ELEKTRA ⚡ She's lost inside.

Juillet 1981,
Varna, Bulgarie.

Elle ne parvenait pas à y croire. Ses yeux étaient encore embués de larmes tellement elle avait été émue. Elle, Rosica Dimitrov, venait de décrocher la médaille d'or au concours international de ballet de Varna. Sa ville natale réunissait les meilleurs danseurs d'une trentaine de pays tous les deux ans. Un seul recevait la gloire. Un seul pouvait réaliser son rêve et partir danser avec les chorégraphes les plus renommés. Et cette année, on l'avait choisie elle, Rosica Dimitrov. Petite sorcière sans intérêt si ce n'est celui de descendre d'une mère Vélane. Créature de l'Est redoutée pour sa colère, admirée pour sa magnificence.
Le début d'une autre vie naissait ce soir-là pour la jeune ballerine. Elle n'avait que vingt-trois ans quand le succès lui tomba dessus. Certes, les admirateurs des ballets de danse classique se raréfiaient. Mais c'était son rêve d'enfant. Et elle allait enfin pouvoir le vivre. Rien ni personne ne pourrait jamais l'en empêcher.

Octobre 1982,
Académie de danse de Sofia, Bulgarie.

Non, non, non et non. Revérifions. Tic, tac, tic, tac. Le temps semble s'être arrêté. Ces quelques minutes d'attente sont un supplice. Pourtant ça fait déjà sept fois qu'elle recommence. Sept fois qu'elle frôle la crise cardiaque sans vouloir capituler. Il doit forcément y avoir une erreur. Oui, obligatoirement.
Verdict ? Positif.
Faisons-en encore un, histoire d'être vraiment convaincue de l'impossible, pensa-t-elle. Mais pas le temps de recommencer, on frappe à la porte. C'est son entraîneur. Il lui demande si tout va bien, elle ne répond pas. Sa gorge est nouée, elle a comme une boule à l'estomac. Même les pleurs ne lui viennent pas. Elle est incapable de réagir, incapable de prononcer le moindre mot. Derrière la porte, l'entraîneur perd patience. Il s'énerve. Il commence à exiger qu'elle sorte de là, mais elle n'en fait rien.
Après un temps certain de léthargie, elle est tellement en colère qu'elle finit par exploser. Et quand une vélane s'irrite, sa transformation en oiseau monstrueux et assassin est inévitable. Déjà des plumes apparaissent sur son corps, la mutation a commencé. De rage, la vélane se met à hurler et à cogner des poings sur les murs, ignorant les cris inquiets de son coach. Elle devient hystérique, si bien qu'elle s'inflige de nombreuses blessures. Comme si ça allait l'aider à accepter sa grossesse, sa souffrance.
Comme si ça allait aider une danseuse étoile ayant atteint le summum de la gloire à abandonner son rêve le plus précieux.

Avril 1983,
Dans un hôpital de Sofia, Bulgarie.

Alors c'était ça, sa fille. Cette chose rouge boudinée absolument écœurante. Autant pour elle.
Rosica avait donné naissance à l'enfant quelques jours auparavant. Elle avait refusé qu'on la lui dépose dans les bras, et même de la voir jusqu'à maintenant. Devant ce spectacle, la jeune mère ne put que s'attrister. Elle avait tout perdu pour ce bébé accidentel, fruit d'une liaison secrète entre la jeune femme et un danseur de sa troupe. Il était déjà trop tard quand elle s'est rendue compte de sa grossesse. Ses parents l'ont encouragée, ils l'ont accueillie à bras ouverts quand on l'a exclue de son groupe de ballet. Mais Rosica n'a jamais voulu de cet enfant et elle n'en voudrait jamais. Cette môme avait gâché sa vie. Toute son existence s'était brisée. Elle ne récupérerait jamais sa place dans la cruelle hiérarchie des étoiles de la danse. Sans doute ne parviendrait-elle jamais à danser derechef. A quoi bon, puisque sa période d'extase s'était si brutalement achevée avec l'arrivée de cette petite fille.

En posant ses yeux hargneux sur elle pour la première fois, Rosica ne ressentit rien. Rien du tout si ce n'était un profond sentiment d'échec. Elle ne la trouvait même pas belle. A vrai dire, elle ne lui trouvait que du négatif. Un regard trop vif pour une si petite bestiole, des iris trop bleus, une peau livide et un air apeuré. Le mot peur était presque écrit sur son front. Le poupon devait bien comprendre qu'il n'était pas le bienvenu.
On força Rosica à lui trouver un prénom. Quant au danseur, il avait reconnu l'enfant et était même venu le voir. Il avait juré de prendre soin d'elle puis était reparti préparer un gala. Une promesse qu'il ne tiendrait sans doute jamais.
Quand la maman rentra chez ses parents avec le bébé dans les bras, elle le donna aussitôt à sa propre génitrice et partit s'enfermer dans sa chambre. La seule chose qu'elle fit pour sa fille fut d'obéir à sa famille : elle lui trouva un prénom. Mais elle ne l'annonça pas de vive voix à ses aînés, car elle se tua le soir-même. On la découvrit le lendemain matin, avec une fiole contenant encore quelques goûtes d'un poison mortel qu'elle avait dû préparer toute seule entre les mains.
A côté d'elle on trouva un bout de papier soigneusement posé sur les couvertures où était annoncé d'une manière peu commune le prénom retenu.

« Elektra Petrova, là où je t'ai donné la vie, tu m'as donné la mort. »

Et ce furent ces mots qui hantèrent les nuits de ladite Elektra tout au long de son enfance.

Septembre 1997,
Poudlard Express.

Elle n'avait jamais imaginé partir un jour pour Poudlard. On lui avait pourtant dit que sa mère y avait passé sa scolarité. Hélas celle-ci n'était plus là pour la rassurer, pour veiller sur elle et l'embrasser avant qu'elle ne monte dans le train. C'était sûrement mieux comme ça. D'après ce que lui en avait dit sa grand-mère, Rosica n'avait jamais été très dévouée aux autres. Seule sa passion destructrice pour la danse classique avait réellement compté.
Elektra avait hâte de rejoindre la célèbre école de sorcellerie qui l'attendait. Au moins, elle aurait un refuge qui ne serait pas souillé par sa défunte génitrice. Car à la maison, il y avait des traces d'elle partout. Des médailles, des trophées, des photos, des posters géants. Rosica Dimitrov l'étouffait. Alors oui, elle était plutôt contente d'être une sorcière pour pouvoir échapper à son quotidien invivable.

De nos jours…

Elektra avait été acceptée parmi les Serdaigles. De suite, elle comprit ce que cela signifiait. Tous travaillaient beaucoup, et très vite elle s'accommoda à ce mode de vie. Elle ne s'est pas liée d'amitié avec grand monde, ayant toujours eu tendance à rester en retrait à cause de sa race vélane. Elle craignait de s'irriter pour un rien et de blesser un élève, ce qui serait bien son genre. Au fil des ans, ça ne s'est pas amélioré. La blondinette a viré ermite, elle déteste le contact humain et préfère s'isoler.
Elle a compris qu'elle avait provoqué le suicide de sa mère, qu'elle avait détruit sa vie. Depuis lors, elle se maudit d'exister et d'être inutile, alors que Rosica aurait pu briller sous les projecteurs. Elle voue une affection sans borne à sa grand-mère qui l'a élevée pratiquement seule, son mari étant décédé quelques années après sa fille. Quant à ce jeune danseur à qui elle doit son nom, Elektra ne l'a jamais revu. Il lui écrit de temps en temps, mais ses lettres finissent toutes sous les flammes.
A l'instar de sa mère, elle s'est découvert une passion. Les études. Rien d'étonnant pour une Serdaigle. Toutefois sa dévotion envers son travail scolaire frôle l'incroyable. Toujours fourrée dans ses parchemins, se lénifiant d'un grattement de plume sur le papier. Se concentrer sur ses apprentissages lui permet d'oublier d'où elle vient ainsi que les circonstances dramatiques de sa naissance. Si elle pouvait trouver une autre occupation aussi grisante, elle s'y donnerait corps et âme. Cependant, pour l'instant, il n'y a qu'apprendre qui l'intéresse. La jeune femme n'a aucune perspective d'avenir, mais elle espère bien occuper une place importante dans la société magique.

Concernant sa position parmi les deux clans ennemis, Elektra n'a pas encore tranché. Il est vrai qu'elle possède un caractère mesquin, individualiste, si bien qu'elle s'imagine mal lutter pour le bien-être d'autrui. Surtout qu'elle hait tout bonnement tout individu étranger à son cercle intime pour la simple et bonne raison que la plupart vivent heureux et ont grandi aux côtés de parents aimants.
De plus, il est difficile de l'approcher. Elle a tendance à fuir la foule, si bien qu'elle passerait presque pour invisible si elle n'était pas vélane. Ses nombreux accès de colère lui ont valu une mauvaise réputation. On la regarde comme si elle était cinglée, dangereuse — ce qu'elle est, très certainement. Même si il y a toujours quelques curieux fascinés par sa grâce sans nom. Sa beauté est d'ailleurs trompeuse car ses charmes sont inexistants.
Outre son irascibilité déconcertante, Elektra demeure narquoise. Son humour noir fait des ravages. Néanmoins, il n'y a pas que du mauvais en elle. Car derrière la créature ignoble remplie de plumes se cache une sorcière au coeur d'or, loyale et prête à tout pour sauvegarder un innocent. Même si elle s'attache très peu aux gens, la blondinette accorde une importance primordiale à la survie des autres. Probablement une des séquelle engendrée par la disparition de sa mère. C'est cette même peur de causer du tort à quelqu'un qui l'oblige à tenir ses distances, à ne pas se confier à n'importe qui et à ne parler que très peu. Une crise de rage est si vite arrivée qu'elle préfère ne pas prendre de risque.

Alors certes, Elektra est loin d'être sociable et de vous paraître agréable. Mais si vous parvenez à lui arracher quelques sympathies à votre égard, elle se montrera attachée et serviable.

La question est, qui parviendra à la rallier à sa cause en premier ?