma vie actuelle ne paraissait d'ailleurs guère une idée judicieuse : pourquoi céder à des sentiments qui n'apportaient jamais que des ennuis aux personnes comme moi ?

Que j'annonce ce genre de choses à Tradd était de toute façon tout bonnement exclu. On jasait déjà suffisamment à notre propos : que j'aille admettre ... cela, et ce serait tout Poudlard ou quasi qui nous tomberait sur le dos comme une horde de tiques, chacun luttant pour poser ses questions le premier. Et même si ce n'était pas le cas ... ils ne comprendraient pas.
Le rire du Poufsouffle me fit du mal cependant : glacé, caustique, il entailla mon coeur plus vivement et durement que je ne l'aurais cru. Etait-il encore en train de se moquer ? Je glissais mes jambes sous moi et me redressais, prête à partir, mais un sursaut d'orgueil m'empêcha de fuir une nouvelle fois : allais-je le laisser se gausser de ma personne sans rien dire, tournant le dos comme la sinistre lâche que j'étais ? Hors de question. Me redressant sur les genoux et encore à terre, j'entrepris de le fusiller du regard, froissant entre mes doigts le tissu de mon chemisier auquel s'agrippaient mes mains. Si je ne faisais pas attention, j'allais tordre et déchirer le tissu au niveau de la taille avant même la fin de cette 'discussion' ... si je pouvais appeler ça comme ça. Car au train où allaient les choses, tout ça prenait des allures de règlement de compte : or, ce n'était pas mon vœu. Je tournais donc la tête vers lui, suffisamment pour apercevoir ses lèvres remuer, mais pas assez tôt pour entendre ses paroles. Que venait-il de dire ?!

La manière dont il s'appuya nonchalamment contre l'arbre, cette posture de poseur me tirèrent cependant un sourire : probablement ne s'en était-il pas rendu compte, mais nul doute cette fois que si on l'apercevait ainsi posté, la tête tournée vers moi, son bras apposé entre moi et l'autre côté de l'arbre me bloquant toute sortie, on croirait que nous étions en plein flirt - ce qui, vue la teneur de notre conversation plus proche de la dispute qu'autre chose - me paraissait si décalé que ç'en devenait presque drôle. « Tu te méprends sur mon compte, Montana. » Mon prénom, cette fois - plus mon diminutif ; après tout, j'imagine que mon comportement des dernières minutes ne l'avait guère incité à ce genre de familiarités. Je m'aperçus néanmoins que j'étais avide d'en apprendre plus, avide de découvrir en quoi je m'étais trompée sur sa personne : sans doute allait-il tâcher de me persuader que je faisais fausse route à son sujet - mais j'étais un juge difficile depuis quelques temps.

« Je me fiche de ce qui peut bien être dit sur moi. » Haussement d'épaule je-m'en-foutiste qui ne lui ressemblait guère. « Par ailleurs, si l’on en croit tes visions, cela n’a que très peu d’importance. Bientôt, il n’y aura plus de quoi répandre des rumeurs me concernant. » Si l'on en croyait mes visions, comme il le disait si bien. Mais je savais mieux que quiconque que l'avenir n'était pas immuable : il pouvait être changé, modifié par le plus insignifiant ou le plus petit détail ; le seul fait que Tradd parut me croire pouvait par exemple avoir d'ores et déjà modifié son futur. Je tentais d'éviter son regard lorsqu'il s'assit à côté de moi - réactivant ainsi cette proximité électrique entre nous que je fuyais avec constance et acharnement - mais il le captura presque d'autorité, ne me laissant quasiment d'autre choix que de le regarder. Pour observer quoi, de toute manière ? Le lac ? Je le contemplais tous les jours ; les autres étudiants ? Allons-y pour trouver un meilleur moyen qu'ils s'imaginent que je me souciais de ce qu'ils pouvaient colporter, et donc que c'était vrai. Je n'avais donc effectivement pas d'autre option que de le contempler droit dans ses iris anthracites comme il poursuivait : « Si tu me le permets, j’aimerais revenir sur tes propos ... » Sa main effleurant les brins d'herbe attira mon attention : j'en profitais pour fixer sur elle mon regard plutôt que de le dévisager comme l'aurait exigé la convenance. « Je ne suis pas d’accord avec toi sur un point. » Un seul ? Je devais avoir plus de chance que je ne le croyais ; néanmoins, le sérieux avec lequel il m'observait m'incita à détacher mes yeux de ses doigts dans l'herbe. Je les relevais vers lui et les plantais dans les siens, espérant simplement ne pas vaciller.

« Tu ne vois vraiment pas en quoi ton don peut interférer avec mes émotions ? C’est bien simple, pourtant. Tes visions ont prédit ma mort, Montana. » Ces simples phrases me firent l'effet d'un coup de poing dans l'estomac, et je battis des paupières un moment avant de retrouver contenance. Sa façon si directe de m'asséner cette vérité que je savais réelle n'en était pas moins surprenante, car elle constituait la preuve tangible qu'il croyait en ce que j'avançais. « Sais-tu ce que c’est ? Je lutte contre ma propre mort. » Je levais sur lui un coup d'oeil irrité : il luttait, prétendait-il ; bien, pourquoi continuait-il alors à s'acharner face à Harper, alors qu'elle était tout aussi capable que les autres de mettre l'ordre fatal à exécution et qu'elle avait très certainement reçue elle aussi la consigne ? Je laissais pourtant Tradd continuer. « J’ai beau courir, tenter violemment d’échapper à ce que sera mon destin, j’ai l’impression que tous mes efforts sont vains. Je vais mourir. » Ces derniers mots, prononcés avec une telle fatalité, me marquèrent. Ravagée de chagrin pour ce que je savais pouvoir arriver, je glissais ma main dans la sienne en signe de soutien, puis relevais son menton à l'aide de ma main droite. « Alors oui, ton don interfère avec mes émotions. Bien plus que celui de Shaelyn. Toi seule détiens ce pouvoir sur moi. »

Le terme 'pouvoir' me gêna : s'agissait-il d'une forme de puissance sur autrui que me conférait mon don ? Jamais je ne l'avais perçu ni appréhendé de cette façon, et je n'y étais pas prête : l'idée que le préfet considère que mes prémonitions plaçaient entre mes mains un pouvoir quelconque sur sa personne m'embarrassait. Me rapprochant de lui pour mieux l'étudier, je soufflais doucement : « Je peux prédire l'avenir, oui : mais il s'agit de la chose la plus changeante et la plus complexe que j'ai jamais rencontrée. Un rien, un détail apparemment insignifiant peuvent transformer le futur et le modeler autrement. Peut-être qu'en ayant conscience des dangers que tu encoures, cela n'arrivera pas. » J'observais fixement le visage du Poufsouffle, posant ma main libre sur son épaule en un geste rassurant. « Tu ne mourras pas, Tradd. Jamais je ne laisserai cela arriver. » Après tout, ne l'avais-je pas approché dans ce but, abordé pour le préserver du sort funeste que j'imaginais être le sien ? N'avais-je pas envie, plus que toute autre chose, de le sauver ?


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Message par Tradd Cooper Dim 20 Juin - 17:37

Je n'étais même pas véritablement certain de posséder la capacité de saisir toute l'étendue de ce pouvoir que Montana semblait exercer sur moi. Pour être tout à fait franc, tout ce dont j'avais conscience était l'insistance avec laquelle, depuis quelques jours, son visage me hantait. Jusque dans mes rêves, l'expression que j'y avais lue, lorsqu'elle m'avait décrit sa vision, m'obsédait. Plus mortifiants qu'un sablier dont les grains fuiraient toujours plus rapidement, ses yeux clairs m'évoquaient le gouffre dans lequel j'étais plongé depuis que j'étais devenu un simple condamné à mort. Elle seule était en mesure de me léguer toutes les clés, de m'aider à échapper au destin qui m'était si gravement réservé. Aussi naïf et stupide que cela pût paraître, j'étais au moins soulagé que tout fut entre ses mains, et non celles d'une autre, bien qu'il en fût tout à fait différemment dans les premiers temps. Il est vrai que, tout d'abord, et il serait hypocrite de le dissimuler, je lui en avais profondément voulu. A l'instant même où les cagoulés étaient entrés dans la Grande Salle, à le seconde prêt où j'avais compris que la première prophétie de la jeune Serdaigle se réalisait, je l'avais rendue responsable de ce qui serait susceptible de survenir dans ma vie et d'y mettre tragiquement fin. Puis, mes sentiments à son égard avaient évolué. J'avais surtout compris que ses visions n'y étaient pour rien, qu'elles ne provoquaient rien et qu'elles ne faisaient que relater des évènements sur le point de se produire. Alors, elle était devenue ma dernière chance, et je n'avais éprouvé aucune honte à déposer ma vie entre ses mains. Certes, j'avait été un sombre idiot d'oser imaginer que, seule, Montana puisse assurer ma survie. Par ailleurs, j'étais toujours ce même idiot qui, sans avoir le courage de le lui demander directement, espérait secrètement qu'elle trouve un moyen - après tout, n'était-elle pas parvenue à m'avertir alors que tous les éléments semblaient contre elle ? - de me tirer de cet abîme.

Déstabilisé par la sincérité avec laquelle j'avais partagé mes craintes avec elle, je détournai les iris, les laissant songeusement errer sur les brins d'herbe doucement éclairés par les rayons du soleil. Je n'étais pas honteux - la peur de la mort ne me semblait pas irrationnelle et j'avais probablement d'excellentes raisons pour me comporter de la sorte - mais j'étais simplement consterné par la facilité avec laquelle je m'étais ouvert à la jolie Serdaigle. Je m'étais montré plus vulnérable encore que je n'avais pensé l'être. Certes, je n'avais jamais été le dur à cuir mais, depuis l'abandon de mon père, je n'avais autorisé aucun bouleversement à m'émouvoir d'une telle façon, me montrais même d'une passivité extrême lorsqu'on en venait à des conversations plus sérieuses que les plaisanteries de groupe. J'étais un jeune homme futé, joyeux, que rien n'atteignait réellement. Du moins l'avais-je pensé - et avais-je essayer de le prouver - jusqu'à ce que Montana ne me parle de mon assassinat. Je ne pouvais décemment pas me remettre d'une telle information en un claquement de doigt, et quelques plaisanteries ne m'y aideraient pas. Cette fois-ci, mon naturel optimiste ne m'était d'aucune aide, et j'étais confronté à une part de ma personne que je n'étais pas certain de connaître. Prêt à me battre, certes, mais surtout tourmenté.

J'entrouvris les lèvres, prêt à laisser échapper quelques mots de plus, n'osant mouvoir un seul doigt, par crainte qu'elle ne se souvienne d'avoir glissé sa main dans la mienne et ne brise leur étreinte, cette pression si douce et si violente, en cela qu'elle réveillait bien trop d'impressions indescriptibles, à la fois. Avec soulagement, je m'aperçus qu'elle ne brisait pas le contact et, qu'au contraire, elle se rapprochait, reprenait la parole. « Je peux prédire l'avenir, oui : mais il s'agit de la chose la plus changeante et la plus complexe que j'ai jamais rencontrée. Un rien, un détail apparemment insignifiant peuvent transformer le futur et le modeler autrement. Peut-être qu'en ayant conscience des dangers que tu encoures, cela n'arrivera pas. » Je plissai les yeux, méditai les informations avec précaution. C'était un drôle de sentiment. Je me faisais l'effet d'être si perdu que j'avais du mal à assimiler ce qu'elle me disait, comme si un voile épais m'empêchait de voir clairement et me rendait aveugle. C'était pourtant tout à fait compréhensible ; j'évoluais là dans un monde que je ne connaissais pas et qui n'était pas le mien. Je n'étais pas familier des visions, du futur que l'on pouvait prédire. Néanmoins, j'avais compris l'essentiel. Le futur était malléable. « Tu ne mourras pas, Tradd. Jamais je ne laisserai cela arriver. » La confidence me tira un sourire amusé. Il n'y avait que quelques secondes, Montana semblait prête à sortir les griffes, à m'arracher elle-même la vie. Quel revirement de situation ! Agréable. Je ne fis pourtant aucun commentaire, sachant parfaitement que j'éprouverais de la peine à contenir la pointe de satisfaction qui se devinerait dans ma voix.

« Tu en as déjà tellement fait, commençais-je prudemment, reconnaissant. Ce serait bien injuste de t'en demander davantage. C'est ma bataille désormais. » J'eus un haussement d'épaules qui trahit la résignation dont j'avais sciemment teinté ma voix. J'étais certes décidé à me battre contre Clyde ou tout ce qui me mettrait en péril, mais le fait que je n'eusse aucune idée de la façon dont m'y prendre pour changer le futur rendait ma volonté un peu moins stable. Je coupai court à mes méditations, vrillai sur Montana un regard singulier, presque inquisiteur. « Hmm, puisque le futur te semble si malléable, puis-je savoir pourquoi tu t'es évertuée à me suivre partout en espérant me sauver ? Après le comportement que j'ai eu à ton égard, j'aurais plutôt mérité que tu me laisses mariner dans mon jus en attendant une mort des plus douloureuses. » Espérant adoucir l'atmosphère, pesant depuis que je lui avais confié mes craintes, je l'avais légèrement détourné.

« Parce que oui, j'ai remarqué que tu me suivais. D'ailleurs, si tu me sauves, je promets de t'apprendre les bases de la discrétion... » enchainai-je avec un sourire en coin, soulevant sciemment nos paumes toujours jointes. Double provocation. Je savais que la réaction ne se ferait pas attendre, et cette réaction me plaisait déjà. Elle semblait si nerveuse, presque à fleur de peau, lorsque j'étais à ses côtés.


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Message par Montana D. Jones Dim 4 Juil - 1:16

Décidée à lui montrer à quel point j'étais sincère, résolue mais par-dessus tout déterminée dans ma décision de le sauver de la mort, j'accordais à Tradd un sourire confiant mais qui, surtout, se voulait réconfortant. C'était par ma faute s'il se sentait condamné à périr : je voulais lui ôter de la tête cette conviction fataliste, lui faire comprendre à quel point ses chances de survie étaient loin d'être si minimes qu'il l'imaginait. Remarquant soudain la présence de ma main toujours dans la sienne par cet étrange contact contre ma paume, je fis mine de l'ignorer en regardant ailleurs, espérant simplement sans toutefois être dupe que le préfet ne s'en apercevrait pas. Je rêvais, oui, mais comment agir autrement ? Dans les circonstances présentes et alors que je lui faisais part du soutien que je lui accorderais, il n'était pas à exclure que retirer ma main soit interprété comme un signe de défiance de ma part - et je ne voulais surtout pas le froisser. Je m'étais déjà montrée suffisamment hostile précédemment ... Le fait qu'il eut pris les devants pour m'interroger à propos de mes visions me semblait d'excellent augure, signe qu'il était enfin prêt à prendre en main le cours des choses pour épargner sa vie - je n'aurais plus à lutter seule pour sauver cet entêté. Mais n'était-ce pas moi qui persistait à m'obstiner ? N'étais-je pas en réalité la seule, dans toute cette histoire, qui ne savait pas faire la part des choses ? Nombre de fois j'avais intercepté le regard désapprobateur de Tabatah sur ma personne tandis que je contemplais le Poufsouffle, en quête d'une énième façon d'attirer son attention. Elle ne l'estimait pas, ne m'épargnait rien, affirmant sans remords que je méritais mieux qu'un bellâtre aveugle, plus attiré par l'éclat trompeur d'une chevelure blonde que par mes prédictions qui pourtant annonçaient sa mort. Mais comment lui en vouloir ? N'aurais-je pas moi-même, à sa place, préféré trottiner après les courbes de la jolie barbie Fear plutôt que de prêter l'oreille à un corbeau de mauvais augure ?

Mais il était venu à moi ; et pourtant il ne posait, encore maintenant, toujours pas les bonnes questions. Qu'attendait-il pour quérir des détails, m'ordonner de décrire jusque dans le moindre élément ce que j'avais vu ? J'aurais été ravie de lui fournir des réponses - j'avais d'ailleurs, moi aussi, certaines questions à lui poser. Il ne se montrait pas curieux cependant, s'interrogeant davantage sur sa condamnation à mort que sur les éventuels coupables, ou les circonstances à éviter. Pensait-il que je ne m'étais pas penchée sur le sujet, que je n'avais pas mené ma petite enquête pour déterminer qui voulait sa mort ? Bon Merlin, j'étais à Serdaigle, l'esprit inquisiteur et la curiosité faisaient quasiment partie de mon ADN. Mais il ne disait rien de tout cela ; devrais-je alors moi-même aborder le problème de front ? Rowenna soit louée, pourquoi était-ce toujours à moi de pousser en avant les dominos ? Je choisis toutefois de prendre pour l'heure mon mal en patience et observais le jaune et noir un moment, cherchant à déterminer exactement quelles réflexions pouvaient bien traverser son esprit tourmenté suite à mes affirmations. Je connaissais mon propos, pour avoir maintes fois médité sur les conséquences à tirer de mes prédictions : j'avais beau être encore loin de dominer totalement mon Don, j'en acquérais chaque jour une plus grande maîtrise. Je n'étais même pas bien certaine en vérité que mes paroles avaient pénétré la conscience de l'énigmatique Poufsouffle : tout au contraire, l'égarement qui imprégnait son regard le faisait paraître plus perdu encore. Je commençais seulement à mesurer l'ampleur de la tâche qui serait la mienne : pour lui faire réellement percevoir toute la complexité de l'avenir, il ne me suffirait pas de lui dévoiler même en détail le contenu de mes flashes ; j'allais devoir l'initier au monde qui était le mien ... le laisser entrer dans mon univers - la perspective qui m'épouvantait.

Le silence qui suivit ma déclaration d'assistance, promesse de soutien indéfectible quoi qu'il advienne, m'inquiéta soudainement : peut-être en vérité ne voulait-il aucunement de mon aide ? J'avais toujours considéré comme acquise la certitude qu'il éprouverait en acceptant la réalité un besoin littéralement vital de mon appui, mais en fait rien ne l'avait jamais réellement laissé présager - si ça se trouvait, son mutisme n'était que le résultat de ses réflexions pour trouver la façon la plus délicate de m'annoncer cet état de faits. Horrifiée par cette perspective - Merlin, comment allait-il s'en sortir ? Il ignorait même encore qui désirait sa mort et pourquoi ! - je me rapprochais soudainement de son visage, désireuse de capter son regard et oubliant toute peur, lorsqu'il reprit tout à coup la parole. « Tu en as déjà tellement fait. Ce serait bien injuste de t'en demander davantage. C'est ma bataille désormais. » Tellement fait ?! Mais je n'avais pas encore accompli le quart de la tâche que je m'étais assignée, j'en étais à peine au commencement ! Tradd n'était pas sauvé, il ignorait toujours une bonne partie des choses cruciales qu'il avait à savoir et ne semblait malheureusement pas le moins du monde désireux d'en apprendre davantage. Il allait pourtant avoir besoin des autres informations que je détenais. Presque désespérée, je soupirais bruyamment de lassitude, arborant un sourire amusé. Le regard particulier que Tradd posa sur moi me désarçonna cependant, et je perdis bien vite mon assurance vaguement moqueuse au profit d'une expression plus circonspecte, vaguement inquiète. Je n'étais pas bien sûre d'aimer ce coup d'œil énigmatique qu'il venait de poser sur moi, synonyme à mes yeux d'une seule et unique chose : à mon tour de me faire cuisiner une nouvelle fois. « Hmm, puisque le futur te semble si malléable, puis-je savoir pourquoi tu t'es évertuée à me suivre partout en espérant me sauver ? Après le comportement que j'ai eu à ton égard, j'aurais plutôt mérité que tu me laisses mariner dans mon jus en attendant une mort des plus douloureuses. »

Cherchant précipitamment que répondre à cela, je parcourus en pensée toutes les excuses classiques parmi les plus bateau imaginables, avant de sélectionner en hâte celle qui me parut la plus appropriée. Pinçant les lèvres en une parfaite imitation de certaines dindes de Poudlard - mais qui malheureusement, ne semblait guère crédible sur ma personne - et tâchant d'adopter mon air le plus offusqué, je posais sur Tradd un regard franchement scandalisé laissant entendre une offense que je ne ressentais pas. Je croyais avoir trouvé ainsi parade à une tempête, mais la suite fut bien pire. « Parce que oui, j'ai remarqué que tu me suivais. D'ailleurs, si tu me sauves, je promets de t'apprendre les bases de la discrétion... » Tout mon beau masque manqua de se fissurer en un clin d'œil, et je me repris de justesse. Hélas, je n'avais pas non plus suffisamment perfectionné l'art de la dissimulation : les chances étaient minces pour que Tradd, qui me fixait à présent, loupe ces quelques failles dans mon beau déguisement. Son sourire en coin me sembla la signature au bas de mon acte d'accusation. Une lueur d'effroi traversa mon regard chocolat lorsqu'il souleva nos deux paumes toujours liées : je réprimais mon instinct premier qui était de libérer ma main afin de lui asséner une magistrale tape sur le crâne, voire de l'assommer tout bonnement et de m'enfuir en courant, préférant simplement respirer profondément et le plus calmement possible. Je comprenais soudain ce que devaient éprouver les lapins pris dans des cages pour être sortis inopinément de leurs terriers : en vérité je n'aspirais dans l'immédiat qu'à une chose, m'échapper de ce traquenard et retourner dans le mien.

Pas moyen de m'enfuir sans paraître suspecte pourtant : j'étais condamnée à essuyer le camouflet et à faire face. Rassemblant en moi toute la colère dont j'étais encore capable à ce point fragilisée, je levais ma main libre ... et lui assénais de toutes mes forces une claque retentissante. J'avais toujours trouvé l'usage des poings indigne d'une sorcière, oui, et la magie trop gentille parfois. La faiblesse et la faille de ma réaction étaient évidentes, mais je comptais sur la stupeur face à la gifle pour distraire le préfet à point nommé. Posant sur lui un regard dur, mais qui manquait au fond de conviction, je répliquais : « Je savais que tu ne me connaissais pas, mais j'attendais au moins un minimum de considération de ta part en n'étant pas prise pour une misérable égoïste qui se moque du sort d'un innocent. Même si, concluais-je, presque véritablement irritée, vu ta réaction je commence à douter que tu en fasses partie ! » Je levais à nouveau la main pour une nouvelle gifle, qu'il n'eut aucun mal à parer. Redoublant de férocité, je martelais de mes poings son torse dans une vaine tentative de le rouer de coups ; non seulement il n'eut là encore aucune difficulté à parer mes tentatives infantiles, mais encore arrêta-t-il mes doigts, les bloquant dans ses paumes fermées. Soudainement déséquilibrée, je basculais grotesquement sur le côté et m'effondrais droit sur ses cuisses en bougonnant, gigotant en tous sens comme une maladroite pour me libérer de sa prise. Lui lançant finalement mon regard le plus noir exprimant toute la profondeur de la blessure infligée à mon orgueil, ignorant totalement mon visage à quelques centimètres du sien, je laissais échapper : « Et si tu ne veux pas de mon aide, très bien ! » Vexée comme un pou, je changeais de côté et m'étendis sur ses jambes, lui tournant ostensiblement le dos, ma nuque et mon visage soigneusement cachés par le rideau de mes cheveux chocolat.
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Message par Tradd Cooper Dim 1 Aoû - 23:51

Nos mains ainsi entrelacées bousculèrent quelques sentiments étranges qui s’immisçaient dans mon être, me rendirent légèrement mal à l’aise. Soudainement, étrangement, je m’apercevais de nos différences. Elles ne m’avaient jamais véritablement choqué, jusqu’à présent. Je me demandais même si elles m’étaient apparues avant cet instant présent. La réponse négative à cette interrogation n’était guère étonnante, à vrai dire. Je ne m’étais suffisamment penché sur la personnalité de Montana ; non pas qu’elle ne m’intéressât pas – c’était tout l’inverse, et bien le problème – mais plutôt que je n’en avais jamais éprouvé le besoin, ni même le désir. Dans mon esprit, jusqu’à ce que nous nous rapprochions ostensiblement pour des raisons évidentes, ses visions à propos de ma mort, elle était Montana D. Jones, en toute simplicité ; naturellement. Néanmoins, depuis qu’elle avait accepté de me venir en aide, ou plutôt depuis que j’avais finalement attrapé sa main tendue, je percevais des détails dans son caractère qui attiraient toute mon attention. En cet instant, sa paume tiède reposant au creux de la mienne, ces détails ne me semblaient plus des détails, ils prenaient des proportions telles que toute ma vigilance était concentré sur la jeune femme, et seulement elle, plus rien n’était, hormis elle. Certes, je ne pouvais me vanter de la connaître parfaitement ; pour qui me serais-je pris en affirmant que je lisais en elle ? D’ailleurs, le problème était bien là. Ma fascination soudaine pour Montana et ses traits, physiologiques comme psychologiques, était certainement due au manque d’information ; du moins était-ce ce dont je m’étais convaincu, moi, pauvre petit Poufsouffle incapable de décrypter mes émotions. Si mon esprit s’embrumait à chaque évocation de son prénom, il ne s’agissait que de la manifestation de la crainte. Une crainte que les visions de l’intéressée avaient provoquée. Si les rouages de mon cerveau s’immobilisaient au moindre regard, il ne s’agissait que de ma curiosité à lire ce qui se cachait derrière ses pupilles. J’en étais là de ma méditation, tentais désespérément de trouver une explication à mon intérêt soudain et bien trop violent. Ainsi, selon moi, l’explication résidait dans le fait que Montana m’était parfaitement inaccessible, trop secrète, réservée. Je ne la connaissais pas, et cela m’attirait inexorablement vers elle.

Evidemment, afin que mon hypothèse soit confirmée, il fallait admettre que j’éprouvais un certain penchant pour l’inconnu. Or, ça n’avait jamais réellement été mon cas ; je me contentais de graviter autour de ma bande d’amis sans demander mon reste, mon quotidien, pouvant paraître d’une banalité effarante aux yeux de certains, me convenait parfaitement et je n’avais jamais aspiré à plus de fantaisie. Les défis, pourtant, j’aimais cela. J’avais pour devise de me battre violemment, de ne jamais baisser les bras – cette détermination m’avait quelque peu quitté depuis les confidences de la mystérieuse Serdaigle, mais je tentais de me reprendre – de me fixer un objectif et de tendre les bras afin de l’atteindre. Ainsi, j’avais vaguement considéré le fait que Montana et sa personnalité complexe pussent être mon Défi Personnel, celui-ci consistant à décrypter ses pensées, son caractère, mais j’avais rapidement abandonné cette idée qui me semblait terriblement réductrice pour une personne comme elle. A l’arrivée, malgré mes vaines tentatives de comprendre ces sentiments étranges, j’en étais exactement au même point. Montana, plus que son don, me fascinait et j’étais bien honteux de l’admettre ; non pas qu’elle fût incapable d’attirer l’attention de qui que ce soit, mais plutôt que je n’avais jamais été l’un de ceux qui se laissaient emporter dans ce genre de tourbillon sans fond, sans cause, et avec multiples conséquences – désastreuses, les conséquences – à la clé.

Résigné, j’abandonnai mes violentes tentatives de compréhension, poussai un long soupir de renoncement. En sa présence, il me semblait que j’étais dans l’incapacité totale de déchiffrer une partie de moi, une partie de moi importante, plus complexe et plus profonde. Cette même fraction de ma personne qui tentait ardemment de fuir à la crainte d’une mort en perspective, sans y parvenir cependant. Décidant de me consacrer uniquement au moment présent, je me concentrai sur les traits de Montana, et je ne pus empêcher mes sourcils de se froncer, creusant une ride d’inquiétude sur mon front. Son visage semblait plus fermé, plus prudent, soudainement. Ma tentative de dérision semblait avoir échoué, ce qui me déplaisait fortement. J’avais espéré en apprendre un peu plus sur elle, j’avais espéré qu’elle me révèle un nouvel aspect de sa personnalité ; moins réservé, plus joueur, peut-être ? Comme je m’étais trompé ! C’était pathétique, et j’en goûtais la gravité la seconde suivante. Les éléments s’enchainèrent en trois temps. Tout d’abord, le doux visage de mon Défi Personnel se décomposa ; puis, le doute commença doucement à s’immiscer en moi, insidieux, il s’enfonça sous ma peau ; finalement, en réponse à mes questions, une main s’abattit brusquement sur ma joue, décollant toutes mes pensées, réveillant mon incrédulité, semant la zizanie dans le tourbillon de mes impressions. Premièrement, naïf que j’étais, j’avais cru à une décharge électrique, ce genre de sensation qui vous bouleverse quand une personne vous touche. Puis, la vérité s’était imposée, comme j’étudiais prudemment les expressions de l’hostile Montana. Alors, je me renfrognai immédiatement, hésitant pourtant à réagir à cet accès de violence. Était-il mérité ? Je ne pouvais nullement le dire. J’admettais l’avoir bousculée, poussée dans ses derniers retranchements peut-être, mais mes intentions n’avaient pas été mauvaises, ni de la mettre mal à l’aise ; j’avais tout simplement voulu alléger le sujet qui tournait toujours autour de ma mort. Tandis que la Serdaigle, toujours monstrueusement en colère contre moi, sembla vouloir reprendre la parole, ma main se posa délicatement à l’endroit précis où s’était écrasés ses doigts ; j’étais ahuri, mes traits devaient être risibles, j’hésitai encore à croire que tout ceci fût la réalité. « Je savais que tu ne me connaissais pas, mais j'attendais au moins un minimum de considération de ta part en n'étant pas prise pour une misérable égoïste qui se moque du sort d'un innocent. Même si, vu ta réaction je commence à douter que tu en fasses partie ! » Montana Jones, la jeune femme qui souhaitait me sauver, venait de me gifler, et elle semblait plus irritée que jamais. A son discours, j’haussai un sourcil. Elle ne m’avait pas compris, et nos différences me semblèrent plus flagrantes encore qu’il y avait quelques minutes. Je ne pus dire avec précision ce qui était le pire : la douleur physique infligée était moindre, je ne ressentais que des picotements ; mon orgueil en avait pris un sale coup, mais je savais que je m’en remettrais ; non, ce qui m’était le plus douloureux était que je l’avais blessée. Cela, en mon sens, était bien plus ahurissant que la gifle retentissante dont je venais d’être la victime ! Pourtant, ses paroles m’avaient touché, et je n’aspirais qu’à y répondre avec fièvre. Je me retenais, sachant qu’elle n’en avait terminé avec moi, et qu’elle était en droit d’ajouter tout ce qu’elle désirait. Ainsi, je me tus – étonnante, la facilité avec laquelle Montana faisait taire un jeune homme sociable comme moi – attendant que la tempête ne se calme. La comparaison était bien choisie, elle semblait aussi déchaînée qu’un ouragan. La teinte claire de ses yeux avait pris des colorations plus sombres, plus menaçantes. Pourquoi, diable, alors, me plaisais-je encore en sa compagnie ? Merlin, si elle avait été une autre, je me serai bien permis de lui asséner ses quatre vérités, et je n’en aurais éprouvé aucune honte. « Et si tu ne veux pas de mon aide, très bien ! » Cette fois, je levai les yeux au ciel, éberlué plus par mon comportement que par le sien.

« Je veux de ton aide, Tana. J’en ai besoin. » Ma voix était calme, ce qui me surprit. L’utilisation de son surnom, pourtant, était risquée, mais je ne m’en formalisai pas. Nous avions d’autres problèmes, bien plus graves que celui-là. Voyant qu’elle était bien décidée à ne me montrer que son dos, ainsi que ses jolies boucles brunes, mon impatience grandit, et je m’emportai quelque peu. « Bon sang, veux-tu bien cesser de me tourner le dos ? » Je me redressai en quelques courtes secondes, me retrouvant en position debout, dressé devant elle. « Je ne voulais que plaisanter. Je cherchais à alléger l’atmosphère. » Elle semblait... vexée, offensée. Je ne le savais pas. Comme elle me l’avait fait comprendre, je ne la connaissais pas, et je ne pouvais deviner ce qui se tramait dans son esprit. D’ailleurs, je ne comprenais toujours pas sa réaction si violente, aurais adoré pouvoir m’abreuver de toutes ses pensées, afin d’avoir la capacité d’apaiser sa fureur. Au lieu de cela, ce fut la mienne, de fureur, qui sembla s’emparer de chacun de mes membres. Elle couvait, pour l’instant, je tentais de la retenir. Jamais je n’avais manqué ainsi de contrôle sur ma personnalité, sur moi-même. Pourtant, les occasions m’avaient été données. Surtout en ce qui concernait ma famille. Lors de ma deuxième année à Poudlard, par exemple, j’étais rentré à la maison pour les vacances de Noël, avais découvert la valise de mon père dans le couloir, ce dernier adossé contre le mur. Je l’avais trouvé parfaitement immobile, et silencieux. Il n’avait rien dit, ma mère s’était contentée de déclarer qu’ils avaient besoin de temps, et j’avais compris qu’il s’en allait. Je ne l’avais jamais revu, et cette épreuve, pourtant, m’avait laissé sans réaction aucune. Comment expliquer, alors, que Montana fût capable d’éveiller un tel ressentiment ? Abandonnant la tentative d’étouffer les flammes de ma colère, je me laissai aller à elle, contre elle, me reposai plus qu’uniquement sur elle.

« Tu veux la vérité ? » assénai-je avec toute la véhémence qui ne me quittait plus, à présent. « Ne t’étonne pas que tu sois seule, ou incomprise par les autres. Ton don n’y est pour rien. Il est parfaitement supportable – appréciable même, j’en suis la preuve. Le problème n’est pas cette différence. Le problème, c’est toi, Montana. » finis-je en haussant les épaules, ahuri de m’adresser à elle de la sorte. Je pris quelques secondes pour méditer mes paroles, devinant l’effet qu’elle produirait sur elle. N’allais-je pas la blesser ? J’inspirai, par deux fois, une bonne bouffée d’air, qui termina de me calmer en s’engouffrant dans mes poumons ; lorsque je repris la parole, mon ton était moins élevé, plus contenu. « Tu tiens les gens à distance. Tu refuses de t’ouvrir. » Avais-je mis le doigt sur la faille ? « Quand bien même essaye-t-on de te dérider un peu, tu restes parfaitement hermétique à tout. Je sais bien que tu n’accepteras aucun conseil de ma part, mais je ne me gênerai pas : ne cherche plus à te cacher derrière des excuses, ou même derrière tes visions. Tu es ce qui nous empêche de t’approcher ! » Je détachai chaque syllabe de cette dernière phrase avec précision, mes mains en ponctuant encore l’intensité, se balançant dans l’air au rythme de ma voix déchainée.

Je ne ressentais pourtant aucun soulagement. Las, je laissai un filet d’air s’échapper de mes lèvres, relevai les iris et les plantai dans celles de Montana. Je cherchais à comprendre, à savoir si j’avais déclenché la moindre réaction, je fouillais son regard comme je l’avais fait auparavant, lorsque je la surprenais en me regardant, à l’époque où aucun de nous ne nous étions encore abordés. Rien. Je ne m’hasardai plus à des conclusions hâtives. Elle l’avait dit, je l’avais compris : je ne la connaissais pas.

« Merci pour ton aide. » repris-je, déçu qu’une pointe d’aigreur colore encore le murmure qui s’échappait de mes lèvres entrouvertes. « Pardonne-moi si je t’ai offensée d’une quelconque façon. Mon manque de considération et moi ne t’embêterons plus. »

C’était ainsi que j’avais été élevé, et j’étais décidé à ne pas m’en aller sans lui avoir présenté des excuses. Inspirant à fond – l’air frais qui passait dans ma gorge m’aida à retrouver mes esprits – je passai une main malassurée à travers le désordre de ma crinière cuivrée.


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Message par Montana D. Jones Ven 6 Aoû - 11:12

Me rapprocher de Tradd pour l’aider à survivre s’avérait résolument plus compliqué que je ne le pensais. Non pas que cela m’avait jamais paru facile : avec son air habituellement heureux et ses fréquentations à des lieues des miennes, il m’avait toujours semblé venir d’un autre monde. Une dimension parallèle était d’ailleurs un terme plus approprié : nos univers se côtoyaient, suivant parfois les mêmes directions sans jamais se croiser. Et pourtant, voilà qu’après l’Attaque son chemin s’était télescopé dans le mien tel un météore et à présent, j’ignorais totalement ce que je devais faire de cette espèce de gros cratère, d’énorme accroc dans ma petite existence aux cases bien séparées. La vérité était que je n’avais pas prévu cela, tout en l’espérant, et cela bouleversait en conséquence le moindre de mes plans. Par le plus pur des – mauvais ? – hasards, Tradd Cooper, préfet de Poufsouffle aimé de beaucoup mais hélas suffisamment haï par d’autres qui désiraient sa mort, était entré dans mon existence. Que faire de cette nouvelle donnée dans mon équation personnelle ? Au-delà des simples évidences dictées par la logique et les actions imposées par mon Don, c’était le noir. Néant total. Blackout. Est-ce que j’attendais davantage de lui que jouer convenablement le rôle du miraculé que j’allais sauver ? Avais-je envie de m’investir affectivement dans cette opération, au risque de voir cette inconséquence m’en coûter en cas d’échec ? Oui, non, peut-être, je ne savais pas ; quelle était la question déjà ? Mes pensées étaient brouillonnes, incohérentes, troublées par sa proximité près de moi – proximité à laquelle une partie de mon être se fermait avec acharnement, pendant que l’autre tendait désespérément vers elle. Pourquoi sa simple présence à quelques centimètres de moi me faisait-elle autant de bien, tout en me plongeant dans un état de constante anxiété proprement insupportable ?

Ah, assez ! Fixant mon regard sur les reflets dansants dans le miroir aqueux du Lac à la lumière des derniers rayons qui s’attardaient, je respirais profondément et entrepris d’éclaircir mes pensées. Pourquoi n’arrivions-nous jamais à nous comprendre l’un l’autre, ou tombions-nous toujours à côté ? Je ne me faisais pas d’illusions pourtant : Tradd voulait bien faire, mettant simplement les pieds dans le mauvais plat. J’avais paniqué pour seule réponse à sa question, réagissant de la façon la plus à même de l’écarter totalement de cette pente bien trop glissante pour moi : une violence inattendue – injustifiée surtout. Mais pourquoi admettre une partie de la vérité ? Je n’en aurais retiré que des ennuis, Merlin savait que j’en avais déjà plus que mon compte. Pourquoi ajouter à la longue liste ? Je n’étais pas douée pour les rapports humains, inutile de me voiler la face, alors pourquoi faire une exception avec celui-ci. Je ne réussirais qu’à souffrir davantage – la situation présente me plongeait déjà dans un embarras monstre. Je n’aimais pas frapper les autres ; mon truc, c’était l’indifférence, occasionnellement le mépris – jamais les coups, et voilà qu’à présent je m’en voulais d’avoir cédé à cette facilité. Qu’auraient pensé mes parents d’un tel acte ? Beaucoup de choses, certainement, loin d’être toutes bonnes.

Mais heureusement ou malheureusement, mes parents n’étaient présents ni pour me soutenir, ni pour me critiquer. Que m’aurait dit ma mère ? « Sois toi-même », ou quelque chose dans ce genre-là ; mais je n’avais pas l’impression d’être une autre personne – tout au contraire, c’était ce débordement de … « moi » qui m’embarrassait et me faisait honte. Oh, combien j’aurais aimé être quelqu’un d’autre à cet instant, une adolescente tout ce qu’il y avait de plus normale avec des fréquentations parfaitement ordinaires. S’il m’était déjà arrivée de me demander ce qu’était une vie sans morts, sans prémonitions, sans Don ? Des centaines, des milliers de fois. Dire que l’on m’enviait cette poisse … avaient-ils idée, tous ces envieux, de tout ce que j’aurais donné pour connaître un seul jour de leur vie ? J’en doutais sérieusement. Heureusement certaines personnes me permettaient-elles de m’échapper un tant soit peu de ce quotidien poisseux, telle Emerson, à laquelle je ne mesurais d’ailleurs ni ma reconnaissance, ni ma loyauté. L’extase profonde et le sentiment de libération, d’échappatoire que j’avais ressenti en apprenant à voler sur un balai me revinrent en tête, probablement l’un de mes plus heureux souvenirs. Mes lèvres s’étirèrent en un sourire de pur bonheur dissimulé derrière mes cheveux bruns. Pour un instant parfait, un moment de perfection dans les airs j’avais cessée d’être l’otage de mon Don. Certaines personnes avaient le pouvoir de me faire ressentir cela, d’autres aggravaient visions et maux de tête sans même s’en apercevoir.

Passant une main nerveuse sur mon front, j’en relevais quelques mèches pour contempler les silhouettes imposantes des montagnes cernant l’autre rive du lac dans le lointain, et le ciel pourpre et or se mirant dans son eau insondable. Moi qui peinais tant avec la race humaine, il me semblait parfois que j’aurais du aller vivre avec les Êtres de l’eau. Je me souvins soudain que je détestais l’humidité, et soupirais profondément : porter quantité de pulls et de sweats pour m’adapter au climat hostile de l’Ecosse me déplaisait déjà fortement, vivre sous l’eau était donc totalement exclu. Existait-il d’ailleurs seulement des sortilèges pour devenir sirène ? Secouant la tête pour retrouver le fil de mes pensées erratiques, je lançais un regard noir en direction du lac comme si lui-même m’avait offensée, avant de prêter attention aux paroles de Tradd qui résonnaient comme un bourdonnement d’insecte à mon oreille. « Je veux de ton aide, Tana. J’en ai besoin. » Je savais cela : dans mon évidente mauvaise foi, j’avais simplement décidé de le bouder ostensiblement pour détourner son attention et ses efforts du sujet épineux que je fuyais. Cela marchait d’ailleurs si remarquablement bien que je m’en serais félicitée, en temps normal, si le prix à payer n’avait pas été de blesser Tradd aussi bien physiquement, émotionnellement que dans son ego.
Son aveu si franc et honnête, direct et sans hésitation me toucha pourtant plus que je ne l’aurais cru ; oui, je n’éprouvais aucun plaisir à toute cette comédie, mais la sincérité avec laquelle il avait admis avoir besoin de mon aide était tout bonnement touchante ; il m’aurait fallu être de pierre pour ne pas y être sensible. Sa voix calme, presque sereine me surprit également : je venais de le frapper sans remords apparent, probablement aussi de le heurter dans son orgueil d’homme – puisque je sentais que, contrairement à d’autres garçons de ma connaissance tel Tristan, il avait une fierté assez développée – mais il conservait même en ces circonstances un self-control ahurissant. Nul doute qu’il devait effectivement faire un bon préfet – ou toute cette patience m’était-elle exclusivement réservée ?...

Souriant à cette perspective derrière mes mèches auburn, goûtant à nouveau l’emploi de mon surnom comme une agréable familiarité dont je ne me lassais pas, je sursautais toutefois légèrement en entendant sa voix, un ton plus fort, non loin de mon oreille. « Bon sang, veux-tu bien cesser de me tourner le dos ? » Je m’exécutais aussitôt, y étant forcée de toute façon par Tradd qui se levait derrière moi. Me redressant totalement devant lui pour mieux le dévisager, je réprimais violemment le sourire s’immisçant au coin de mes lèvres pour le fixer d’un air grave. « Je ne voulais que plaisanter. Je cherchais à alléger l’atmosphère. » « Je sais … » soufflais-je à voix basse en observant son menton. « Tu veux la vérité ? » Non. Non. Non, bien évidemment que je ne la voulais pas, l’expérience m’ayant appris que l’opinion d’un homme tel que Tradd sur ma misérable personne ne pouvait que me rabaisser plus bas que terre. La véhémence, presque la hargne contenue dans cette phrase me souffla sur place comme une chandelle vacillante malmenée par un courant d’air. Revenant à mes primitifs instincts de créature apeurée, je tentais de me tasser sur moi-même, grattant du bout de ma chaussure la terre sous mes pieds comme si je désespérais d’y disparaître. Comme si ? C’était totalement le cas, oui ! Grignotée par l’angoisse, j’attendis, immobile comme une statue, que le couperet tombe. « Ne t’étonne pas que tu sois seule, ou incomprise par les autres. Ton don n’y est pour rien. Il est parfaitement supportable – appréciable même, j’en suis la preuve. Le problème n’est pas cette différence. Le problème, c’est toi, Montana. » Bang bang ; he shot me down - un sniper d’élite surentraîné au tir n’aurait pas fait mieux. Mes oreilles semblèrent occulter les sons alentour, mon sang pulser plus fort dans mes veines, mon cœur battre au ralenti durant quelques secondes. « Tu tiens les gens à distance. Tu refuses de t’ouvrir. » Double tap. Laissant venir le coup fatal, j’abandonnais toute forme de bravade, mes épaules s’affaissant tandis que mon teint déjà clair pâlissait à vue d’œil.

« Quand bien même essaye-t-on de te dérider un peu, tu restes parfaitement hermétique à tout. Je sais bien que tu n’accepteras aucun conseil de ma part, mais je ne me gênerai pas : ne cherche plus à te cacher derrière des excuses, ou même derrière tes visions. Tu es ce qui nous empêche de t’approcher ! » Ses mots s’échouaient sur moi comme autant de rocs lancés à la catapulte à l’assaut des hautes murailles protégeant ma Forteresse personnelle, si longtemps alimentée de mes doutes constants et de ma crainte du pouvoir d’autrui sur moi. Avait-il conscience de me démolir à petit feu ? J’en doutais, c’était pourtant le cas ; comment quelqu’un qui semblait tout ignorer de celle que j’étais pouvait-il frapper avec autant de cruelle justesse ? J’en avais reçue des méchancetés, insultes gratuites ou quolibets sans grand impact, mais jamais rien de tel. Jamais rien d’aussi … vrai ; c’était précisément ce qui me faisait si mal. Son regard fouillant le mien était l’audace de trop, le scanner perçant et scrutateur qui dévoilerait sans coup férir mes moindres ressentis : or, c’était précisément ma plus grande peur. « Merci pour ton aide, souffla-t-il finalement. Pardonne-moi si je t’ai offensée d’une quelconque façon. Mon manque de considération et moi ne t’embêterons plus. » Affolée soudainement par l’air d’au revoir que prenaient ces paroles, je lançais ma main à l’assaut de son poignet gauche désormais solidement agrippé, prenant garde toutefois à ne pas serrer trop fort de crainte – absurde, certes – de lui faire à nouveau mal. « Restes, » demandais-je simplement. Réalisant pleinement la nécessité de vite et bien choisir mes prochains mots, j’enchaînais rapidement, scrutant avec attention l’arrête de son nez : « Je suis désolée … » Caressant légèrement du bout de mes doigts la joue que j’avais frappée – sa joue - pour évaluer les dégâts, je grimaçais devant la rougeur persistante qui s’étalait à présent sur sa pommette. Aucun doute possible, je n’y étais pas allée de main morte : cette gifle laisserait une trace durant plusieurs heures. Bah, pas de quoi tant s’inquiéter non plus : l’infirmière de l’école lui arrangerait ça en un tour de main s’il le lui demandait. Mais en aurait-il le cran ? Giflé par une fille …

Consciente qu’un sourire pouvait tout autant creuser le problème que désamorcer la situation, je m’abstins de rire à la pensée de cet orgueil typiquement masculin. Peut-être pourtant l’aurait-il fallu. Arrangeant machinalement les plis de sa veste et de son tee-shirt pour calmer mon anxiété, je levais finalement le regard vers le sien, tout près. « J’ai agi instinctivement, mais c’était stupide. Tu ne le méritais pas. » Inspirant profondément, j’écartais mes mains de lui après avoir redressé un dernier pli et confiais : « Je … Je n’aime pas vraiment parler de moi, ça ne m’apporte jamais rien de bon – que des problèmes. Je n’ai pas vocation à satisfaire les desiderata de tout un chacun et malheureusement, c’est ce à quoi les gens s’intéressent en général, quand ils apprennent ce que je suis. Même toi, je ne représente un intérêt à tes yeux que parce que mes renseignements pourraient te sauver. C’est déjà plus valable que les raisons de beaucoup, mais … » Haussant les épaules avec un petit sourire en coin et ce que je voulais être de la désinvolture, je concluais : « Contentes-toi de retenir que je ne suis pas un monstre de cruauté : j’ai un cœur et il bat ! » Plutôt vite, notais-je au passage. Trop vite, d’ailleurs, pour mon propre confort. « Quand les gens deviennent trop proches … ça m’effraie. Admettre que je suis attachée ne m’a jamais apporté que de la souffrance supplémentaire, alors oui, je tiens les gens à distance respectable - essentiellement de mon cœur. Je garde les secrets des autres plutôt que de livrer les miens. Est-ce un crime de ne pas vouloir souffrir pour rien ? » interrogeais-je, une lueur sauvage imprégnant mes yeux bruns plongés dans ceux de Tradd.
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Montana D. Jones
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Message par Tradd Cooper Mar 10 Aoû - 23:55

Désormais, j’étais seul, abandonné à un sort que je ne méritais certainement pas, et dont je ne décelais pas toutes les vérités. Tout au contraire, je ne faisais que commencer à comprendre le fonctionnement des visions de Montana, qu’à prendre conscience de l’aide précieuse qu’elle représentait pour moi, de l’importance qu’elle avait soudainement pris dans mon existence. Malheureusement, ces prises de conscience ne surgissaient que bien trop tard, alors que j’étais parvenu à me mettre ma seule chance à dos. J’avais joué avec le feu, m’y étais un peu trop complu, et la flamme n’avait pas tardé à me mordre les doigts, y laissant une marque invisible mais durable. Avec cette claque retentissante, la jeune argent et bleue avait déclenché bien plus que l’anéantissement du peu de fierté qu’il me restait encore ; elle avait brûlé chacune de mes folles espérances, les avait violemment soufflées comme s’il s’était agi d’un vulgaire château de cartes informes. Or, jusqu’à présent, ces espoirs étaient ce qui m’avait empêché de craquer. Je n’étais pas une personne que l’on pourrait qualifier de forte, ni même de battante. Je n’étais en possession d’aucune de ces qualités que l’on attribuait aux Gryffondors, tel que le courage, la bravoure, ou même la témérité. Je n’étais que moi, parfait petit noir et or en proie à un destin tragique qui n’aurait pas dû lui être dessiné. Ma force de caractère n’était donc pas ce qui me permettait d’avancer sans chuter ; mes espoirs quant à une issue inédite et totalement différente étaient la raison pour laquelle je n’avais pas encore abandonné, ni même été tenté de baisser les bras. Bon, pour être tout à fait honnête, la pensée qu’il m’aurait été plus aisé d’attendre paisiblement la mort m’avait effleuré l’esprit, mais je m’étais rapidement repris. Grâce à Montana. Elle avait sa part de mérites dans l’histoire funeste qu’était celle de ma mort, et non des moindres. Si j’avais été prévenu, c’était grâce à elle. Si j’étais encore en vie à l’heure qu’il était, c’était également à elle que je le devais. Si je m’étais accroché jusqu’à en perdre la raison, c’était grâce à elle. Je lui devais de ne pas faillir, comme elle avait résisté à mes doutes, à mes insultes envers son don, et à ma parfaite ignorance. Mesurait-elle l’envergure de ma reconnaissance ? Je n’en étais pas certain, la gifle en était d’ailleurs la preuve. Soudainement, je m’en voulus de ne l’avoir jamais remercié comme il se le devait. Elle aurait certainement refusé ; pourtant, que je lui prouve une part de la reconnaissance que je lui portais aurait pu lui plaire, la flatter, la toucher. Ceci étant, à présent, il était trop tard. J’avais tout gâché, attiré le feu, les jeux dangereux.

J’avais donc perdu ma seule et unique chance de m’extirper de ce terrible désordre. Pourtant, en comparaison à la pensée que je l’avais perdue elle, ainsi que toutes les chances que j’avais de me rapprocher de ma troublante fascination pour elle, l’idée me parut moins dramatique. Là résidait la preuve que je perdais pieds. Peu à peu, je m’enfonçais, mêlais mes idées les unes avec les autres, m’égarais dans les méandres d’un esprit brumeux. Ma vie n’était plus qu’une succession de routes, perdues dans le brouillard de l’incertitude et je me devais d’emprunter la bonne. J’avais toujours considéré Montana comme un guide, elle était celle qui me donnait les indices, me pointait du doigt la bonne voie à prendre. Elle ne se trompait jamais. Néanmoins, j’avais décidé qu’il était meilleur pour nos deux personnalités de cesser de se côtoyer. Nous étions des antithèses, et il fallait que je l’accepte. Incapables de nous comprendre, il était parfaitement impossible que nous nous entendions. Nos routes semblaient séparées par un fleuve immense, plus noir encore que la teinte du lac. Ainsi, je renonçai à vouloir les assembler à tout prix. Nos deux mondes étaient trop différents pour que je puisse mêler le sien au mien ; elle m’avait d’ailleurs clairement fait comprendre qu’elle ne souhaitait pas que je l’intègre à mon univers. Je le comprenais à présent. Dire qu’il avait suffi d’une claque pour me persuader de la réalité des choses.

J’étais à présent convaincu qu’il n’y avait plus rien à faire, qu’elle n’accepterait aucune condition de réconciliation. En conséquence, la menace de ma solitude me revint de plein fouet. Personne, dans mon entourage, ne s’était jamais demandé pourquoi j’étais toujours des plus entourés dans l’enceinte de l’école, et cela ne m’avait jamais véritablement surpris. Ce n’était guère un manque de curiosité, ni un manque d’intérêt, mais simplement une évidence. J’avais toujours considéré comme une qualité ma facilité à me fondre dans une masse et à en ressortir ensuite grâce à mon naturel expansif et jovial ; les autres avaient simplement suivi mon avis. La sociabilité était dans mes gênes, j’étais né pour être un ami et en avoir. Cependant, depuis que je me retrouvais de plus en plus seul à seul avec la perspective de ma mort, j’avais saisi quelques bribes d’une personnalité plus complexe, qui semblait ne pas m’appartenir. C’était le cas, pourtant. J’étais bien moins aisé à cerner que je ne l’avais imaginé. Ainsi, j’avais remarqué que je ne supportais pas la solitude, je me débattais avec mes pensées, ne trouvais jamais de solution à rien, et abhorrais cette sensation de perte de contrôle qui m’habitait lorsque je me faisais face. J’avais également compris que mon manque flagrant de réaction face au comportement de mon père venait du même processus. J’éprouvais une angoisse terrifiante à l’idée que l’on puisse m’abandonner et m’entourer avait été la meilleure solution au problème selon moi. Plus j’avais d’amis, moins de chance j’encourais de me retrouver tout seul. A présent, je comprenais à quel point je m’étais leurré. J’avais beau connaître toute ma salle commune, cela n’empêchait pas certains de me haïr au point de provoquer ma perte. Pire encore, j’avais beau être entouré d’une bande d’amis fidèles, aucun d’eux ne savaient – ni ne comprenaient – ce que j’endurais. La seule capable de compréhension était Montana, et je venais de gâcher toutes mes chances de me rapprocher d’elle.

Prenant pleinement conscience de la détresse vers laquelle je plongeais, je soufflai doucement, puis inspirai une nouvelle bouffée d’oxygène. Je lançai ensuite un dernier coup d’œil en direction de la jolie brune, guettant la moindre réaction. Rien. Elle semblait sous le choc. Je devinai alors que je l’avais profondément touchée, blessée certainement même. Je m’en voulus immédiatement, préférai alors tourner les talons et m’en aller avant de tenter un geste que je regretterais. Oui, il était évident que là, dressé devant elle, devant son visage tendu sous les assauts violents de ma colère, je n’aspirais qu’à m’approcher et laisser mes bras l’entourer, la protéger de ce que j’avais déclenché. Sachant que c’était une très mauvaise idée, je préférai m’éclipser. Fin de la pièce, lâcher de rideau. Ou pas. Brusquemment, je sentis de longs doigts s’enrouler autour de mon poignet, m’arrêtant dans ma course, et je fus forcé de me retourner, portant mes yeux ébahis sur la main de Montana qui s’accrochait à mon bras. Le même effet que la claque. Un choc, une décharge électrique. En mieux, en moins douloureux, en plus troublant. Si j’en avais eu la capacité, j’aurais adoré revivre la scène des centaines de fois, goûté à l’ardeur avec laquelle sa main s’était abattue sur mon bras. Elle me retenait. C’était meilleur encore que de prononcer son prénom dans son intégralité, comme si j’avais été le seul à être autorisé à le faire. « Reste. » Je plissai les yeux, réalisant à peine que la réalité se jouait là, devant moi, étonné que ce ne soit pas un mauvais tour des méandres de mon esprit. « Je suis désolée... » Cette fois, j’en fus persuadé : j’hallucinais. Venait-elle de me présenter des excuses ? J’étais prêt à protester, lorsqu’elle se rapprocha et me souffla sur place. Je la regardai déposer doucement sa main sur ma joue – à l’endroit précis où elle s’était écrasée quelques minutes auparavant – avec un regard incrédule, ne comprenant plus rien. Je fermai les yeux, soupirai d’aise sous le contact bienvenu de ses longs doigts frais. Mes jambes s’immobilisèrent, mes yeux se rouvrirent, se vrillèrent sur ses traits adoucis, et je me débattais avec des impressions nouvelles. A nouveau, mes pupilles scrutèrent les siennes, à la recherche d’une réponse à mes interrogations. A quoi était dû ce revirement de situation ? A quoi cela rimait-il ? Je gardai pourtant le silence, m’en voudrais de gâcher l’intensité d’un tel moment. Doucement, ses doigts glissèrent sur mon col, ma veste, redressant les plis qui s’étaient creusés sur le tissu. « J’ai agi instinctivement, mais c’était stupide. Tu ne le méritais pas. » Je ne trouvai pas quoi répondre à cela, cherchai, mais échouai. C’était vain ; j’étai si surpris que seul mon souffle trouvait la force de s’échapper d’entre mes lèvres. Un souffle plus saccadé, je le percevais. Était-ce dû à la surprise ? Certainement. Était-ce dû à la proximité de la jeune femme ? Sans doute aucun. Elle sembla s’en rendre compte – ce qui ne m’embarrassa même pas, tant j’étais concentré sur elle et les mots qu’elle prononçait – car elle s’écarta de moi.

« Je … Je n’aime pas vraiment parler de moi, ça ne m’apporte jamais rien de bon – que des problèmes. Je n’ai pas vocation à satisfaire les desiderata de tout un chacun et malheureusement, c’est ce à quoi les gens s’intéressent en général, quand ils apprennent ce que je suis. Même toi, je ne représente un intérêt à tes yeux que parce que mes renseignements pourraient te sauver. C’est déjà plus valable que les raisons de beaucoup, mais… » confia-t-elle finalement, répondant à mes attaques précédentes. Cette fois, je ne pus contenir une réaction. Je fronçai les sourcils, roulai des yeux éberlués par ce qu’elle croyait être la vérité. Ainsi, c’était les raisons pour lesquelles elle m’intéressait ? Etrangement, cela ne correspondait à aucune de mes théories, mais je me tus, respectant son besoin de s’expliquer. « Contentes-toi de retenir que je ne suis pas un monstre de cruauté : j’ai un cœur et il bat ! » Je souris. « Je tâcherai de m’en souvenir. » lâchai-je en un murmure, avec un rire bref mais sincère. En un sens, j’étais détendu, car elle semblait de plus cacher le besoin qu’elle ressentait de m’aider. En un autre, j’étais bien plus anxieux qu’auparavant. Il n’était plus question de ma mort, mais de Montana et de la crainte qui m’avait envahi lorsque j’avais imaginé la fin de notre collaboration. « Quand les gens deviennent trop proches … ça m’effraie. Admettre que je suis attachée ne m’a jamais apporté que de la souffrance supplémentaire, alors oui, je tiens les gens à distance respectable - essentiellement de mon cœur. Je garde les secrets des autres plutôt que de livrer les miens. Est-ce un crime de ne pas vouloir souffrir pour rien ? » Je notai le voile farouche qui passa dans ses yeux, ne relevai pas, méditai sur la question. J’avais une réponse à sa question mais, avant, je voulais revenir sur un point précisément dans son discours.

« Permets-moi de te corriger. » commençai-je prudemment, ne cherchant même pas à réduire la contigüité qui brouillait mon esprit. « Je ne m’intéresse pas à toi à cause de ton don, Tana. Du moins, pas seulement. Tu es digne d’intérêt, tu sais. Toi. Pas ton don, mais ta personnalité. » assurai-je avec un sourire encourageant. « En tout cas, tu l’es lorsque tu ne te laisses pas emporter par la violence… » ajoutai-je avec un petit rire aigre. Il faudrait probablement un peu plus de temps pour que je digère l’affront porté à mon orgueil.

Certes, il était risqué de faire preuve d’humour avec elle après que ma dernière tentative avait lâchement échoué. Néanmoins, je sentais une légère amélioration dans l’air ; si j’étais toujours tendu, cela n’avait plus rien à voir avec la gifle brillamment administrée, mais plutôt par le revirement de situation bien plus qu’inattendu.

« Quant à ta question, je conçois évidemment ton point de vue. » admettai-je avec une moue résignée. « Cependant, je ne comprends pas cette tendance que tu as à tout vouloir ou à tout rejeter. La vie est faite de nuances, ma chère. » expliquai-je comme si je donnais un cours, ce qui était ridicule en vue de la fille que j’avais en vis-à-vis. « Comment sais-tu que tout cela sera pour rien ? Tu protèges ton cœur, je respecte cela. Mais tu lui empêches probablement de connaître quelque chose de plus grand et de plus beau que ce à quoi il a le droit en ce moment. Peut-être ne souffriras-tu pas pour rien, mais pour ce quelque chose ? Peut-être même ne souffriras-tu pas du tout ? »

Je me tus, m’immobilisai et cédai à une envie qui me tiraillait depuis qu’elle avait déposé ses doigts sur mon visage. Je tendis le bras, lentement, afin qu’elle ait le temps de s’écarter si elle en éprouvait l’envie, repoussai une boucle brune derrière son oreille. J’étais prudent, ce qui ne m’empêcha pourtant pas de profiter de la soie de ses cheveux.
Tradd Cooper
Tradd Cooper
Martyr
Prince charmant
Gendre idéal √

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Message par Montana D. Jones Sam 21 Aoû - 16:55

M’attacher … c’était bien la dernière chose que je souhaitais en matière d’ennuis, pourtant c’était en train d’arriver. Avais-je cherché ce qui survenait à présent ? Sans aucun doute. Sans mon constant acharnement, jamais Tradd n’aurait remarqué mon existence, et je n’aurais pas connu tous ces chamboulements. Le regrettais-je ? Étrangement non ; j’avais fait ce qu’il fallait pour l’avertir et préserver sa vie du danger qui la menaçait : qu’importait alors ce que je pouvais perdre dans l’histoire ? J’avais toujours eu l’impression d’être un catalyseur, l’instrument du futur et non l’un de ses acteurs. Je mourrai peut-être en victime supplémentaire des agissements de Clyde, et assurément cette perspective ne me réjouissait pas, mais la pensée que j’aurais accompli mon devoir me rassérénait. C’était à cela que se résumaient la plupart des sujets de mes visions : des missions à réaliser mais par-dessus tout à réussir. Bien sûr le facteur émotionnel entrait en jeu, mais jamais il ne l’avait fait à ce point. Je ne me l’expliquais d’ailleurs pas, songeant simplement que cela devait être lié au fait que peu de monde encore, même parmi mes amis reconnaissait ouvertement - comme le faisait Tradd - l’existence de mon Don. C’était pour cela que je tenais tant à sa personne. Mais il aurait fallu envisager qu’aucun autre individu populaire dans mes fréquentations ne me crût, ce qui n’était pas le cas – Emerson par exemple, n’avait jamais fait mystère de la croyance qu’elle avait en mes visions. Mais nous en avions toujours très peu parlé : je savais ainsi que le contenu de mes prémonitions, le fonctionnement de ce pouvoir inattendu lui étaient aussi étrangers que la plus complexe des formules d’alchimie à un novice en potions. Je la savais pourtant intelligente, mais la divination – matière qui déjà en temps normal, dépassait l’entendement de bien des sorciers accomplis – n’était pas sa tasse de thé.

Ainsi, je ne pouvais décemment pas abandonner Tradd à son sort funeste. Il restait mon seul point d’ancrage, unique victime du don qui était le mien pourtant redevable à celui-ci et qui tentait sérieusement de changer quelque chose à l’avenir que je lui avais prédit. Échanger avec une personne qui m’accordait du crédit, rencontrer un être capable de croire en la muabilité du futur, tout cela était pour moi un vrai miracle. Il m’était impossible - j’en avais désormais acquis la certitude - de me séparer de lui avec une telle désinvolture, le livrant ainsi en pâture aux âmes malfaisantes que son décès réjouirait. J’aurais été moi-même un monstre. Ignorant totalement, avec mon absence coutumière de confiance en moi, l’impact que mon geste violent et les paroles qui l’accompagnaient avaient eu sur Tradd, je me contentais d’attendre sans rien ajouter une réponse à mes faibles explications. Je n’étais pas une fière et hardie Gryffondor, conserver le silence en espérant me faire pardonner me semblait une meilleure idée qu’ouvrir une nouvelle fois à tort et à travers la trappe à sottises qui me servait de bouche. Digne bleue et argent, je préférais laisser passer une occasion de détendre l’atmosphère par une blague plate que je n’aurais de toute façon pas maîtrisée pour réfléchir à deux fois à mes prochains propos. J’avais réussi avec une aisance surprenante à me mettre à dos la personne dont la survie me tenait le plus à cœur, Tabatah exceptée. Fallait-il que je sois douée, n’est-ce pas ?

Un léger soupir résigné s’échappa de mes lèvres tandis que je contemplais le château devant moi, aussi imposant et majestueux qu’à l’accoutumée ; il m’arrivait parfois de me demander si j’y avais bien tout à fait ma place – comme j’imagine tout adolescent ou jeune adulte en devenir qui cherchait encore son identité. Je n’avais qu’un désir, échapper à la colère de Tradd – mais ne savais-je pas dans mon for intérieur à quel point elle était légitime ? N’étais-je pas en mesure, moi la voyante rejetée de tout autre que lui ou presque, d’entrevoir à quel point sa situation pouvait être douloureuse, combien il devait se sentir isolé, profondément seul et cerné par le doute ? Je devinais en lui une force que lui-même ne soupçonnait nullement, une force qui avait conduit Andrews à estimer qu’il représentait une menace suffisante pour faire de lui son ennemi et ordonner sa mort. Danger suffisant pour donner l’ordre à des subalternes. Le message positif à tirer de tout cela, c’était qu’Andrews était trop vulnérable à l’heure actuelle pour accomplir la tâche lui-même. Il restait cependant en position de force et Tradd la cible à abattre – le Poufsouffle avait besoin de moi. Manifestement il n’existait pas de pire réaction à opposer à ses tentatives malhabiles qu’un rejet en bloc, et c’était précisément la voie que j’avais – plus ou moins volontairement, certes – empruntée avec fracas.

Son silence à mes confessions m’atterrait, m’assourdissait comme aucun autre son fût-il le plus bruyant du monde n’aurait pu le faire. Suspendue à ses lèvres et aux prochaines paroles qui allaient en sortir comme un assoiffé à sa gourde, je ne pus m’empêcher de me traiter mentalement d’idiote et de demeurée : dans quel traquenard étais-je en train de tomber, à jouer naïvement à ce petit jeu ? En maîtrisais-je les règles ? Définitivement pas ; je n’étais qu’une poupée, une marionnette suspendue aux mots et aux actions de Tradd, incapable de prendre le contrôle : tant de trouble pour un seul homme était à la fois déplacé et avilissant. Merlin, tout cela ne me ressemblait pas ! J’étais maladroite, fermée tout en étant souvent amusante ; pas celle que l’on savait décrypter en une soirée. Était-ce mon embarras qui me rendait plus vulnérable aux tentatives du noir et or ? Assurément ; je ne voyais d’ailleurs aucune autre explication. L’intensité de la douleur, la profondeur de l’amertume qui m’avaient toutes deux traversées comme un choc électrique à l’instant où j’avais compris ce que Tradd s’apprêtait à faire – reposer en place le solide mur d’ignorance mutuelle qui nous avait jusque-là séparés – me laissaient pantelante, incapable de saisir exactement la nature – pleinement irrationnelle, ce qui n’arrangeait pas les choses – de ce que je ressentais à cette perspective. Horreur : il me serait impossible d’accomplir ma mission s’il m’écartait à nouveau de lui. Stupeur : à aucun moment je n’avais envisagé cela. Et enfin peur : une peur terrible, dévorante et paralysante, de le voir s’éloigner : pas le condamné à mort que j’avais pour mission de sauver – non, simplement lui, ce garçon différent que j’apprenais à apprécier en le découvrant.

La perspective de cet espace, ce canyon infranchissable qu’il avait l’intention de créer à nouveau entre nous deux m’était devenue intolérable, c’est à cet instant que je m’en rendis pleinement compte. Inutile de le nier : si j’avais fait preuve de violence, c’était uniquement pour masquer à quel point je désirais sa présence. Retrouver, en somme, une illusion d’indépendance – ce que j’avais perdu au moment même où il avait brutalement fait s’entrechoquer et coïncider nos deux espace-temps que tout opposait. Depuis j’étais indéniablement changée, différente : perpétuellement sur les nerfs et à fleur de peau, comme suspendue aux limites et aux extrémités de mon être telle une créature luttant pour sortir d’une cage trop étroite. Quelque chose en moi s’éveillait peu à peu, aiguisant ma conscience des choses et d’autrui – de lui plus particulièrement – transmettant chaque mouvement, l’écho de chaque geste avec une plus grande acuité. Plus rien de ce que j’avais cru acquis, aucune de mes certitudes n’était tout à fait la même : tout était à présent différent. Et cela sans même y penser, sans même que j’eu connaissance de la métamorphose. L’air ébahi de Tradd, ses yeux écarquillés posés sur mes doigts entourant son poignet d’une emprise solide me tirèrent toutefois un sourire franchement amusé, décidée que j’étais à cesser de me montrer hostile. Il devait pourtant paraître incroyable en effet, après la façon dont je l’avais traité, que j’ose encore espérer l’avoir autrement qu’hors de ma vue. Moi-même à sa place, n’aurais plus donné signe de vie au malappris durant des mois et peut-être même à vie, je le savais.

Mais je n’étais pas à sa place, et il n’était pas n’importe qui. Sa peau parcourue d’un choc contre la mienne constituait à elle seule un miracle inattendu, un délice aussi surprenant qu’inespéré dont je profitais pleinement, puisque déjà je pressentais la difficulté à m’en passer. Il s’était arrêté, figé sur place comme une statue au regard interrogateur, plein de doutes et de questionnements qui se bousculaient – incrédule. J’imaginais sans peine sa surprise et son profond étonnement, espérant qu’il comprendrait que malgré ma précédente hostilité je ne souhaitais pas le voir partir – pas vraiment … pas du tout. « Reste ». Il m’avait été trop agréable d’apposer ma main sur sa joue ; son absence de recul à mon approche me parut toutefois bienvenu et un geste encourageant. Ses yeux fermés me firent un instant craindre d’avoir réveillé la douleur du coup mais ses traits relâchés, son soupir apaisé démentirent cette impression. Profitant de l’absence du faisceau de ses yeux gris braqué sur moi, je goûtais pleinement avec bonheur et une pointe de culpabilité la profonde satisfaction que me procurait ce contact - pourtant bien innocent – lorsqu’il rouvrit soudainement les yeux. Scrutant directement ses iris anthracites comme j’avais eu coutume de le faire, retrouvant cette habitude à laquelle j’avais pris goût, j’acceptais les multiples points d’interrogation dansants dans ces voiles gris perle que l’incertitude venait d’éclaircir, chassant les nuages de la déception. « Je … Je n’aime pas vraiment parler de moi, ça ne m’apporte jamais rien de bon – que des problèmes. Je n’ai pas vocation à satisfaire les desiderata de tout un chacun et malheureusement, c’est ce à quoi les gens s’intéressent en général, quand ils apprennent ce que je suis. Même toi, je ne représente un intérêt à tes yeux que parce que mes renseignements pourraient te sauver. C’est déjà plus valable que les raisons de beaucoup, mais… » Je compris mon erreur à la seconde où ses sourcils se froncèrent, ses yeux roulant dans leurs orbites ; j’avais de toute évidence prononcé quelque part ce qui lui semblait une énormité : restait à trouver quoi.

« Contentes-toi de retenir que je ne suis pas un monstre de cruauté : j’ai un cœur et il bat ! » Un sourire : apparemment je n’avais pas trop aggravé mon cas. J’étais toujours sur la bonne voie. « Je tâcherai de m’en souvenir. » Je sentis mes lèvres s’étirer toutes seules en un sourire encore vaguement contrit mais bien réel, tâchant de concilier la méfiance instinctive qui me hurlait que je faisais fausse route et l’autre part de moi qui poussais des hurlements de joie assourdissants. « Quand les gens deviennent trop proches … ça m’effraie. Admettre que je suis attachée ne m’a jamais apporté que de la souffrance supplémentaire, alors oui, je tiens les gens à distance respectable - essentiellement de mon cœur. Je garde les secrets des autres plutôt que de livrer les miens. Est-ce un crime de ne pas vouloir souffrir pour rien ? » Pourquoi diable éprouvais-je le besoin de raconter tout ça ? … Ah oui, pour expliquer mon geste pleinement stupide : je m’étais contentée d’agir tel un animal acculé, un chat sauvage – précisément la forme de mon patronus – donnant un coup de griffe pour faire reculer l’adversaire : tout ça était indigne d’une Serdaigle, et autant dire qu’il m’était arrivé d’agir plus intelligemment. « Permets-moi de te corriger, commença-t-il, redirigeant aussitôt mon attention sur sa personne. Je ne m’intéresse pas à toi à cause de ton don, Tana. Non ? J’ignorais délibérément l’exultation bruyante qui envahissait mon esprit à l’entende de mon diminutif ou même à la compréhension du contenu de ses paroles, trop stupéfaite par la possibilité que mon pouvoir ne soit pas, en effet, la source de son intérêt pour moi. Du moins, pas seulement. Eh voilà, j’aurais dû m’en douter. Tu es digne d’intérêt, tu sais. Toi. Pas ton don, mais ta personnalité. »

Je restais un instant pantoise, n’osant trop croire à ce que j’entendais. Évidemment, jamais je n’avais véritablement considéré l’éventualité que mon caractère puisse attirer les gens : j’avais certes des amis, et plus nombreux que je n’avais tendance à le penser – Tabatah, Emerson, Tristan, Kerr, Tania et quelques autres – mais le cercle de mes détracteurs était jusqu’à une date récente si infiniment plus vaste, que jamais je ne m’étais véritablement penchée sur la question. J’étais une jeune femme discrète et pleine de secrets bien gardés, il n’était pas dans ma nature de m’exposer ; si j’attirais l’attention, c’était en quelque sorte par inadvertance et parce que j’assumais les nécessités imposées par ce que j’étais : une sorte de pythie. Le profil de miss lycée ne me correspondait résolument pas, pourtant ces mots, leur signification générale m’étaient familiers. Où donc les avais-je déjà entendus, et de la bouche de qui ? Le visage de Curtis traversa enfin mon esprit : oui, c’était pourtant évident. Quel autre garçon de ma connaissance me portait un intérêt assez prononcé pour s’intéresser à ma personnalité ? « En tous cas, tu l’es lorsque tu ne te laisses pas emporter par la violence … » Un instant décontenancée par son rire jaune, j’arquais un sourcil circonspect tout en souriant malicieusement. « Gageons que je ne suis pas la pire de l’école. Et arrêtes ton cinéma, je suis sûre qu’au fond tu as aimé. » affirmais-je, une moue espiègle éclairant mon visage. Si je me sentais plus détendue ? Assurément. Le sujet que je redoutais n’allait plus retomber sur la table avant un bon moment, et j’avais le temps désormais de préparer une réponse cohérente, logique et rationnelle – bref, celle que j’aurais dû être en mesure de donner dès le départ. « Quant à ta question, je conçois évidemment ton point de vue. » Vraiment ? Il avait beau sembler sincère, je demeurais sceptique : d’aussi loin que remontaient mes souvenirs et ma connaissance, il m’avait rarement semblé le voir connaître un quelconque échec – qu’il fût amoureux ou de toute autre nature. Ce n’était pas un élève brillant mais il avait la sympathie des professeurs, était entouré, populaire, extrêmement sociable, son intelligence n’était plus à prouver. Enfin il était communément admis dans la gent féminine qu’il avait tout d’un prince charmant : pour beaucoup, il était même le fiancé idéal à présenter à ses parents. Personnellement j’ignorais ce qu’auraient pensé de lui mes propres géniteurs, mais je les connaissais suffisamment bien pour en avoir une petite idée : ma mère après l’avoir détaillé de son œil perçant aurait affirmé en souriant que Tradd était un « oune charmant garçon » ; mon père à l’inverse n’aurait cessé de le scruter d’un regard hostile – le même que le mien, étrangement – sans oublier de poser une main possessive sur mon épaule, avant de me demander si j’avais conservé son spray lacrymogène.

Riant déjà à la pensée de cette scène, j’écoutais pourtant la suite avec attention. « Cependant, je ne comprends pas cette tendance que tu as à tout vouloir ou à tout rejeter. La vie est faite de nuances, ma chère. » Hallucinais-je, ou était-il bien en train de m’administrer un cours magistral qui aurait pu s’intituler « Vie et sociabilité » ? Arquant un sourcil perplexe, je me contentais de l’observer poursuivre sans l’interrompre, songeant en bonne moi-même que tout cela était comique, mais qui sait ? Peut-être avais-je beaucoup à apprendre de cette leçon de savoir-vivre, aussi grotesque pouvait-elle sembler. « Comment sais-tu que tout cela sera pour rien ? Tu protèges ton cœur, je respecte cela. Mais tu lui empêches probablement de connaître quelque chose de plus grand et de plus beau que ce à quoi il a le droit en ce moment. Posant sur Tradd un regard scrutateur où perçait une légère lueur d’hésitation, je me figeais progressivement à l’écoute de ces mots, veillant à conserver un silence soigné. Gênée par mon cœur palpitant à une allure anormalement rapide comme s’il était sur le point d’exploser, je peinais à conserver un souffle régulier. Peut-être ne souffriras-tu pas pour rien, mais pour ce quelque chose ? Peut-être même ne souffriras-tu pas du tout ? » Je fronçais légèrement les sourcils sans m’en cacher, mordillant légèrement ma lèvre inférieure tout en demeurant dans l’expectative. Posant sur lui un regard concentré, j’observais sans bouger un cil, troublée, la main de Tradd se rapprocher progressivement de mon visage. L’incongruité de la situation me paralysait ; cette immobilité ne dura que quelques courtes secondes, lorsque je sentis – avec une incroyable netteté – les doigts du jaune et noir glisser sur ma tempe, pour y replacer une mèche folle.

Un long frisson courut de mon dos jusqu’à la racine de mes cheveux tandis que je tremblais légèrement, premier mouvement depuis plusieurs secondes à briser mon immobilité. Je peinais à comprendre la puissance de ce qui m’arrivait : je me sentais bouleversée, comme si une puissante lame de fond m’avait retournée toujours plus profond dans les flots avant de me rejeter avec une force ahurissante sur une plage de sable fin. M’assurant du bout du pied que j’étais bien encore debout dans l’herbe, sur la même côte grise et sinistre du Parc de Poudlard au cœur de l’Écosse, je plongeais finalement mon regard dans celui de Tradd à la recherche de je ne savais quoi. Esquissant un mouvement pour me rapprocher, je m’arrêtais aussitôt, toujours sous l’empire de mon self-control quasi à toute épreuve, puis mêlais finalement mes doigts aux siens apposés derrière mon oreille. Décidant en fin de compte de prendre mon courage à deux mains – j’étais certes une Serdaigle et pas une lionne de Gryffondor, mais je ne voulais pas être une pleutre qui regardait la vie lui passer sous le nez – je m’approchais tout près du Poufsouffle et le serrai dans mes bras. Stupéfaite par ma propre audace, je reculai deux ou trois secondes plus tard et déposai à la place un baiser sur sa joue meurtrie, avant de croiser à nouveau son regard. « Merci … » Esquissant un sourire un peu confus, j’ajoutai : « Tu sais je t’ai bêtement rejeté … mais dans cette histoire, j’ai besoin de toi autant que la réciproque est vraie. » Dégageant avec un air affairé quelques mèches rebelles de son front tout en promenant avec légèreté mes doigts sur son visage, j’ajoutais avec insouciance : « Tu n’es pas n’importe qui, Tradd. Tu as peut-être en toi plus de force et de détermination pour te battre pour ta survie que bien des Gryffondor. Andrews est un monstre mais pas un idiot, ne t’y trompes pas : s’il a ordonné ta mort, c’est parce qu’il a vu en toi un ennemi à sa mesure et qui pouvait lui nuire. Ça ne signifie pas rien. » concluais-je avec un sourire mutin.

Montana D. Jones
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Message par Tradd Cooper Dim 10 Oct - 17:36

Elle était là, dressée devant moi, immobile, aussi vraie et honnête qu’elle était capable de l’être face à moi. Depuis que nous avions cessé notre jeu des poursuites et des regards en biais, depuis que j’avais accepté le sort qui m’était promis et qu’elle tentait de le modifier, Montana était toujours restée très réticente, elle ne me parlait que de ses visions, jamais de ce que son don lui avait fait subir en épreuve ; la prudence était sa principale caractéristique et elle s’y accrochait comme à la bouée de sauvetage qui l’empêchait de se noyer. En quelques minutes, pourtant, il me semblait que j’étais parvenu à démolir ses barrières, du moins la majorité car il me paraissait invraisemblable que la jeune femme pût accepter de s’ouvrir entièrement, de se confier – sans condition aucune – à autrui. Pis, il m’était impossible d’imaginer que quelqu’un pût cerner la personnalité de Montana dans son intégralité, tant celle-ci me paraissait mystérieuse ; j’avais certes déjoué quelques énigmes mais la jeune femme restait fondamentalement indéchiffrable. Je la devinais plus seule qu’elle ne l’admettait, terrifiée à l’idée que quelqu’un ne brise ses défenses, et, surtout, j’estimais qu’elle était capable de tout pour venir en aide à autrui. Mais mes connaissances sur elle s’arrêtaient à cela. Je n’avais, à vrai dire, qu’une seule véritable certitude : je n’étais pas persuadé de savoir à quel point je le désirais, mais je savais à présent que j’aspirais à être celui qui soulèverait le voile de tous ses mystères. Je ne m’étais jamais inclus dans le clan de ces hardis et téméraires or et rouge, toujours fins prêts à plonger dans une vague de défis, mais je devais admettre que Montana savait – même inconsciemment – comment éveiller des parts de ma personne dont je n’avais même pas connaissance jusqu’à ce qu’elle surgisse dans ma vie.

Pouvais-je alors décemment ignoré ce qui m’apparaissait comme autant d’évidences que j’avais violemment rejetées jusqu’alors ? Il s’agissait là de notre première véritable conversation. Avant l’attaque du bal, je l’avais violemment évitée, et même rejetée ; elle avait alors cessé de me suivre, comprenant que je n’avais nullement l’intention de croire que je courais un véritable danger. Après l’attaque du bal, c’était elle qui m’avait entièrement évincé de sa vie. Probablement douchée par mes paroles dures, Montana s’était appliquée à ce que nos chemins ne se croisent jamais, et j’avais beau tenté de lui toucher quelques mots et de m’excuser, elle s’était contentée de me lancer un regard froid. Jusqu’à ce que je ne saute sur l’opportunité du cours de potions ; l’occasion était trop belle et je ne regrettais pas de m’être lancé. Certes, j’avais récolté une belle marque sur ma joue à présent meurtrie, mais notre conversation m’avait surtout permis d’y voir plus clairement dans le brouillard de mes pensées.

Différente de tout ce que j’avais imaginé. Différente de tout ce qui se disait sur elle. Montana était perçue comme la folle de l’école, l’énergumène de Poudlard ; elle était la source des plus folles rumeurs, ne s’en défendait plus puisque cela semblait vain. Sa réputation n’était plus à faire, et j’avais commis l’incroyable erreur de croire les ragots qui circulaient sur elle. Elle m’avait semblée si forte à l’époque – j’avais l’impression que cela datait de plusieurs années tant nous avions parcouru de chemin – si confiante lorsqu’elle me narrait les circonstances de ma mort que je l’avais rejetée. Cette vision d’elle, je m’en apercevais à l’instant, jurait terriblement avec la nouvelle perspective que j’avais d’elle. Si elle ne paraissait pas douter des pouvoirs de son don, de sa portée et de son efficacité, je pouvais deviner que des incertitudes plus profondes et plus blessantes la meurtrissaient : Montana n’avait conscience que de la particularité de son troisième œil, et non de ce qu’elle était en elle-même. Ainsi, comment pouvait-elle imaginer que je m’intéressais réellement à ce qu’elle songeait, à ce qui l’habitait, le plus intimement parlant ? Pourtant, je ne cherchais même plus à me dissimuler sous des excuses ; j’étais fasciné et je ne m’en cachais plus.

Ainsi, je décidai de me montrer franc. S’il était bien une personne qui méritait qu’on lui ouvre les yeux sur sa propre valeur, il s’agissait de Montana. « Permets-moi de te corriger. » Je fis une pause, notre trop grande proximité brouillant le fil de mes pensées ; j’aimais cette sensation inédite qui naissait sous ma peau, mais il m’était moins aisé de me concentrer lorsqu’elle vrillait ses yeux clairs sur mon visage trop expressif. Je craignais qu’elle ne devine toute la portée de mes paroles, ne m’arrêtais pourtant pas : « Je ne m’intéresse pas à toi à cause de ton don, Tana. Du moins, pas seulement. Tu es digne d’intérêt, tu sais. Toi. Pas ton don, mais ta personnalité. » L’étonnement que je lisais sur ses traits me ravit. Je savais que je n’étais évidemment pas le premier à lui adresser de telles paroles, mais je fus satisfait qu’elle leur accordât un tant soit peu de crédit. Il n’était pas dans ma nature de flatter mes jeunes camarades, j’estimais néanmoins que la brunette méritait plus que de la considération. Et puis, je le pensais sincèrement. Peut-être même un peu trop, selon les ragots qui ne tarderaient pas à naître dans la salle commune. Dès que je rentrerais, il faudrait que je me prépare aux confrontations les plus diverses. J’entendais d’ici les interrogations curieuses de mes camarades de maison ; Poppy, surtout, insisterait et demanderait à tout connaître. Je serais d’ailleurs dans l’impossibilité de lui cacher les émotions qui m’habitaient, puisqu’elle était empathe et qu’elle avait l’habitude de lire en moi comme si mes sentiments étaient purement les siens. Je m’attardais une seconde sur cette pensée, tentais d’imaginer sa réaction. Je savais qu’elle n’appréciait pas beaucoup Montana ; cette dernière s’était souvent fait remarquer lorsqu’elle me suivait et ma meilleure amie avait vu en elle une petite écervelée en manque d’attention. Après l’attaque, néanmoins, elle avait compris que mon avis à propos de la bleu et argent avait changé, que je recherchais sa compagnie plutôt que de la fuir ; je ne lui avais jamais confié les prédictions de Montana, mais Poppy se doutait de quelque chose, c’était certain. S’imaginerait-elle, comme les autres, une relation secrète entre la Serdaigle et moi ? Ou, comme je le craignais, devinerait-elle que notre lien était plus profond ? J’étais persuadé qu’elle saisirait l’importance de l’attache qui me rapprochait de Montana à présent. D’ailleurs, peut-être pourrait-elle m’éclairer sur le sujet, puisqu’elle avait toujours paru plus douée que moi dans le décryptage de mes propres sentiments ?

Craignant que la jeune femme ne remarque mon trouble, je fis diversion, reposant un regard taquin sur son visage prudent. « En tous cas, tu l’es lorsque tu ne te laisses pas emporter par la violence … » persiflai-je en laissant échapper un rire aigre. Elle parut un instant déconcertée, ce qui m’amusa davantage, mais se reprit rapidement. Pour être tout à fait franc, je devais avouer que le sourire qui naquit sur ses lèvres à la suite de ma remarque était des plus plaisants. Était-il possible que Montana pût se détendre en ma présence ? Elle me le prouva quelques secondes plus tard. « Gageons que je ne suis pas la pire de l’école. Et arrête ton cinéma, je suis sûre qu’au fond tu as aimé. » J’accueillis sa dernière phrase avec un haussement de sourcil, ainsi qu’un sourire que je souhaitais des plus vagues, mystérieux. Si elle aurait un jour l’honneur de connaître la teneur de mes pensées durant les secondes qui avaient suivi la gifle ? Bien sûr que non. Elle en avait eu un aperçu et cela avait été loin de lui plaire. Elle n’avait pourtant pas tout à fait tort, le pire. Si sa réaction avait laissé un goût amer, elle avait au moins eu le mérite de prouver que mes actes avaient de l’importance. Je n’étais pas n’importe qui à ses yeux, et cette pensée me réconfortait. Après tout, aux miens, elle était loin d’être n’importe qui. « Quant à ta question, je conçois évidemment ton point de vue. » Je décidais de reprendre avec un peu plus de sérieux, craignant que ce genre de plaisanterie ne m’emmène trop loin. Sa moue démontrait qu’elle ne me croyait pas, et j’imaginais que trop bien ses pensées. Elle s’interrogeait sur mon passé, se demandait ce que j’avais vécu pour oser affirmer que je comprenais ce qu’elle vivait ; évidemment, nos deux histoires étaient totalement différentes, mais je parvenais à comprendre qu’elle ne puisse donner sa confiance, qu’elle ne puisse se sentir proche d’une personne sans craindre que cette dernière ne lui échappe. Après tout, j’avais vécu une situation similaire. Seules nos réactions différaient. « Cependant, je ne comprends pas cette tendance que tu as à tout vouloir ou à tout rejeter. La vie est faite de nuances, ma chère. » affirmai-je avec une pointe d’humour, alors que le sujet que j’abordais était des plus sérieux. « Comment sais-tu que tout cela sera pour rien ? Tu protèges ton cœur, je respecte cela. Mais tu lui empêches probablement de connaître quelque chose de plus grand et de plus beau que ce à quoi il a le droit en ce moment. Peut-être ne souffriras-tu pas pour rien, mais pour ce quelque chose ? Peut-être même ne souffriras-tu pas du tout ? » Etais-je au moins assez franc pour admettre que j’avais très envie d’être ce quelque chose… cette personne ? Non, certainement pas. Du moins, pas à haute voix, pas devant elle. Je trouvai néanmoins une manière de le lui faire comprendre, puisque je tendis le bras et que mes doigts fourragèrent dans les mèches rebelles de ses cheveux. Je m’attardai un peu trop longuement sur sa tempe, parce que je remarquais avec un plaisir non dissimulé que je la troublais et que, surtout, elle ne s’était pas dérobée. C’était davantage que ce que j’avais espéré en tirer et, pourtant, j’avais soudainement envie de plus.

Montana, sans même le savoir – ou peut-être l’avait-elle deviné ? – répondit brillamment à mes attentes. D’abord, ce fut quelques secondes de flottement, durant lesquelles elle sembla perdue de ses pensées, comme si elle avait eu le besoin de se remettre de l’électricité qui nous avait parcouru. Je lui fus d’ailleurs reconnaissant pour cette immobilité, car j’avais moi-même besoin de quelques instants : mon rythme cardiaque avait atteint des sommets et j’éprouvais de la peine à contrôler ma respiration heurtée, presque erratique. Comment était-il possible d’être si fébrile ? Je n’en avais guère l’habitude. Ces derniers jours, seule la perspective de ma mort avait la capacité de m’ébranler ; le reste me semblait si désuet que je ne réagissais à rien, sauf au contact de Montana. Je goûtai la puissance de cette affirmation la seconde suivante, lorsqu’elle attrapa ma main et confondit nos doigts. Je posai sur elle un regard incrédule, et sa seule réponse fut plus déstabilisante encore : elle s’immisça contre moi, brisa la distance de sécurité, et me serra dans ses bras. Son parfum m’envahit, et je regrettai qu’elle s’écarta aussi promptement ; le baiser qu’elle déposa sur ma joue était pourtant une douce consolation. « Merci… » Je faillis lui demander pourquoi elle me remerciait, tant sa réaction m’avait bouleversé, mais notre conversation me revint en mémoire. Ainsi, j’avais visé juste ? J’étais heureux qu’elle puisse comprendre mon point de vue, ne put cependant m’empêcher de ressentir une pointe d’angoisse à l’idée qu’elle puisse utiliser mon conseil à mauvais escient. « Tu sais je t’ai bêtement rejeté … mais dans cette histoire, j’ai besoin de toi autant que la réciproque est vraie. » La suite eut au moins la capacité d’apaiser mes doutes ; je n’étais donc pas le seul à ressentir ces choses – quoi qu’elle pussent être. « Tu n’es pas n’importe qui, Tradd. Tu as peut-être en toi plus de force et de détermination pour te battre pour ta survie que bien des Gryffondor. Andrews est un monstre mais pas un idiot, ne t’y trompes pas : s’il a ordonné ta mort, c’est parce qu’il a vu en toi un ennemi à sa mesure et qui pouvait lui nuire. Ça ne signifie pas rien. » Je l’écoutais sans broncher, bien que tout en moi bouillonnait. Je n’étais pas certain d’être celui qu’elle décrivait en ces mots mais je ne pouvais m’empêcher de ressentir un brin de fierté en y songeant. Selon moi, si Andrews avait ordonné ma mort, c’était simplement parce que j’étais ce genre de personne qu’il avait toujours rêvé de devenir – populaire et apprécié – et non un potentiel rival. La description de Montana n’était certainement pas totalement infondée, mais je la soupçonnais de vouloir me complimenter parce que j’avais lu si précisément en elle.

« Je te remercie. » commençai-je d’une voix faussement posée ; j’étais sous le coup de l’effet que ses mots avaient eu sur moi, tentais vainement de me ressaisir. « Moi qui pensais n’être qu’un stupide petit Poufsouffle » ajoutai-je en reprenant ses propres mots, mes lèvres frémissant sous le sourire taquin qui déjà y naissait. Après le cours de potions, la jeune femme m’avait gentiment fait comprendre tout le bien qu’elle pensait de moi, ainsi que des couleurs de ma maison. Je l’avais abordée pour lui faire comprendre que j’avais besoin de lui parler, et elle ne s’était pas gênée pour m’insulter ; certes, elle avait probablement espéré que je ne l’entende pas, mais l’occasion était trop belle. Je me moquais d’elle à son tour en lui rappelant le fameux épisode.

Le sourire mutin qui accueillit mes propos confirma mes pensées : Montana s’était tout à fait détendue. Elle avait quitté ses airs de farouche félin qui sortait ses griffes, avait regagné toute la douceur qui lui était caractéristique, et j’en profitais pour l’observer attentivement. Rien en elle ne reflétait la colère que j’avais lu dans ses yeux quelques minutes auparavant ; elle me souriait, un peu distraite, seuls ses cheveux en désordre semblaient être témoins de l’orage qui avait éclaté au-dessus de ma tête. Mes yeux s’attardèrent sur ses doigts fins, et je remarquais que nos mains étaient toujours entrelacées. J’avais conscience des regards curieux de nos camarades qui avaient suivi l’échange de loin – d’ailleurs, je me demandais à quelle vitesse une information telle que « Montana Jones a giflé Tradd Cooper » circulait dans les couloirs de Poudlard – mais, pour dire vrai, n’en avais cure, et je préférais me concentrer sur notre conversation plutôt que sur leur imagination débordante.

« Je pense sincèrement que tu me donnes beaucoup trop d’importance et que tu vois en moi ce que tu veux bien voir, mais j’admets que tu as raison sur un point… » Un seul ? J’osai un pas, me rapprochai davantage, déposai ma main droite sous son menton afin qu’elle ne se dérobe pas – je savais qu’elle avait une certaine tendance à fuir mes iris trop inquisiteurs – et murmurai presque : « J’ai besoin de toi. » Une évidence qu’elle avait elle-même admis, sans en connaître toutefois la portée. Montana pensait que j’avais besoin de son aide uniquement, fatalement, car son don était, pour ainsi dire, ma dernière chance. Elle avait certainement raison ; n’avais-je pas moi-même envisagé la possibilité que ma récente fascination pour elle n’était qu’une conséquence au fait qu’elle était la seule à connaître mon triste destin ? N’avais-je pas pensé que nos deux vies s’étaient brusquement étreintes dans l’unique but que la mienne ne connaisse pas une issue fatale ? Cela m’avait pris beaucoup de temps pour comprendre la toile désordonnée de mes pensées et, bien qu’encore brumeuse, l’évidence m’apparaissait plutôt clairement à présent : j’étais bien plus dépendant de Montana elle-même et de cette sensation de fièvre qui provoquait l’effervescence du sang dans mes veines que je n’étais dépendant de son don. Cette certitude m’apporta une dose de confiance – une forte poussée de folie, plutôt – et je souris lorsque mes doigts effleurèrent le coin de ses lèvres. « Oui, j’ai besoin de toi. Tu devras certainement m’indiquer le droit chemin... » expliquai-je vaguement tandis que ma main quittait le satin de sa bouche, descendait sur sa gorge et s’immobilisait sur son épaule. « Parce que j’ai très envie de faire quelques faux pas. » admis-je finalement, à demi mot.

Si elle n’avait pas été Montana, et si je n’avais pas déjà goûté à sa fureur, je n’aurais probablement pas hésité à faire ces quelques faux pas sans l’en avertir, mais je n’étais pas certain de survivre à un autre soufflet de sa part. D’ailleurs, j’avais des doutes quant à sa capacité à comprendre ce que j’entendais par là, et je savais que j’aurais le droit à quelques interrogations.
Tradd Cooper
Tradd Cooper
Martyr
Prince charmant
Gendre idéal √

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Message par Montana D. Jones Dim 17 Oct - 13:42

Est-ce que je croyais à mon petit baratin ? Peut-être que oui ... ou peut-être que non. Disons que je voulais plus probablement y croire qu'il n'y avait de probabilités pour que cela soit vrai - je n'étais pas à Serdaigle pour rien, les calculs de chance même approximatifs, ça me connaissait - mais je voulais espérer et, plus que tout, j'avais peur d'un futur semblable à la terreur du Bal de Noël. S'il y avait le moindre minuscule espoir à saisir en la personne de Tradd, je ne voulais pas le manquer. Il ne deviendrait certainement jamais un héros des champs de bataille auréolé de gloire, mais j'entretenais au moins le dessein secret de le voir opposer une quelconque résistance et non regarder placidement les horreurs défiler sous son nez. Car j'avais, moi, la ferme intention d'aller jusqu'au bout de ce qui serait nécessaire et s'il fallait pour cela se battre, je ne serais sûrement pas la dernière à dégainer ma baguette. Je n'étais pas une duelliste-née, ma première altercation avec Quinn l'avait montré : poussée à bout, je perdais facilement le contrôle de ma magie et ma baguette était pour ainsi dire chatouilleuse. Mais je savais me battre et tenir un duel de sorciers. Je plaçais donc beaucoup d'attentes en la personne de Tradd, espérant un peu au petit bonheur la chance ne pas être en train de faire le mauvais choix, et que cette confiance - appelons cela ainsi Rolling Eyes - que je lui vouais était bien justifiée. Une part de moi, petite voix désagréable de ma conscience dérangée, ne cessait d'ailleurs de chuchoter dans un coin de ma tête que je ne savais rien de lui : de son caractère, ses aspirations, j'ignorais tout. C'était vrai : hormis que j'étais sensée le sauver, que connaissais-je précisément de Tradd Cooper ? Poufsouffle, préfet, populaire : cela se résumait en trois mots-valises totalement clichés et qui ne m'apportaient rien. Me soutiendrait-il vraiment ? Pourrait-il un jour me trahir - sous la menace par exemple ? Serait-il prêt à mourir pour moi comme je l'étais pour protéger sa vie ?

Je contins le ricanement gagnant mes lèvres à cette pensée ; c'était risible, après tout. Fallait-il aussi que je sois bien sotte pour donner ma vie à quelqu'un sans même en connaître véritablement les raisons ! C'était un tribut que jamais je n'exigerais de quiconque, mais l'inégalité de notre relation - évidente pour tout observateur extérieur - m'apparut soudain clairement. Et, avouons-le, c'était blessant. Je baissais ma garde, écartant pour un moment l'épaisse carapace de protection cernant constamment les parts les plus vulnérables de moi-même, et j'étais ainsi récompensée. Je n'avais plus rien à quoi me raccrocher après cela si ce n'était ma fierté égratignée mais j'avais, pour une fois, envie de faire un pas de travers, m'extraire de mes propres limites. Outrepasser somme toute les règles que, seule, je m'étais donnée : c'était d'ailleurs précisément pour cette raison - parce qu'il m'attirait hors de mes sentiers rebattus - que je n'avais pas de rancune envers Tradd. Oui, il n'attachait certainement pas à ma personne la même valeur que je lui accordais ; mais ce n'était pas le plus important. J'avais toujours considéré ma défiance comme mon garde-fou mais, désormais, j'éprouvais l'envie de me laisser couler. De cesser toute lutte épuisante et inutile ; de me laisser malmener par les vagues. De boire la tasse.

Oui, ce n'était pas l'attitude la plus sage à adopter ; je prenais des risques, principalement celui de me percer le cœur sur des récifs trop acérés - mais qui pouvait juger du dénouement ? J'échouerais peut-être sur une agréable plage de sable fin, au centre d'un sublime lagon cristallin. Bon, inutile de me répandre davantage dans mes conjectures sur la possibilité d'une île plus agréable et doucement agitée ; la seule terre sur laquelle j'avais pied demeurait encore et toujours cette bonne vieille Écosse cernée de grisaille terne et froide. Au demeurant, qui avait édicté que les Serdaigle n'affrontaient jamais le hasard et le danger ? Le monde entier était hasard constant : chercher à se prémunir intégralement de lui était aussi sot que de se couper totalement du monde, j'en pris conscience à cet instant. À réfléchir à un tel train j'aurais tôt fait de voir ma vie me passer sous le nez : et, cela, il en était hors de question. Finalement, je ne regrettais pas ce cours de potions au premier abord pénible. Certes, j'étais quasiment passée par toutes les étapes de la carte des émotions en l'espace d'une petite heure à peine, mais je n'avais pas l'impression d'avoir perdu mon temps - ni non plus l'envie de fuir à tire-d'aile vers mon nid. J'avais conçue tant de fausses idées sur la prétendue opinion que Tradd pouvait avoir de moi, que constater mon fourvoiement s'avérait en réalité profondément ... rassurant.

Mais il me restait encore tellement à lui confier, tant de vérités à lui révéler que j'avais l'impression de manquer de temps. Il n'appartenait qu'à moi de le prendre, mais comment être sûre de jamais le revoir le lendemain ? Après les déclarations d'Andrews, chaque seconde pouvait compter. Je dus sans doute avoir l'air stupéfaite lorsqu'il me détrompa sur l'intérêt exclusif pour mon Don que je lui avais prêté car il se montra enchanté : au moins l'un de nous deux paraissait-il bien rire. Constatant discrètement que tous les regards étaient encore braqués sur nous malgré l'abri relatif offert par l'orme, je m'interrogeais brièvement sur la vitesse de circulation des racontars ; Merlin que je haïssais ce mot : « rumeur » ... En voilà un qui avait le don de me filer de l'urticaire. Les ragots de tous poils remonteraient-ils jusque chez les Serdaigle ou le prétendu « esprit d'élévation » de mes pairs suffirait-il à les repousser ? Aurait-on le front de m'en faire l'écho ? Ma réaction - la seule possible en vérité - à cela s'imposerait alors toute seule : il faudrait non pas nier, mais ne rien dire ; d'expérience, je savais que ce genre de menteries malfaisantes ne circulait jamais aussi vite que lorsqu'elles étaient confirmées ou démenties - que l'on se taise, et le sujet s'enlisait de lui-même bien rapidement.

Reportant cette fois-ci mon attention sur le jeune homme, je ne pouvais m'empêcher de m'interroger : croyait-il vraiment à ce qu'il avait affirmé ? Pensait-il sincèrement que je ne souffrirais pas en choisissant de me dévoiler un peu aux autres au contraire de l'habituelle Montana mesurée, guindée dans sa prudence et sa réserve ordinaires ? Je savais me détendre et m'amuser, mais il me fallait pour cela une bonne dose d'alcool - de quoi noyer les visions quand elles survenaient en un flot d'images indistinctes - et de vieux amis fiables auxquels je savais pouvoir me livrer sans craintes. L'inconnu, voilà ce qui me paralysait de terreur : la peur viscérale de souffrir en m'exposant aux autres. Mais il y avait cette chance, cette opportunité de vivre quelque chose de plus fort et de différent de tout ce que j'avais jamais pu expérimenter auparavant ; et pour cette fois, je voulais prendre le risque. L'instant m'arrêtait sur place dans l'expectative, suspendant mes moindres gestes ; les minutes qui allaient suivre se présentaient à moi comme une immense masse noire d'inconnu : au-delà du moment présent, je ne savais plus rien de ce qu'il m'arriverait et plongeais dans un puissant courant d'imprévus. Je flottais entre deux zones, deux décisions et deux moi-même qui se combattaient et se court-circuitaient violemment. Ma respiration hasardeuse s'était perdue quelque part dans ma poitrine, et ce fut cette pensée qui me rappela que j'avais cessé d'inspirer depuis quelques secondes ; je fermais les yeux et inspirais profondément comme après une longue apnée ou un interminable séjour dans l'obscurité.

Avec la sensation d'être restée de longues minutes à suffoquer sous la surface, je levais mes paupières pour plonger encore une fois dans les iris anthracites du Poufsouffle. Le regard incrédule qu'il posa sur moi quand je mêlais nos doigts me troubla une brève seconde avant que je ne me coule contre lui pour l'enserrer dans mes bras. Je n'avais pas l'habitude de ce genre de familiarités, cela se voyait je crois, mais je venais de décider qu'il avait droit désormais de prétendre à ce type de preuves d'affection. Je reculais promptement malgré tout pour ne point l'entraver, le contact entre nous étant si visiblement entaché d'une certaine gêne dont je ne comprenais pas la raison. Jamais auparavant je n'avais éprouvé cet émoi au contact d'un homme : je n'étais pas spécialement prude contrairement à ce que certains pouvaient dire de moi, et Merlin savait que je n'étais pas dépourvue de fréquentations masculines - je me promenais souvent au côté de Tristan sans jamais y voir du mal, et le tempérament tactile de Curtis était presque devenu une agréable habitude. Le moindre effleurement avec la peau de Tradd continuait malgré tout à produire sur moi un effet tout à fait inédit. M'étant éloignée de lui à l'instant, je ne languissais pourtant que de suivre la pulsion autoritaire qui envahissait mon esprit et retourner me blottir contre son torse que j'imaginais solide et protecteur.

Avait-il seulement prêté attention à mon petit discours héroïque ? me demandais-je, scrutant ses yeux gris posés sur moi avec une expression étrange et indéfinissable. Je n'étais pas intimement convaincue qu'il soit celui que j'avais décrit, mais cela à vrai dire importait peu à mon sens : je l'aimais tel qu'il s'était présenté à moi - ancien arrogant repentant qui cherchait une issue à sa propre mort, mais sans doute pas seulement. Et même s'il n'était que la figure du jeune homme populaire et en vogue à qui tout réussissait détesté par Clyde, je ne m'en préoccupais guère : mon but ici n'était pas de faire sa louange mais uniquement de lui redonner un semblant de force et de confiance en lui-même. En ce qui me concernait, j'étais convaincue de ses capacités.

« Je te remercie. » Me remercier ? Mais de quoi, Merlin ? Je n'avais encore rien fait de crucial ni de déterminant pour sauver sa vie hormis tenter malhabilement de l'en prévenir - avec le succès que l'on savait. Oh je pouvais bien toujours tenter d'appliquer sur sa personne les mêmes sortilèges de protection que j'avais imposés à Tabatah, mais sans aucun moyen d'être certaine de leur efficacité face aux acolytes d'Andrews, à quoi bon ? Ni Quinn, ni Emalee n'étaient des quiches en sortilèges - qu'auraient-elles fait à Serdaigle sinon ? « Moi qui pensais n'être qu'un stupide petit Poufsouffle ... » Il se moquait effrontément, me rappelant en matière de taquinerie les propres mots qui m'avaient échappés quelques heures plus tôt ; quelle différence à présent ! Je ne pus pourtant m'empêcher de plisser les yeux d'un air bougon en marmonnant : « Oh toi, ça va hein ... » Oui, j'avais déjà trouvé réplique plus éloquente par le passé - mais, de fait, sa moquerie bien que légère était justifiée ; même si me taxer d'anti-jaunes et noir était très largement exagéré : après tout, beaucoup de mes amis occupaient cette Maison. Les valeurs qu'ils incarnaient bien que n'étant pas totalement miennes, puisque j'avais été envoyée chez les bleus, me semblaient tout à fait respectables - et ceux qui les disaient les rebuts des autres maisons, des imbéciles.

Ainsi donc j'étais faussement vexée, contrariée qu'il eut ressorti des propos qui n'avaient été prononcés que pour moi-même. Je me trouvais cependant nettement plus décontractée qu'auparavant, délaissant mon habituelle sauvagerie au profit d'une attitude plus sereine et relaxée. Somme toute, j'étais en confiance et cela se ressentait tout autant que c'était visible. Je n'avisais nos mains toujours jointes avec cette habitude un peu trop prompte à s'installer que lorsque Tradd lui-même y posa les yeux, prenant volontairement sur moi de ne pas instinctivement retirer la mienne. Mon imagination se porta brièvement avec amusement sur les regards de nos condisciples de toutes couleurs : que pouvait-on chuchoter là-bas sur l'autre rive et à quelques pas de nous ? Remarquerait-on la trace rose persistante sur la joue du noir & jaune ? Lui poserait-on des questions sur ce qui m'avait amenée à le gifler avec une violence inaccoutumée ? Éloignant mes pensées de ces considérations futiles, je focalisais à nouveau la totalité de mon attention sur Tradd qui avait repris la parole :

« Je pense sincèrement que tu me donnes beaucoup trop d’importance et que tu vois en moi ce que tu veux bien voir, Bien possible, je ne cherchais d'ailleurs pas à m'en cacher, mais j’admets que tu as raison sur un point… » Curieuse, je concentrais sur lui une attention intriguée ; n'imaginant pas une seconde toutefois ce qui allait suivre. Il s'avança d'un pas, écourtant par la même occasion la distance déjà pas bien large qui nous séparait : à nouveau sa trop grande proximité me perturba ; je résistais péniblement à l'envie de ciller en regardant ailleurs. Fermement campée sur mes positions, je plongeais au contraire dans l'onyx de ses yeux, quelque chose en moi le défiant d'approcher davantage tout en souhaitant qu'il s'exécute. Sa main libre gagna mon menton pour m'empêcher de détourner la tête tandis que ses yeux fouillaient les miens. Enfin, il avoua : « J'ai besoin de toi. » Simple reprise de mes propres déductions, mais l'effet de ses paroles sur moi était particulièrement intriguant : j'étais fiévreuse, remuée de tout mon être par sa voix basse plus proche d'un murmure complice que de propos à ton haut. Mon sang bouillonnait, cognant à mes tempes tambour battant et inondant mon cœur comme une coulée de lave en fusion. Ma température me sembla soudain augmenter, mes membres chauffer comme sous l'effet de cette même lave ; jamais je n'avais éprouvée cette violente ivresse qu'en une seule circonstance : lors des fêtes et soirées les plus animées, quand l'alcool et autres liqueurs ensorcelantes étourdissaient mes sens, embrouillant ma raison et confondant mes gestes.

Je fermais les paupières tandis que ses doigts rêches à la fois abrupts et délicats effleuraient la commissure de mes lèvres, tout mon être luttant pour ne pas céder à la puissante bouffée d'adrénaline qui courait le long de mes veines et rendait ma tâche plus difficile encore. « Oui, j’ai besoin de toi. Tu devras certainement m’indiquer le droit chemin... » Il comptait sur moi pour emprunter la voie de la raison, me montrer raisonnable pour deux ? C'était un effort perdu d'avance vu l'état dans lequel je me trouvais : j'avais même l'impression qu'il prenait un plaisir malin quoi que dérangeant à mener le jeu qui avait débuté entre nous - mais quel jeu exactement ? Confuse et indécise, je promenais rapidement ma main libre sur mon front et mes paupières en une vaine tentative de m'éclaircir les idées. Mes pupilles chocolat raccrochèrent les siennes, amarrées à cette mer grise comme la victime hypnotisée par le serpent, détruisant d'un seul coup toutes mes bonnes résolutions. « Parce que j'ai très envie de faire quelques faux pas. » Me croyait-il sincèrement née de la dernière potion ? Peut-être pas, mais il plaisait à chacun de feindre le croire. Il avait tort de me tenter ainsi ; mais avais-je de mon côté la force - le désir, plutôt - d'y résister ? Pas sûr. Je ne savais pas énormément sur la vie qu’avait menée Tradd avant son entrée à Poudlard, pas grand-chose non plus d’ailleurs sur son existence à l’école de sorciers – hormis peut-être sa brève liaison avec Tanya. Je ne connaissais pas son monde, ses goûts, ce qu’il détestait : somme toute je commençais seulement à peine à le découvrir, mais cette conversation me donnait envie d’en apprendre plus. Au-delà même de ces considérations, je ne voulais plus me sentir seule et globalement incomprise dans cet immense château comptant plus d’une centaine d’élèves ; il pouvait devenir mon pilier, le support fiable et, je l’espérais, indéfectible sur lequel je pourrais compter. Il ne connaissait pas non plus mon passé et – ironie du sort pour une voyante – mon futur n’était pas beaucoup mieux tracé ; j’allais sans doute trop vite, et tout ça ne durerait pas : il m’abandonnerait dès le danger venu pour sauver sa vie ou ceux qui lui étaient chers, et je ne pourrais même pas lui en vouloir pour ça. Mais j’éprouvais le désir solide de tenter ma chance : sauter par-dessus le pont sans me soucier des conséquences, de la chute libre et de ce qu’il y avait dessous : une rivière salvatrice, ou simplement un sol où m’écraser violemment. J’exagérais, faire confiance à Tradd n’était sans doute pas aussi risqué que de se précipiter du haut d’un pont ; mais le gouffre à traverser était pour moi énorme. J’avais cette soif en moi, qui réclamait à la fois du changement et un certain renouveau – un recommencement. Cette effroyable envie de tenter le Diable dictée par le désir et l’adrénaline. ll ne s'agissait même plus de confiance, mais bel et bien d'un acte inconsidéré : parfois toute une vie se résume à un geste fou ...

Et durant ces réflexions, je ne pouvais détacher mon regard fixe de son visage, immobile et figée comme une statue par l’étrangeté du moment ; j’éprouvais comme la présence d’une barrière invisible devant moi, séparant un univers plein de possibles du petit monde bien huilé rempli d’habitudes ternes et poussiéreuses que je connaissais habituellement. Et pour la première fois depuis bien longtemps, j’aspirais à m’avancer et repousser cette barrière, cette limite invisible mais bien réelle entre moi et mes désirs. Mon cœur battait à une vitesse improbable dans ma poitrine, transformant chaque sensation en un courant violent électrisant l’extrémité de mes doigts. J'avançais d'un demi-pas - comblant la faible distance qui nous séparait encore - rapprochais mon visage du sien. J'avais une conscience particulièrement étrange à la fois floue et exacerbée des choses et des êtres qui nous entouraient, les autres élèves nous contemplant de la rive opposée ou d'ailleurs ; mais tout cela me semblait soudain très relatif, très lointain et sans importance aucune. Une courte hésitation se peignit sur mes traits avant que mes mains ne viennent se poser sur son cou - dans un dernier éclat de lucidité, je notais l'agréable fraîcheur de sa peau due au soir qui tombait.

Ma bouche effleura la sienne - timidement d'abord, puis avec plus de conviction à mesure que mes lèvres heurtaient les siennes avec régularité. Une bouffée de sensations diverses submergea tous mes sens – son odeur en premier lieu, rassurante, puissante et légèrement musquée. Masculine oui, mais des plus agréables. La sensation de sa bouche contre la mienne, le contour de ces deux étendues de chair dont j'apprenais le contour et la texture avec assiduité ... Un délice à en perdre la tête. Je savoure, m'en délecte avec volupté - exulte somme toute de contentement bien que ce baiser soit dérobé. Son front contre le mien me tire de mon extase et ses lèvres s'éloignent : j'en protesterai presque d'insatisfaction si je ne venais de me rappeler soudain où je suis, qui je suis, et qui est la personne que je viens d'embrasser avec fourgue. Merlin qu'est-ce qui m'a pris ? Je m'écarte du noir et or avec empressement tout en protestant à demi que je dois m'en aller ou quelque chose comme ça, je ne sais même plus exactement ce que je dis. Ma main droite presse doucement sa nuque pour attirer son attention et sans oser le contempler à nouveau je lâche maladroitement :

« Désolée pour ça vraiment, ça n'aurait pas du arriver. Je ne veux pas du tout dire que c'était désagréable surtout bien au contraire mais enfin j'ai été stupide, je n'aurais pas du faire ça ... » La moue penaude d'une enfant prise la main dans la jarre aux cookies, je levais brièvement sur le Poufsouffle un regard égaré avant de conclure : « Écoute, l'autre fois je ne savais pas si les Cagoulés t'avaient attrapé alors je suis partie à ta recherche après avoir été éjectée de la Grande Salle, je suis tombée sur Clyde et les autres. Ils ne m'ont pas vue mais Clyde leur a ordonné de te tuer, il pense que tu en sais trop alors s'il te plaît, fais attention à toi ! » Ma voix s'était faite pressante et erratique dans mes derniers mots, j'en avais conscience mais le temps me manquait ; par-dessus tout je voulais fuir cet endroit, ces regards et surtout la présence de Tradd. « Je dois y aller maintenant, encore toutes mes excuses pour ... enfin, à une autre fois. » Rouge comme une pivoine, je me détournais aussitôt et remontais à toute allure en direction du château sans demander mon reste, pressée d'oublier la conclusion de cette discussion.
Montana D. Jones
Montana D. Jones
and I DON'T GIVE A DAMN ;
'bout my bad reputation

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